Et si au-delà du bon vieux spectre de la faillite française, la vraie question posée était : pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à se désintoxiquer de la dépense publique ? Par Émilie Vidaud.
« À l’été 2011, j’ai demandé à rencontrer Michel Sapin, François Hollande et Pierre Moscovici, qui siégeaient à la commission des finances. Je voulais leur expliquer l’état des comptes de la France et leur préciser que le potentiel départ de Nicolas Sarkozy n’arrangerait rien à cette situation critique. Moscovici a décliné l’invitation. Quant à François Hollande et Michel Sapin, ils ont adhéré à mes conclusions avant d’ajouter "tu as raison mais on ne peut pas tenir ce discours si on veut gagner les élections. On est obligé de faire des promesses. On verra après" ». Une anecdote rapportée par Gilles Carrez, le président UMP de la commission des finances de l’Assemblée nationale qui en dit long.
« Après » est rapidement devenu aujourd’hui. Deux ans ont passé depuis l’élection de François Hollande à la présidence de la France. Et si l’on s’en tient aux chiffres, le bilan est loin d’être reluisant.

« Plus on s’endette moins ça coûte »

En 2013, le niveau d’endettement de la France correspond à 93,5 % du PIB contre 90,2 % en 2012. La dette française s’élève à 1 900 milliards d'euros soit l’équivalent de 30 000 euros par Français.
Le plan tracé par le gouvernement Ayrault prévoyait qu’en 2013 l’écart entre les recettes et les dépenses serait ramené à 3 % du PIB. En juin dernier, Pierre Moscovici allait même jusqu’à traiter Gilles Carrez de « menteur » alors que les prévisions de ce dernier tablaient sur un dérapage du déficit du PIB autour de 4 %. À la fin de l’année 2013, le déficit public s’élevait bien à 4,3 %, l’équivalent de 87 milliards d’euros à emprunter. « Tous les ans, la dette française est alimentée par le déficit », explique le député UMP du Val-de-Marne avant de poursuivre, « Toute la classe politique se polarise sur la règle des 3 % qui est perverse parce qu’elle laisse entendre qu’à 3 % tout va bien. Sauf que c’est 3 % du PIB français, soit tout de même soixante milliards d’euros à emprunter ».
Mais pourquoi se gêner quand on sait que « plus on s’endette moins ça coûte », ironisait un membre de la commission des finances. En effet, entre 2002 et 2012, la dette française en stock a progressé de plus de 60 % et à peine de 15 % sur les intérêts, qui sont passés en dix ans de 37 milliards d’euros à 42 milliards d’euros. Il y a comme un hic, surtout que la France est désormais en situation de déficit primaire et se positionne au-delà du solde qui lui permet de stabiliser sa dette par rapport à son PIB. Effet boule de neige garanti.

Pas un seul budget voté en équilibre depuis 1981

Aussi surprenant que cela puisse paraître, « à la fin des années 1970, la France était le pays développé le moins endetté du monde avec un niveau de dette à peine supérieur à 20 % au début des années 1980 », affirme Gilles Carrez. Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader. Pas un seul budget n’a été voté à l'équilibre depuis 1981. Chaque année, la dette française a augmenté alors que l’Hexagone n’a jamais vraiment connu de crise économique aussi paroxystique que celles que la Suède, le Canada ou le Royaume-Uni ont pu traverser au cours des trente dernières années. « Si la dépense sociale a été mieux maîtrisée, celle des administrations publiques locales a augmenté de 13,9 % entre 2007 et 2012 », alerte le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer. En 2013, c’est le seul secteur à voir son déficit se creuser, passant de 5,4 à 9,2 milliards d’euros.
La France emprunte chaque année plus ou moins 200 milliards d’euros. Pour 2014 et selon la loi de finance, le pays émettra 173 milliards d'euros de dette à moyen et long termes. Cela fait de l’Hexagone le second plus gros emprunteur de la zone euro derrière l’Italie, dont le programme s’élève à 235 milliards d’euros.
Mais, qui sont ceux qui prêtent à l’État français ? Aux deux tiers, ce sont des étrangers parmi lesquels la moitié est non-européens. « C’est miraculeux car notre pays lève une dizaine de milliards d’euros tous les 15 jours. Pour le moment, nos créanciers nous font confiance », confie Gilles Carrez. Deux raisons à cela. L’euro a joué un rôle d’anesthésiant et permis à la France de continuer à vivre à crédit dans les meilleures conditions possibles. « Il y a des liquidités internationales colossales qui ne peuvent pas être investies en dollar et se placent en euro. De façon quasi-mécanique les investisseurs institutionnels stables prennent des obligations d’État françaises. Nous avons donc une certaine stabilité de nos créanciers », renchérit le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. La seconde tient à l’histoire de la France qui n’a jamais fait faillite et a toujours remboursé sa dette depuis 1798.
Cela n’empêche pas le niveau d’endettement de la France de croître. « De nombreuses réformes sont intervenues, en particulier dans les régimes de retraite. Cet effort doit bien sûr être salué mais il apparaît très insuffisant », martèle Christian Noyer. À horizon 2017, la dette française devrait atteindre 100 % du PIB. Une zone dangereuse qu’il vaudrait mieux ne pas franchir selon les experts.

« On a fait un certain nombre de choses mais il était déjà trop tard »

Malheureusement, toucher aux dépenses publiques est toujours très délicat en France. « Sous Chirac c’était inenvisageable et sous Sarkozy, ce fut très compliqué », confirme le rapporteur général de la commission des finances de l’époque.
Mais, en 2010, la situation était telle qu’il n’y avait pas d’autres choix que d’agir sur les dépenses. Le gouvernement Fillon a pris le parti d’augmenter fortement les impôts. « On a fait la réforme des retraites, on a systématisé le un sur deux [non remplacement d’une partie des fonctionnaires qui partent en retraite], on a mis en place la révision générale des politiques publiques (RGPP) avec un objectif comptable, c’est-à-dire faire des économies affichées. On a fait un certain nombre de choses mais il était déjà trop tard », confesse Gilles Carrez. Rapidement, en effet, ces mesures sont devenues un enjeu électoral : François Hollande a fait campagne contre elles avant de supprimer la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, de stopper la RGPP et de remettre en cause la réforme des retraites lors de son accession au pouvoir en mai 2012.
Contre toute attente, le gouvernement Ayrault a aussi fait le choix d’une nouvelle hausse d’impôt sans tenir compte de la très grosse augmentation qui avait été décidée en 2011 et qui commençait à produire ses effets en 2012. « Les Français se sont vus imposer deux points et demi de PIB d’augmentation d’impôt. C’est considérable ! », dénonce le député du Val-de-Marne. En écho raisonne encore le vieux précepte « trop d’impôt tue l’impôt »…

Programme de stabilité : « Le déficit serait ramené à 55 milliards »

Tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’il faut désormais agir sur les dépenses puisqu’il n’est plus possible aujourd’hui d’agir sur les impôts. Cinquante milliards d’économies en trois ans, c’est l’objectif ambitieux fixé par le programme de stabilité. Reste à savoir comment ?
« Évidemment, ces économies ne sont pas calculées en net mais par rapport à un tendanciel », explique Gilles Carrez. Mais qu’est-ce qu’un tendanciel ? Concrètement, vous êtes un ménage, vous dépensez cent euros par année et vos revenus réels sont de quatre-vingts euros. Vous allez voir votre banquier pour l’informer que l’an prochain vous comptiez dépenser 120 euros mais que finalement vous ne dépenserez que 110 euros ce qui revient à faire dix euros d’économies. Alambiqué et tout à fait subtil appliqué au budget de l'État.
Pour obtenir cinquante milliards d’économies en trois ans, « le gouvernement va se baser sur un tendanciel de 35 milliards d’euros par an », explique le président UMP de la commission des finances avant de poursuivre : « Le raisonnement est le suivant : notre dépense publique s’élève à 1 200 milliards d’euros. Chaque année pendant trois ans le déficit va augmenter de 35 milliards d’euros pour atteindre fin 2017, selon les prévisions, 105 milliards d’euros. Comme le gouvernement devrait réaliser cinquante milliards d’euros d’économie, le déficit serait ramené à 55 milliards. Et on appelle cela l’austérité ! », ironise Gilles Carrez avant de concéder qu' « il y a quand même un effort ».

Scénario catastrophe : la perte de confiance des créanciers

Si on n’arrive pas à contenir les dépenses publiques, que se passera-t-il ? « Tout va se jouer dans la période à venir. Si on ne fait pas cet effort, on ne regagnera pas en compétitivité, l’emploi ne repartira pas et on ne s’en sortira pas », affirme le gouverneur de la Banque de France qui invite, dans sa lettre adressée au président de la République le 24 avril dernier, à une gouvernance globale des finances locales. Outre un financement des collectivités territoriales encadré par la loi [avec les mêmes objectifs et le même caractère normatif que la loi de financement de la sécurité sociale], Christian Noyer insiste sur la nécessité de contenir les dépenses de personnel de la fonction publique territoriale notamment avec une diminution des effectifs. « En 2013, malgré le gel du point d’indice de la fonction publique, la masse salariale de la fonction publique a augmenté de près de cinq milliards d’euros, soit autant que l’économie réalisée sur la charge de la dette publique grâce au bas niveau des taux d’intérêt », rappelle Christian Noyer.
Pour l’ancien rapporteur général de la commission des finances, la seule question qui vaille est : « Combien de temps garderons-nous la confiance de ceux qui nous prêtent ? » car un jour ou l’autre, les créanciers de la France pourraient bien perdre confiance. Et alors « c’est dans la violence et dans le plus grand désordre que la France sera obligée de donner un grand coup de sécateur dans les dépenses publiques », avertit le président UMP de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

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