Différentes possibilités existent pour permettre aux entreprises qui subissent de plein fouet la crise sanitaire et économique de restaurer leurs fonds propres et d’accroître ainsi leurs capacités de refinancement sans pour autant engendrer de coûts fiscaux importants.

En cette période de crise, le législateur a souhaité, dans le cadre de l’adoption de la loi de finances pour 2021, permettre aux entreprises d’améliorer leurs fonds propres en procédant à une réévaluation de l’ensemble de leurs immobilisations (éléments incorporels exceptés) sans encourir d’imposition au moment de la cristallisation des plus- values latentes existant sur leurs actifs immobilisés. Ce régime de réévaluation libre en franchise temporaire d’impôt, codifié à l’article 238 bis JB du Code général des impôts (CGI), est un dispositif optionnel à usage unique (une seule réévaluation à réaliser au cours d’un exercice clos entre le 31 décembre 2020 et le 31 décembre 2022), qui permet donc aux entreprises de substituer, à l’actif de leur bilan, à la valeur nette comptable de leurs immobilisations financières et corporelles, la valeur réévaluée de ces différents éléments. L’effet « booster » sur les capitaux propres se matérialise par l’enregistrement du différentiel de valeur en situation nette (aucun effet sur le résultat), via la constatation d’un écart de réévaluation (compte 1052) non taxable. Cet écart de réévaluation n’est pas distribuable sauf en cas de cession d’un bien non amortissable réévalué et ne peut pas servir à apurer des pertes antérieures,sauf incorporation préalable au capital. Cet écart de réévaluation permet en revanche de restaurer durablement la situation nette de la société concernée.

La neutralité fiscale du nouveau régime de réévaluation libre

Pour la neutralité fiscale du régime, en contrepartie de la non-imposition de l’écart de réévaluation, la société doit s’engager à : (a) calculer les plus- values ultérieures sur biens non amortissables réévalués par rapport à la valeur de ces biens avant leur réévaluation, et (b) réintégrer à son résultat taxable, par cinquièmes ou par quinzièmes (selon la nature de l’immobilisation), l’écart de réévaluation dégagé sur les biens amortissables réévalués, ces derniers étant désormais amortis (et dépréciés) sur la base de leur valeur réévaluée (réintégration de l’écart de réévaluation au rythme des amortissements – et immédiatement en cas de cession du bien –, selon un dispositif calqué sur celui conçu pour assurer la neutralité fiscale d’une fusion). Ce régime de réévaluation libre « spécial Coronavirus » présente l’avantage de pouvoir être utilisé « en cascade » dans les groupes de sociétés (réévaluation des actifs d’une filiale puis des titres de la filiale chez sa société mère), permettant de facto de prendre en compte indirectement (à travers la réévaluation des titres d’une filiale) d’éventuelles plus-values latentes sur biens incorporels chez cette filiale, alors même que cette dernière n’aura pu les inclure dans sa propre réévaluation, conformément aux règles générales1 régissant les réévaluations libres, règles auxquelles le nouveau régime n’a pas entendu déroger.

Les pièges d’une réévaluation sous régime de groupe

Il convient néanmoins d’être prudent dans un certain nombre de circonstances, car le texte de loi n’assure pas une parfaite neutralité fiscale du régime de réévaluation, notamment en présence de provisions pour amortissements dérogatoires dotées antérieurement sur les biens réévalués (leur reprise induite par la réévaluation, conformément à la position de la CNCC, demeurerait, en l’état actuel des textes, pleinement taxable), ou encore en cas d’appartenance de la société procédant à la réévaluation à un groupe fiscal intégré2, au moment de la réévaluation ou postérieurement.

Un Bofip salvateur ?

En effet, le régime de groupe recèle un certain nombre de règles restrictives (réintégration d’amortissements ou de résultats de cession d’un bien réévalué) applicables aux sociétés intégrées procédant ou ayant procédé, avant leur entrée dans le groupe, à la réévaluation de leurs actifs. Ces règles restrictives3 ont été instituées afin d’empêcher qu’une opération de réévaluation libre ne conduise à transférer à un groupe intégré des déficits propres d’une société antérieurs à son entrée dans le groupe. Ce corpus de règles restrictives n’a pas été « désactivé » par le législateur lors de l’adoption du régime de l’article 238 bis JB alors qu’il n’a aucunement vocation à s’appliquer à ce nouveau régime de réévaluation libre puisque, l’écart de réévaluation n’étant pas taxable, il n’existe aucun risque de « recyclage » de déficits propres pré-intégration en déficits d’ensemble. Aussi la prochaine instruction administrative commentant ce nouveau régime de réévaluation libre, à paraître au Bofip, pourrait-elle utilement prévoir la non-application de ces restrictions aux sociétés intégrées mettant en oeuvre ce régime de réévaluation en franchise d’impôt issu de la dernière loi de finances. Le charme discret des conventions d’intégration fiscale : le concept « d’IDA conventionnels » Mais le régime de l’intégration fiscale offre aussi d’autres perspectives de restauration des capitaux propres en cette période de crise. En effet, il est loisible aux groupes intégrés de modifier leurs conventions d’intégration fiscale pour permettre 
aux sociétés déficitaires de constater des « Impôts Différés Actifs (IDA) » conventionnels : il s’agit de permettre aux sociétés intégrées déficitaires de constater, sous certaines conditions, une créance sur leur société mère intégrante, au titre des déficits fiscaux transmis au groupe. Lorsque les conditions requises sont réunies, la filiale déficitaire peut ainsi voir ses capitaux propres restaurés sans coût fiscal (les conventions d’intégration fiscale sont neutres fiscalement4 dès lors que l’intérêt social des filiales est préservé et qu’aucun acte anormal de gestion n’est commis) tandis que chez la société mère intégrante, la perte d’intégration fiscale subie ne dégradera pas sa situation nette, dans la mesure où la reconnaissance de cette dette à l’égard de sa filiale intégrée pourra trouver compensation dans une réévaluation des titres de la filiale. Effets comparés dans le temps Les effets, dans le temps, des différents modes de restauration des fonds propres des entités évoqués ci-dessus ne sont pas identiques : une réévaluation sera plus efficace sur le long terme, en particulier lorsqu’elle portera essentiellement sur des biens non amortissables (écart de réévaluation « permanent », alors que l’écart sur biens amortissables devra être rapporté aux résultats par fractions, s’érodant au fil des amortissements dotés sur les biens). Les IDA conventionnels n’auront en principe, quant à eux, qu’un effet favorable temporaire, s’estompant au fur et à mesure du retour de la filiale aux bénéfices (apparition d’une charge d’impôt envers la société mère réduisant à nouveau les capitaux propres).

Marie-Hélène Raffin, avocat associée, Florilèges

Article L,123-18 du Code de commerce et Article 214-27 du Plan Comptable Général

2 Régime régi par les articles 223 A et suivants du CGI

3 Article 223 I 1-b, 3 et 4 du CGI 4 BOI-IS-GPE-30-30-10 n° 230 à 300 

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