Le numérique a modifié en profondeur la relation entre la marque et les consommateurs. Ce lien, plus direct, oblige les communicants à veiller à la cohérence des messages véhiculés. Pour y arriver, ils misent sur la création de contenus pertinents et la mise en place d’outils de veille performants.

Lundi 29 août. Les premières images d’un Galaxy Note 7 carbonisé apparaissent sur la Toile. Très vite, ces photos font le tour du monde et sèment un vent de panique chez les utilisateurs. Deux jours plus tard, l’information est reprise dans tous les grands médias. La direction de Samsung tente d’abord d’agir au cas par car mais, face à l’ampleur du phénomène, elle se résigne, le 1er septembre, à émettre un communiqué de presse reconnaissant trente-cinq cas d’explosions et annonçant de nouveaux tests. Pour le groupe, le message se veut néanmoins rassurant?: seulement 0,1 % des appareils en circulation seraient concernés par ce défaut. En attendant, Samsung met en avant son service après-vente en annonçant que tous les smartphones défectueux seront remplacés. Malheureusement pour la marque, les problèmes se multiplient. C’est alors qu’elle commet sa première erreur. Au lieu de jouer la carte de la transparence, Samsung joue celle de la prudence. Sans en dire davantage sur les causes du problème, elle conseille, le 10 septembre, à tous les usagers d’éteindre leur appareil et de ne plus les charger. Au-delà de l’impact sur son image de marque, le coût financier de cette crise est énorme. Au total, l’incident pourrait coûter à l’entreprise jusqu’à un milliard de dollars. Sans compter son cours de Bourse qui s’est effondré de 7 % le jour de l’annonce, faisant chuter la valorisation de quatorze milliards d’euros.

 

Assurer la cohérence

 

En dehors du principal problème, industriel, l’exemple Samsung récent montre à quel point les entreprises n’ont plus le droit à l’erreur en matière de dialogue avec leurs consommateurs. D’une relation « one to many », elles sont passées à une communication « many to many ». Une opportunité pour elles de s’adresser directement à leurs clients mais aussi un risque car la production du contenu lui échappe en partie. « Pour l’entreprise, le piège est de penser que cette multitude d’informations signifie mieux communiquer », prévient Jacques Jordan, ancien directeur de la communication de Michelin. Pour assurer une cohérence dans tous ces échanges, seule la direction de communication peut agir. « La communication ne doit pas se limiter à gérer l’image de l’entreprise. Elle doit se concentrer désormais sur sa réputation. Pour cela, elle ne peut plus se focaliser uniquement sur la cohérence des messages émis mais doit aussi veiller à ce qu’ils aient du sens », analyse Jacques Suart, consultant et ancien directeur de la communication de Lafarge, Schneider, PPR et Elior.

 

Plus que jamais, la communication joue donc un rôle stratégique crucial. Longtemps considérée comme le parent pauvre du marketing, elle a gagné son indépendance grâce au numérique. Sa mission ? Irriguer les stratégies de communication afin de s’assurer que la société envoie le même message à l’ensemble de ses publics?: clients, collaborateurs et  actionnaires. « Avec le digital, le rôle d’une direction de la communication dans le secteur B to B va au-delà de la gestion de l’image. Il nous permet de créer de nouveaux moyens d’interagir avec nos cibles. Par exemple, les bannières de publicité incitent l’internaute à visiter notre site sur lequel il a la possibilité d’interagir avec nos experts », complète Virginie Régis, directrice marketing et communication de Capgemini.

 

Une révolution qui s’observe également dans les modes de fonctionnement. « Le numérique nous oblige à revoir notre façon de travailler en interne. L’organisation doit s’adapter à la versatilité des consommateurs. Il faut réussir à créer un esprit de start-up dans un grand groupe. Pour y parvenir, nous devons casser les silos, raccourcir les hiérarchies, créer des outils collaboratifs et favoriser la prise de risque en rappelant le droit à l’échec », témoigne Olivier Cavil, directeur de la communication de Pernod Ricard. Autre conséquence directe de cette mutation, il existe de moins en moins de différence entre communication interne et externe. « Tout ce qui est dit en interne doit pouvoir être dit en externe et vice versa », juge Olivier Cavil.

Dans les faits, cela se traduit par un mix qui permet un brassage des expertises. Chez Pernod Ricard par exemple, le community manager participe à la rédaction du rapport annuel. Ainsi, le groupe a lancé l’an dernier un jeu sur les réseaux sociaux dont les gagnants avaient la possibilité de rencontrer Alexandre Ricard, le P-DG. L’échange issu de cette rencontre a donné lieu à une interview retranscrite dans le rapport annuel et a remplacé le traditionnel mot du président.

 

Au-delà de l’amélioration des anciennes formes de communication, le numérique permet d’établir une relation directe avec les consommateurs. Un phénomène qui n’en est pas à ses débuts mais qui continue de prendre de l’ampleur. « Nous avons commencé à nous adresser directement aux consommateurs à partir de 2007, à la demande des compagnies aériennes, explique Rainer Ohler, directeur de la communication d’Airbus Group. Au départ, l’axe de communication se limitait aux sujets environnementaux. Aujourd’hui, nous allons beaucoup plus loin dans notre stratégie de communication. Nous avons une véritable logique B to B to C pour toucher les passagers ». Cela se traduit aussi en interne. « Près de la moitié de nos salariés travaillent en usine, ils n’ont donc pas tous accès à un ordinateur. Pour communiquer avec eux, nous avons mis en place un réseau de 800 télévisions qui diffusent nos informations auprès de nos collaborateurs, » ajoute Rainer Ohler.

 

Adapter le contenu

 

Pour que ces outils soient performants, encore faut-il les alimenter avec du contenu pertinent. « L’essor du numérique ne doit pas faire oublier la valeur des idées, prévient Frédéric Fougerat, directeur de la communication d’EliorGroup. Le risque est de faire disparaître les profils de créatifs au profit des techniciens. Il faut réussir à trouver un équilibre sinon la communication se transformera en un simple système d’information ». En effet, alors qu’il y a de plus en plus d’informations disponibles, les personnes y consacrent de moins en moins de temps. « Le digital a transformé l’accès, les modes de consommation, de diffusion et de partage de l’information. La qualité du contenu est l’enjeu numéro un, » analyse Virginie Régis. Les entreprises doivent donc « packager » leur contenu de façon à ce qu’il attire l’œil des consommateurs. Si les entreprises continuent à produire des études sur leur secteur, elles doivent modifier ce format trop lourd pour qu’il soit relayé sur le Web. Elior, qui avait réalisé une étude poussée sur les habitudes alimentaires de la génération Y, a retraité l’information sous forme de chiffres clés repris sur les réseaux sociaux. Une initiative qui lui a permis de gagner 3?000 followers en quelques semaines.

 

Comme dans la presse, les entreprises se mettent à la création de vidéos courtes et d’infographies. « La direction de la communication doit gérer ces nouveaux formats dans des cadres budgétaires contraints. C’est pourquoi nous avons développé de nouvelles compétences et repensé notre organisation jusqu’à la mise en place d’une agence de création digitale en interne, » témoigne Virginie Régis. Chez Capgemini un responsable contenu assure même la cohésion entre l’ensemble des contenus produits par les experts de l’entreprise. Une fois qu’il a sélectionné ce qui lui semble pertinent, il s’occupe de le retraiter avant de le rediriger en fonction des différents services potentiellement intéressés.

 

L’échange de l’information est tellement facilité que certains s’interrogent déjà sur l’avenir des relations entre l’entreprise et les médias traditionnels. « Nos relations ont évolué dans le sens où ils ne sont plus en situation de monopole », estime Rainer Ohler. « Pour autant, les médias restent primordiaux pour la communication d’une entreprise car ils apportent de la crédibilité. Ils restent  l’un des axes clés dans la stratégie d’opinion », complète Jacques Suart.

 

Anticiper les crises

 

La gestion de crise a elle aussi profondément évolué. « Il faut profiter des outils offerts par le numérique pour frapper vite et fort. C’est le meilleur moyen d’étouffer le feu car, une fois qu’il s’est embrassé, on court après », met en garde Jacques Suart. Pour y parvenir, les entreprises misent sur le déploiement d’outils de veille et de process. « Nous avons mis en place une procédure extrêmement stricte en fonction de trois niveaux d’alerte. Tous les salariés de Pernod Ricard ont reçu une carte d’alerte et savent qui ils doivent prévenir et comment ils doivent agir et communiquer en fonction de chaque situation. Cette couverture nous permet d’avoir une vision à 360° », témoigne ainsi Olivier Cavil.

 

De son côté, Airbus met l’accent sur les réseaux sociaux. « L’instantanéité du numérique nous permet d’agir le plus tôt possible. Pour cela, nous avons mis en place des solutions de monitoring et de systèmes d’alerte dédiés. Grâce à notre présence internationale, les équipes sont opérationnelles 24/24?h en cas de crise », explique Rainer Ohler.

 

Les entreprises peuvent également se servir des réseaux sociaux pour gérer des situations de crise plus traditionnelles. Dernier exemple en date, le 13 septembre, dans le magazine d’investigation d’Elise Luzet lorsque Nestlé est mis en cause pour l’usage de nitrites dans les charcuteries de sa marque Herta. Ingrédient qui, selon plusieurs études, favoriserait l’apparition de cancers. Pour se défendre, le groupe indique que ce produit est nécessaire pour protéger les consommateurs d’une autre maladie, le botulisme. Selon l’émission, Herta n’utilise pas les nitrites à cette fin – des sociétés danoises n’en emploient pas et la maladie n’est pas réapparue pour autant – mais pour assurer une meilleure présentation de ses produits. Sans cet ingrédient, les charcuteries arborent une couleur marron peu appétissante. Face à ces accusations, Nestlé a accepté de répondre aux questions de la journaliste. Arnaud de Belloy, président de Herta, a encaissé  les coups sans trop convaincre. Mais cette stratégie a toutefois permis au P-DG du groupe, Richard Girardot, d’être épargné. Mieux, celui-ci a pu, dans la foulée, utiliser Internet pour riposter en rédigeant un billet sur son blog?: « Non, le botulisme n’a pas disparu, et l’Agence de santé publique nous le rappelle justement. Par ailleurs, et grâce en grande partie à la réglementation à laquelle se soumettent tous les producteurs, le nombre de cancers et en particulier de cancers colorectaux est en baisse depuis 2005. » Un moyen pour Nestlé d’avoir le dernier mot sur Internet sans pour autant dire toute la vérité sur ses méthodes de fabrication.

 

Pas sûr donc que le numérique soit porteur de la transparence vantée par les communicants. « Les réseaux sociaux font que chacun, expert ou non, s’exprime avec un même niveau de valeur. Difficile alors de savoir qui a raison », explique Frédéric Fougerat. Pour les entreprises, le risque est de se faire prendre la main dans le sac. « À l’heure du numérique, le plus grand danger reste qu’on décèle une différence entre les mots et les faits, » prévient Jacques Suart. En optant pour la prudence, Samsung a fait une bonne opération car minimiser l’ampleur du phénomène aurait pu lui coûter cher en cas d’incidents graves. En communication, on peut sortir d’une crise grandi à condition d’assumer ses erreurs.

 

Vincent Paes

 

Pour compléter le sujet, retrouvez les entretiens de :

- Virginie Régis (Capgemini) : « L’expertise de nos collaborateurs au cœur des interactions »

- Véronique Creissels (Airbus) : « Valoriser la notoriété acquise auprès des passagers »

- Frédéric Fougerat (Elior) : « Nos fans sont notre meilleure assurance »

- Laetitia Olivier (FDJ) : « Nous avons plus que jamais un rôle stratégique »

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