Par Danielle Elkrief et Clément Walckenaer, avocats à la cour. Elkrief Avocats
Le développement de nouvelles technologies favorise une économie de fréquences, qui une fois libres sont elles-mêmes dévolues à de nouvelles technologies de communication. Le secteur de l’audiovisuel souhaite ne pas en pâtir à l’heure des réformes du CSA.

Le passage à la télévision numérique terrestre et l’arrêt de la télévision analogique n’ont pas fait qu’accroître le spectre de chaînes disponibles en voie hertzienne, mais ont aussi libéré de nouvelles fréquences, lesquelles ont partiellement permis de répondre aux besoins sans cesse croissants des opérateurs de télécommunications (1). SFR, Orange et Bouygues ont en effet pu se partager les fréquences dites «?en or?» (fréquences 790-830 MHz) couplées aux fréquences 2 600?MHz, aux fins de lancement de la 4G, pour un montant total de 3,6 milliards d’euros. C’est à l’aune de ce montant que l’État apprécie nécessairement la future répartition de la bande 700 MHz (694 – 790 MHz) qui secoue actuellement le secteur des télécommunications, mais pas seulement, et pour cause. Les éditeurs de service de télévision par voie hertzienne tiennent également à bénéficier d’une part du gâteau, portés par leurs efforts de passage à la haute (puis très haute) définition.

Le deuxième dividende numérique
Dans ce contexte, le CSA et l’Arcep entendent chacun faire valoir leur voix au chapitre, cette dernière ayant expressément appelé le Premier Ministre à une prise de position avant 2015 en faveur des opérateurs de télécommunications (2). L’empressement du Gouvernement à accélérer ce processus de répartition du deuxième dividende numérique dans le sens souhaité par l’Arcep trahit son désir de convertir la disponibilité de ces fréquences en espèces sonnantes et trébuchantes, aux fins de financer son budget Défense, sans attendre les conclusions d’un débat politique au niveau européen comme souhaité par Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne (3). Les acteurs du secteur de la télédiffusion hertzienne craignent pourtant une réaffectation totale de ces fréquences par l’Arcep, confrontés aux risques de «?gel de l'offre, impossibilité de répondre au passage à la haute définition, puis très haute définition, dégradation de la couverture territoriale, risque de sorties de chaînes vers d'autres supports -ADSL et satellites- avec, à terme, pertes pour le financement de la création audiovisuelle et cinématographique?» (4). Lors des Assises de l’Audiovisuel le 5?juin 2013, Alain Weill notamment mettait également en garde contre un affaiblissement de l’hertzien. D’ailleurs dès le lendemain de cette annonce par le Gouvernement (5), les ayants droit formulaient eux aussi leurs réserves par la voix de la SACD et de la SCAM, laquelle a émis «?le souhait que la présidence de la République sursoit à sa décision et permette de lancer la concertation […] plutôt que de jouer la carte du coup
de force?» (6).

Des tentatives de rapprochement CSA-Arcep

Sans revenir sur une décision qui semble inéluctable (7), une consultation a été lancée par le ministère de la Culture jusqu’au 25?juillet dernier, à laquelle le CSA avait invité l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel à participer. Si le projet de fusion entre le CSA et l’Arcep un temps envisagé n’a pas été retenu, un amendement visant à la création d’une commission commune aux deux institutions (8) a été adopté en première lecture lors de l’examen du projet de loi relatif à l'indépendance de l'audiovisuel public. Cette commission pourrait notamment se prononcer sur la réaffectation des fréquences de la bande des 700 MHz ou sur le «?processus de migration de la TNT vers les nouvelles formes de diffusion (DVB-T2) et de compression (extinction du MPEG2, généralisation du MPEG4 et introduction du HEVC) » (9). En tout état de cause, la question du financement de la production audiovisuelle devra participer de la réflexion plus globale, la SACD n’hésitant pas à proposer « que la moitié des fonds perçus par la vente devrait servir à financer la création audiovisuelle ainsi que le service public ». La Fédération française des télécoms vient pour sa part de publier le 16?juillet 2013 une étude soulignant sa participation croissante au financement de la culture, sans pour autant en tirer un profit équivalent, à la différence notable selon elle des acteurs « Over the top » (OTT) tels Apple, Google et Microsoft… En tout état de cause, l’intervention du CSA sur ces nouveaux réseaux de diffusion se fait d’autant plus pressante.

Régulation de la diffusion numérique
Si la télévision reste l’écran préféré des français, les ordinateurs, smartphones et tablettes prennent une place croissante, qu’il s’agisse de consulter des contenus parfaitement différents, complémentaires, voire identiques (10). On sait la difficulté qu’il y a de tenter de réguler les contenus sur Internet et de rémunérer équitablement les ayants droit (cf. propositions du rapport Lescure). Les interventions sporadiques des juges sur certains secteurs tels que la lutte contre la haine et le racisme et la publicité interdite ne constituent qu’un camouflet incertain d’une prolifération des contenus sans réel contrôle  (11). Ainsi, au-delà du développement des télécommunications en complément des services de télédiffusion, voire à court terme à leur détriment, c’est plus généralement la question d’un équilibre à trouver qui se pose dans le développement des nouveaux médias rassemblant le tout en un, comme la télévision connectée en est l’illustre exemple. Pour sa part, le CSA veut jouer un rôle actif et affirme que la notion d’Internet englobe tous les canaux d’accès : «?c’est bien Internet qui surgit au sein de la télévision, qui l’accompagne même avec ses écrans compagnons qui permettent d’assurer une réactivité?», selon son président Olivier Schrameck le 24?juillet sur l’antenne de France Inter.
Si le projet de loi en cours d’examen se contente de répondre à une réforme avant tout politique, il y a lieu d’espérer que, conformément aux déclarations du Gouvernement, le futur projet de réforme de l’audiovisuel envisage les questions essentielles telles que «?la régulation des contenus audiovisuels diffusés sur Internet?» et «?le financement de la création audiovisuelle?» (12).

1-Cf. Arrêté NOR PRMX0830623A du 22 décembre 2008
2-Avis Arcep n°2013-0175 du 5 février 2013
3-Discours en février 2013 devant le Radio Spectrum Policy Group
4-Question écrite n°06485 du 23/05/2013 de Mme Marie-Christine Blandin au ministre de la Culture et de la communication
5-Les Echos - 16 mai 2013
6-Communiqués SACD du 18 mai 2013 et SCAM du 22 mai 2013
7-Cf déclaration Fleure Pellerin, ministre déléguée à l’Economie Numérique lors d’un colloque de l’ANFR en juin 2013
8-Un représentant du CSA, un représentant de l’Arcep, 4députés et 4 sénateurs
9-Amendement n°AC6
10-Étude Screen 360 – communiqué Médiamétrie 25 juillet 2013
11-Cass. civ. 1ère 3 juillet 2013 n°12-22633 – Ricard ; Aff UEJF c/ Twitter
12-http://www.gouvernement.fr/gouvernement/les-2-points-cles-de-la-reforme-de-l-audiovisuel






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