Marc Henry fait ses premiers pas en tant que président de l’AFA en septembre 2017 alors qu’il est également associé au pôle contentieux et arbitrage du cabinet Hughes Hubbard. Une double spécialité qui s’inscrit dans la tradition des précédents présidents de l’institution. Il revient pour Décideurs sur les orientations de son mandat et sur sa vision de l’arbitrage.

Décideurs. Vous venez d’être nommé président de l’Association française d’arbitrage (AFA). Quelles lignes directrices allez-vous donner à votre mandat ?

Marc Henry. L’AFA existe depuis soixante ans et a connu des arbitrages aux enjeux tout à fait considérables. Au cours des dernières années, son activité s’est un peu ralentie. La ligne principale de mon mandat est de redynamiser l’institution en la faisant rayonner tant au plan national qu’international. Au plan national, j’entends promouvoir l’arbitrage institutionnel domestique et donc l’AFA qui reste la meilleure solution pour ce type de contentieux. La pratique démontre que ce type de résolution des litiges n’est pas encore entré dans la culture d’entreprise. En particulier, trop peu de statuts de sociétés ou de pactes d’actionnaires contiennent des clauses d’arbitrage institutionnel. Notre rôle est de sensibiliser les acteurs économiques sur l’intérêt d’insérer de telles clauses, de sorte que les conflits entre actionnaires soient résolus par des spécialistes du droit des sociétés en toute confidentialité. La promotion de l’arbitrage passera par l’organisation d’événements dans les entreprises afin d’y développer une réelle culture de l’arbitrage.

Une accentuation de l’internationalisation de l’AFA vous semble-t-elle opportune ?

L’internationalisation de l’AFA reste l’un de mes objectifs. L’idée n’est pas de venir concurrencer la Chambre de commerce international (CCI) sur les grands arbitrages industriels transnationaux, mais certains des litiges commerciaux internationaux de type agence et distribution pourraient fort avantageusement relever d’arbitrages AFA. L’institution revendique un ADN français et a donc une vocation légitime à devenir un interlocuteur privilégié des centres et autres acteurs économiques africains francophones. C’est pourquoi nous songeons à accroître notre présence sur ce continent. Nous expliquons à ces acteurs qu’un arbitrage africain sous règlement AFA est possible tout en relevant du droit uniforme Ohada*. Une coopération avec les différentes institutions arbitrales est également envisagée, tout comme avec la Caraïbe et, plus au sud, avec l’Amérique latine, en particulier le Brésil. Une vraie culture juridique française du droit de l’arbitrage existe dans ce pays, ce qui doit à nouveau faire de l’AFA un interlocuteur privilégié.

Quelle est la place de l’arbitrage dans le système contemporain ?

La justice étatique est critiquée à juste titre : elle souffre d’un déficit de confiance de la part des justiciables qui se voient imposer des délais insupportables pouvant atteindre jusqu’à six ans et plus pour obtenir une décision définitive. Compte tenu de la hausse des contentieux, nous constatons que nombre de décisions judiciaires sont très insuffisamment motivées avec pour conséquence un système judiciaire qui ne remplit plus son rôle pédagogique. A contrario, l’arbitrage tend à s’installer dans le paysage contemporain en comblant les déficits actuels de l’ordre judiciaire par une plus grande écoute de l’arbitre et un gage de confidentialité. L’AFA est une entité souple reposant sur un règlement accessible avec un comité qui supervise le suivi des procédures. Son autonomie financière et la possibilité que l’arbitrage donne aux parties de constituer leur propre tribunal permettent d’apporter aux procédures organisées sous son égide les garanties d’indépendance, d’éthique et de confiance auxquels aspirent les acteurs économiques. 

Le coût de l’arbitrage est souvent un frein. Qu’en pensez-vous ?

Lors du dernier conseil d’administration de l’AFA, nous avons décidé la création d’un groupe de travail qui étudiera le coût respectif des procédures judiciaires et arbitrales. Certains arbitrages sont et resteront plus onéreux, mais cela n’est pas toujours le cas. Dans l’esprit des praticiens, le recours à l’arbitrage nécessite un investissement financier en amont pour voir traiter les litiges alors que cela est gratuit devant les instances judiciaires. Mais la tarification s’explique par la différence du service rendu. L’arbitrage a effectivement un coût, mais c’est le prix d’une meilleure justice où des arbitres prennent le temps de vous écouter, d’écrire et de motiver en détail leurs décisions. Il permet aux entreprises de mieux anticiper les délais de procédure et de mieux évaluer les risques financiers. Par ailleurs, il ne faut pas croire que l’arbitrage soit réservé aux contentieux à forts enjeux. La procédure et le règlement peuvent être adaptés aux litiges de moindre coût sans que cela signifie une justice au rabais. Je n’associe pas forcément l’arbitrage de petits différends à un mécanisme accéléré. Vitesse et précipitation ne doivent pas être confondues, car l’enjeu financier ne rend pas une affaire plus complexe. La procédure doit être adaptée au cas, et en fonction de la complexité de l’affaire être organisée pour limiter le coût en faisant par exemple l’économie de l’audience, des témoignages ou de l’audience de plaidoirie.

Quel avis portez-vous sur le développement de plateformes d’arbitrage en ligne ?  

Nous travaillons à l’organisation d’arbitrages commerciaux en ligne en recourant à des plateformes virtuelles numériques, et ce pour réduire les coûts de procédure. Nous n’allons cependant pas faire de l’arbitrage de consommation de masse comme peuvent le proposer certains espaces numériques en ligne. L’arbitrage et la médiation ont leur rôle à jouer dans ce type de litige, mais ce n’est pas le créneau de l’AFA. La création de ces services d’arbitrage de masse peut correspondre à un réel besoin de justice, au même titre que les actions de groupe ont été instituées devant les tribunaux pour remédier à la carence du système judiciaire. Ces espaces proposent des prix attractifs, mais semblent toutefois ne s’appliquer qu’à des procédures comportant un nombre limité de pièces. Dès lors que les valeurs essentielles de bonne justice sont respectées et qu’un traitement serein et équitable est assuré, je pense que ces nouveaux services pourront, s’ils trouvent leur modèle économique, s’avérer utiles.

Comptez-vous promouvoir l’arbitrage d’urgence ?

L’arbitrage d’urgence est encore méconnu. Je pense pourtant que cette procédure est particulièrement adaptée à l’effectivité recherchée par les parties, le référé judiciaire s’avérant souvent incapable de répondre aux impératifs de célérité souhaités. Évidemment, cette célérité dans la décision nécessite un investissement et une disponibilité totale de l’arbitre. Les parties peuvent convenir que cette procédure d’urgence se fera sans plaidoirie et sous la forme d’un simple échange de mémoires. Je crois beaucoup à cette forme d’arbitrage, car la justice judiciaire, malgré la meilleure volonté des magistrats, rencontre les plus grandes difficultés à traiter sereinement une partie du contentieux qui lui est soumis.  

*Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. 

A.L

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