Depuis la loi Pacte, les entreprises peuvent adopter une raison d’être, ces quelques mots choisis pour annoncer de quelle manière elles agissent dans la société. Une démarche simple et porteuse de sens que peu de cabinets d’avocats ont entamée. Pourquoi ?

L’important n’est plus de savoir ce que fait une entreprise mais comment elle le fait. La rédaction d’une raison d’être, que la loi Pacte a fait entrer dans le droit français, est une démarche indispensable. La plupart des entreprises du CAC40 la considèrent comme un levier de compétitivité puisqu’elle offre une grille de lecture aux potentiels investisseurs : une stratégie de développement, une vision d’avenir et des engagements sociétaux. Les cabinets d’avocats, dans leur mission de conseil, sont nombreux à accompagner leurs clients lors de leur mise en application de la loi Pacte, largement commentée par la doctrine juridique depuis son entrée en vigueur. Ils participent à la rédaction d’une raison d’être et à l’encadrement juridique de la RSE. Néanmoins, pour la plupart des avocats, il n’est pas nécessaire de réfléchir à la raison d’être de leurs propres activités.

Balayer d’un revers de manche la question

Certainement parce que cette démarche n’est pas obligatoire. Ce n’est qu’une faculté proposée par l’article 1835 du Code civil qui indique que "les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité." Rien n’oblige donc les cabinets d’avocats à réaliser ce travail d’introspection. Et ce, d’autant plus que nombreux sont ceux qui demeurent des associations – non soumises à l’article 1835 du Code civil –, les sociétés professionnelles restant l’exception. De plus, l’argument central de la raison d'être visant à séduire les investisseurs ne correspond pas aux cabinets d’avocats qui ne peuvent réaliser de levées de fonds auprès d’entreprises ou de fonds d’investissement, la réglementation de la profession ne permettant pas l’ouverture de leur capital à des non-avocats. Mieux encore, le non-respect de la raison d’être peut entraîner la mise en jeu de la responsabilité de l’entreprise contrevenante si des comportements contraires aux engagements pris sont découverts. Elle constitue un risque juridique supplémentaire à l’environnement réglementaire déjà important de la vie des affaires. Autant d’arguments qui incitent de nombreux avocats à balayer d’un revers de manche la question de la raison d’être.

Dès lors, pourquoi le cabinet Centaure Avocats (anciennement Claisse & Associés) a-t-il été le premier à formuler sa raison d’être en juillet 2020 ? Y aurait-il un intérêt, finalement, à rédiger ces quelques mots et à s’y tenir ? À ce jour, si plusieurs cabinets d’avocats comme LPA-CGR, Jeantet, Baker McKenzie ou encore Gide ont élaboré une politique de RSE, ils n’ont pas pour autant inscrit une raison d’être dans leurs statuts. Ces maisons auraient-elles tort de ne pas sauter le pas ? Et si oui, pourquoi ?

Précarité juridique

Yves Claisse est maintenant rodé à l’exercice de l’interview sur le sujet et détient de nombreuses clés de réponse. Celui qui fut le premier avocat à formuler pour sa structure une raison d’être attise la curiosité, "celle de ses confrères ou de cabinets de conseil", concède-t-il. Lui n’a fait que se saisir de ce concept contenu dans la loi Pacte pour célébrer les 20 ans du cabinet grâce à une action rassemblant tous ses membres, de Paris, Bobigny, Versailles et Lyon.  Pour lui, la rédaction de cette phrase riche de sens n’est que l’expression d’une organisation mise en place il y a longtemps déjà. Mais dorénavant, les choses sont inscrites dans ses statuts. Centaure Avocats est "une entreprise d’intelligences juridiques, innovante, humaine et citoyenne qui répond aux évolutions rapides des besoins de ses clients en se préoccupant de l’impact sociétal et environnemental de son développement."  De simples mots dénués de sens ? Pas vraiment.

Se qualifier d’"entreprise" signifie abandonner la conception patrimoniale de l’avocat. "Il y a des mots interdits au cabinet : “mon client” et “mon collaborateur”. Ce sont des blasphèmes. Le directeur général de Coca-Cola ne parle pas de son client, cela n’a pas de sens." Dès lors, tout est mis à disposition de l’avocat qui peut se concentrer sur la valeur ajoutée de son travail. "Pas d’associé dévolu à la comptabilité, aux ressources humaines ou à la communication, précise Yves Claisse, qui explique avoir sélectionné des professionnels pour les postes de gestion de son cabinet. Avant d’ajouter que ses associés n’ont pas d’objectifs à atteindre en ce qui concerne leur chiffre d’affaires et qu’il est le seul à connaître leur rémunération, ce qui évite les tensions entre avocats : les réunions de répartition des parts du gâteau.

Une organisation singulière qui se concentre dans la formulation "une entreprise d’intelligences juridiques, innovante, humaine et citoyenne" : le cabinet se dit pionner, rejette toute idée empruntée à d’autres et porte son attention sur le rôle social du métier d’avocat. Par exemple, Centaure Avocats s’est installé en Seine Saint-Denis, au milieu de PME et PMI parfois en situation de précarité juridique. Il ne s’agit pas ici de faire preuve de charité mais d’agir au sein du tissu économique local, d’embaucher des juristes formés dans les universités Paris VIII ou Paris XII, de devenir un incubateur de start-up et d’entretenir un lien avec les entrepreneurs et les porteurs de projets afin d’être choisi pour accompagner les plus importants d’entre eux. Tout en incluant des profils en provenance d’autres circuits que les classiques facultés du centre de Paris et les écoles de commerce. Centaure Avocats est aussi conscient de devoir "[répondre] aux évolutions rapides des besoins des clients", devenus "hybrides." Ses avocats se disent rapides, leurs savoir-faire se situent à la croisée des droits et ce sont des spécialistes des secteurs d’activité de leurs clients. Enfin, il se soucie de son impact sociétal et environnemental, un paramètre à prendre en compte s’il veut se développer à l’avenir.

Écologie digitale

Et, en matière de RSE, Centaure Avocats est exemplaire. Depuis longtemps déjà, les locaux sont aménagés pour faciliter la mobilité – aucun bureau n’est attribué à une personne en particulier – et exclure le gaspillage. Cela passe par le choix des prestataires et le recyclage des déchets. Cette frugalité s’étend jusque dans les règles de communication : interdiction est faite d’envoyer un mail à plus de trois personnes. Yves Claisse parle d’"écologie digitale", une politique très précise d’utilisation des outils informatiques "afin de réduire notre consommation d’énergie, notre empreinte carbone tout autant que la pollution de l’esprit : nous recevons habituellement un trop grand nombre d’informations dont la lecture est inutile. Envoyer un mail à plus de trois destinataires est une manière de ne pas s’interroger sur sa réelle utilité."

Celles et ceux qui sont peu sensibles à ces contraintes pourront trouver dans un dernier argument l’avantage incontestable pour un cabinet d’adopter une raison d’être : être proche de ses clients. "Nous ne pouvons devenir de vrais acteurs économiques et dépasser cette qualification de simples prestataires de services qu’en allant au-delà de la relation singulière de l’avocat avec son client. Discuter d’autre chose que du dossier pour lequel nous sommes sollicités nous permet d’entrer dans une relation entreprise/entreprise", explique Yves Claisse, avant de préciser qu’un appel d’offres lancé par l’État a été remporté par le cabinet alors même qu’il n’était pas le moins cher des candidats, grâce à ces éléments de RSE. Certains clients sont donc prêts à payer le prix pour avoir un service de qualité. Se singulariser, réenchanter la profession et attirer des talents, voilà l’ambition d’une raison d’être pour les avocats.

Pascale D'Amore

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