Alors qu’il y a très peu de temps encore, les cabinets d’avocats ne se préoccupaient que rarement d’accueillir en leur sein des profils issus de la diversité (de genre, d’origine sociale, de croyance…), aujourd’hui, ils reconsidèrent ces questions de plus en plus prégnantes. Passage en revue des initiatives déployées pour mettre fin à l’uniformisation des équipes et pour que les cas d’école deviennent la norme, sans pour autant renoncer aux standards d’excellence.

« Avez-vous des candidats handicapés? » Il fallait oser. L’un des clients de Mélanie Tremblay, la chasseuse de têtes spécialiste des professions juridiques, l’a fait. L’insertion des personnes handicapées dans ce secteur est l’un des sujets du moment, les initiatives se multiplient pour régler la question, à l’image de l’association Droit comme un H, et les organisations juridiques réfléchissent de plus en plus à la manière d’adapter leur exercice aux différentes formes de handicap. Rares sont encore les cabinets à compter dans leurs effectifs des avocats en situation de handicap. D’ailleurs, le taux de chômage des personnes handicapées s’élève en France à 19 %, c’est-à-dire près de deux fois le taux national, alors qu’elles représentent 7 % des 15-64 ans (source: Agefiph, mars 2019). « Nos environnements de travail sont pourtant facilement adaptables », relève Hervé Pisani, à la tête du bureau de Paris de Freshfields et qui a accueilli il y a deux ans un stagiaire aveugle. Pourquoi le handicap est-il alors si peu intégré aux professions du droit ? Le Cercle Montesquieu, sous la présidence de Laure Lavorel, s’est posé la question. Une nouvelle commission vient d’être créée, dirigée par Helena Pons-Charlet, chez Microsoft, avec l’objectif de récolter des chiffres grâce à une enquête auprès des membres de l’association. Pour Laure Lavorel, le manque de diversité au sein des organisations est un frein. Elle avance un argument choc : « N’importe qui peut se retrouver demain frappé d’infirmité. » Une manière d’impliquer le plus grand nombre.

Balbutiements

Chez les avocats, certaines initiatives doivent être relevées, comme chez Eversheds – un cabinet d’ailleurs engagé aux côtés du Cercle Montesquieu sur ces questions – qui a créé le réseau Ability visant à faciliter l’accessibilité des personnes handicapées et à sensibiliser l’ensemble des collaborateurs aux situations particulières auxquelles elles sont confrontées. Chez Reed Smith, l’exemple vient de Londres, un bureau dans lequel exerce un avocat admiré de tous pour son professionnalisme. La managing partner de l’équipe parisienne, Natasha Tardif, le présente : « C’est un garçon venu d’Inde, qui a étudié le droit aux Pays-Bas en raison d’une politique d’immigration favorable, il est ensuite allé en Angleterre faire convertir ses diplômes et a commencé à passer des entretiens à un âge qui était plus avancé que celui d’un jeune collaborateur classique, raconte l’avocate. Ce que je n’ai pas encore précisé, c’est qu’il est en fauteuil roulant, qu’il a besoin d’un accompagnement par une personne à plein temps puisqu’il ne peut pas bien se servir de ses mains et qu’il souffre de plusieurs troubles. C’est aujourd’hui l’un des éléments les plus actifs de son département, c’est lui qui prend le plus d’initiatives, qui a toujours de nouvelles idées. Il travaille énormément. »

La plupart des cabinets avouent néanmoins ne pas avoir réfléchi à la question, et envisagent parfois de l’évoquer à l’avenir. « Nous en sommes encore aux balbutiements en la matière, note Xavier de Kergommeaux, l’associé dirigeant de Gide, notamment par rapport aux politiques d’égalité hommes/femmes ou à la recherche de la diversité », complète celui qui a créé une commission diversité et égalité au sein du géant français.

La récolte de données est interdite en France

Il est vrai que les politiques en faveur de la diversité se multiplient au sein du barreau d’affaires. C’est-à-dire celles qui érigent comme priorité l’inclusion des personnes différentes de l’homme blanc hétérosexuel issu d’une famille aisée et formé sur les bacs d’Assas ou La Sorbonne. La mixité femmes/hommes constitue un axe étudié à la lumière des chiffres (lire pages 24 et suivantes). La récolte de données concernant l’origine sociale, la religion, l’ethnie ou l’orientation sexuelle est en revanche interdite en France. Ce qui rend encore plus difficile le chemin vers la mise en place d’outils efficaces de mixité dans la composition des équipes, ce que certains déplorent mais que d’autres préfèrent encore pour ne pas écorner le dispositif de protection contre les discriminations. Quoi qu’il en soit, deux arguments poussent les cabinets à entamer des démarches inclusives là où il y a encore quelques années, la diversité n’était qu’une question d’opportunité, les cabinets n’en faisant pas un objectif de recrutement.

Pour rendre compatible ce besoin de diversité et cette recherche d’excellence, la solution réside peut-être dans la mise en place de mentoring, de tutorat, pour les nouveaux arrivants

Le premier concerne la satisfaction client. « La pression des entreprises s’est accrue, confirme Hervé Pisani. Il arrive même que dans le cadre de l’exercice des panels, le client exige que l’équipe d’avocats qui se présente à lui soit entièrement mixte. » C’est surtout le cas des grands groupes français, pour lesquels la politique éthique et RSE prend de plus en plus d’importance et qui s’efforcent de ne faire appel qu’à des prestataires répondant à ces critères de diversité. « Mais heureusement, ce n’est pas le moteur d’une impulsion sur le sujet, poursuit Hervé Pisani, avant d’avancer le deuxième argument. La richesse d’une organisation provient de sa diversité, tout angle confondu. » C’est ainsi un élément de bien-être au travail, l’inclusion de personnes différentes enrichissant les rapports humains et créant la satisfaction personnelle de s’ouvrir aux autres : « Le sujet de la diversité est à la fois altruiste et égoïste, explique Natasha Tardif. On peut le percevoir comme une ouverture vers ceux qui ne nous ressemblent pas, souvent par bienveillance. Mais, en réalité, c’est l’organisation elle-même qui en tire profit parce que c’est une occasion de motiver nos équipes, de les fédérer autour de projets source de fierté. » À Paris, c’est grâce à un partenariat avec l’association Tournesol, qui favorise l’intégration professionnelle des personnes autistes, qu’un stagiaire atteint d’autisme a intégré Reed Smith, et a par la suite été embauché.

Natasha Tardif, Reed Smith : « Le sujet de la diversité est à la fois altruiste et égoïste »

Faire des étincelles

Le principal élément sur lequel travaillent actuellement les cabinets, c’est celui de l’origine sociale. Il est communément admis que ces structures recrutent essentiellement dans des formations qui sont elles-mêmes très peu inclusives. Le réflexe des cabinets d’avocats d’affaires consiste toujours à chercher les CV affichant des doubles diplômes reconnus et souvent une formation à l’étranger. Or, ces CV correspondent principalement à des candidats provenant de milieux favorisés. Pour remédier à ce problème, le barreau d’affaires utilise les dispositifs mis en place par l’association « Viens voir mon taf », réservée aux élèves des établissements des Réseaux d’éducation prioritaire. De nombreux cabinets accueillent et encadrent ainsi un stagiaire en classe de troisième pour une semaine, et l’accompagnent ensuite dans sa carrière. Hervé Pisani a, lui, participé à la journée des métiers dans un collège à Argenteuil : « En sortant, je me suis dit que si nous parvenions à canaliser toute l’énergie que j’ai ressentie chez ces jeunes, nous pouvions faire des étincelles! » Reste à les convaincre que tout est possible, que le métier d’avocat n’est pas réservé à une tranche favorisée de la population et que celui ou celle qui sera parvenu aux portes d’un cabinet d’affaires sera certainement perçu comme quelqu’un de beaucoup plus méritant qu’un profil classique, élevant ainsi son niveau d’employabilité. « Il nous arrive parfois de constater qu’un client a une approche différente de recrutement, complète Mélanie Tremblay chez SSQ. Ils vont alors chercher une culture qui fait défaut au cabinet, ce qui arrive de plus en plus fréquemment. » Et, par « culture », il faut entendre nationalité, croyance, origine sociale…

Hervé Pisani, Freshfields : « La richesse d’une organisation provient de sa diversité, tout angle confondu »

Mener une politique d’inclusion efficace

Viennent ensuite les questions sur la méthode. Si aucune donnée n’est disponible sur les éléments de diversité, comment mener une politique d’inclusion efficace ? « Se contenter d’avoir les idées claires sur le sujet n’est pas satisfaisant, suggère Xavier de Kergommeaux. Pour parvenir à constituer des équipes aux profils divers, il faut affirmer son engagement haut et fort en interne comme en externe. » En d’autres termes, le message d’accueil de personnes en provenance d’horizons variés doit être clairement exprimé et répété, sans quoi ils ne se porteront même pas candidat, ou baisseront les bras à la première difficulté, se répétant comme un écho que ce métier n’est pas fait pour eux. « Avoir une politique égalitaire assumée, affirmée, officielle et accompagnée de mesures concrètes est absolument indispensable », martèle le senior partner. Sauf que cette politique d’inclusion se confronte parfois à l’exigence d’immédiateté des cabinets d’affaires, qui recrutent des profils opérationnels pour répondre aux besoins des clients. Le barreau d’affaires n’est pas prêt à baisser son niveau d’exigence, là où les profils en provenance de réseaux moins visibles ont généralement besoin d’adaptation. Pour rendre compatible ce besoin de diversité et cette recherche d’excellence, la solution réside peut-être dans la mise en place de mentoring, de tutorat, pour les nouveaux arrivants… Un investissement ponctuel que les cabinets, souvent plongés dans la gestion courante de leur organisation et de leurs dossiers, ne sont pas prêts à faire. Peut-être parce que les chiffres font défaut…

Pascale D'Amore

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