Développement international, transmission, conflit familial, réorganisation du patrimoine de la famille : le passage de sociétés françaises sous giron étranger a de multiples causes. Mais aussi plusieurs visages. Actionnariat, emploi, siège juridique en France : les cas de figure envisageables sont multiples.

La France fait partie des cinq pays les plus attractifs au monde pour les investisseurs étrangers, apprenait-on dans une étude du cabinet A.T. Kearney publiée le mois dernier. Selon un rapport de Business France datant du mois d’avril, le nombre d’investissements étrangers a progressé de 2 % l’an dernier pour atteindre un niveau inégalé depuis onze ans. Dans le même temps toutefois, le nombre d’emplois créés ou maintenus dans l’Hexagone est passé de 33 489 à 30 302. Ces différentes données offrent un aperçu de la complexité du maintien des entreprises familiales en France, mais aussi des multiples enjeux, parfois contradictoires, que la question soulève.

Le chiffon rouge de La fiscalité

L’affaire avait défrayé la chronique : en 2012, le patron de LVMH Bernard Arnault demandait la nationalité belge et déclenchait un raz-de-marée politico-médiatique. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et la France a pris plusieurs mesures fiscales, dont la suppression de l’ISF. Cet impôt a été « une source de destruction phénoménale d’entreprises familiales et a handicapé leur croissance », estime Céline Barrédy, professeur à l’Université de Lorraine. Toutefois, le problème est culturel autant que fiscal. « L’image des entreprises familiales pâtit de la confusion qui existe entre patrimoines personnel et professionnel », poursuit-elle. Un phénomène néanmoins circonscrit aux très grandes fortunes, les petites et moyennes entreprises familiales bénéficiant au contraire d’une bonne image.

Un ancrage territorial fort

« Le législateur a fait des efforts pour maintenir les entreprises familiales en France, affirme Éric Thouvenel, associé KPMG, responsable national PME, ETI & entreprises familiales. L’outillage juridique et fiscal actuel permet dans bien des cas aux chefs d’entreprise de bénéficier de droits de succession modestes. S’ils partent, c’est souvent pour d’autres questions, liées par exemple à la flexibilité du travail. » Un avis que partage Émilie Bonamy, dirigeante d’ELB Conseil et spécialiste de la co-construction des gouvernances en changement, qui rappelle que les modalités de transmission en France ne sont pas moins favorables que dans d’autres pays, ce qui contribue à leur maintien sur le territoire, maintien par ailleurs favorisé par un fort ancrage local. « En cas de conflit ou de mauvaise transmission en revanche, le risque est que l’entreprise soit rachetée par des investisseurs étrangers. » Cela a par exemple été le cas de Lacoste, du Club Med ou encore d’Alcatel.

"L'outillage juridique et fiscal actuel permet de bénéficier de droits de succession modestes"

Une vision avant tout politique

Mais l’arrivée d’investisseurs étrangers n’est pas forcément une mauvaise chose. « Si une entreprise familiale veut croître, il est souvent nécessaire qu’elle ouvre son capital et sa gouvernance », rappelle Miruna Radu-Lefebvre, titulaire et fondatrice de la Chaire entrepreneuriat familial et sociétés et professeur d’entrepreneuriat au sein de l’école Audencia. « Rester familial ne veut pas dire préserver un capital 100 % familial. Une implication à hauteur de 50 % voire 25% suffit pour que l’entreprise continue à se nourrir des valeurs familiales. » C’est par exemple le cas de l’entreprise cotée Sodexo, contrôlée à 40 % par la famille Bellon tout en ayant accueilli des fonds américains à son capital. Comme le résume Éric Thouvenel, « être une entreprise française, cela peut signifier avoir un actionnariat français, un siège français ou des employés français. » Et pour cela, des capitaux étrangers peuvent avoir un rôle à jouer, au cœur même des territoires.

Camille Prigent

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