Par David Brown, avocat associé. Clyde & Co
Le recours de plus en plus fréquent aux Dispute Boards afin de prévenir de longs et coûteux arbitrages dans le cadre de projets internationaux de construction a généralement été considéré comme étant bénéfique. Dans la grande majorité des cas, les parties acceptent et exécutent les décisions rendues par les Dispute Boards. Ceci permet donc d’éviter non seulement un arbitrage, mais aussi toute problématique liée à l’exécution forcée de ces décisions.



L’introduction des Disputes Boards dans les contrats-types FIDIC, par la publication en particulier des Livres rouge, jaune et argent en 1999, a fortement contribué à leur succès. Cependant, ces contrats-types se sont avérés lacunaires s’agissant du non-respect de certaines décisions rendues par les Dispute Boards. Selon les conditions FIDIC, toute décision rendue par des Dispute Boards lie les parties entre elles. Cependant, celle-ci ne devient définitive et pourvue de force obligatoire (final and binding) que si aucune des parties ne notifie son désaccord dans un délai de 28 jours.
Si une partie n’exécute pas une décision du Dispute Board définitive et pourvue de force obligatoire, un tel manquement peut être directement soumis à l’arbitrage au titre de l’article 20.7 des conditions FIDIC. Dans ce cas, le rôle de l’arbitre se limitera à «?convertir?» la décision du Dispute Board en une sentence arbitrale exécutoire. En d’autres termes, celui-ci n’aura pas la possibilité d’examiner le bien-fondé de la décision du Dispute Board.
En revanche, si une partie notifie son désaccord sous 28 jours, la décision du Dispute Board demeure simplement pourvue de force obligatoire. Cela signifie que si la partie insatisfaite peut contester la décision du Dispute Board dans le cadre d’un arbitrage, celle-ci doit cependant s’y conformer en attendant que la sentence arbitrale soit rendue.

Exécution provisoire sans procédure sur le fond ?
Les contrats-types FIDIC ont suscité des critiques quant au fait qu’ils n’abordent pas le cas de figure dans lequel un Dispute Board a rendu une décision pourvue de force obligatoire mais non définitive et la partie insatisfaite ne l’exécute pas. Ceci soulève la question de savoir comment une partie peut provisoirement faire exécuter une décision ayant force obligatoire en attendant la sentence définitive de l’arbitre. Le fait que l’article 20.7 des conditions FIDIC se limite aux décisions définitives et pourvues de force obligatoire exclut-il la possibilité de soumettre la non-exécution d’une décision simplement pourvue de force obligatoire à l’arbitrage ?
Certains articles parus ces dernières années ont évoqué des arbitrages dans lesquels des parties ayant obtenu gain de cause lors d’une procédure devant le Dispute Board avaient demandé et obtenu des mesures provisoires suite au non-respect d’une décision de Dispute Board. Cependant, dans ces affaires, la procédure comprenait également l’examen du fond des litiges qui avaient été soumis au Dispute Board.
Cependant, lorsqu’une partie a obtenu une décision satisfaisante de la part du Dispute Board que l’autre partie n’exécute pas, cette première devrait-elle avoir à supporter le coût d’un examen complet par un tribunal arbitral du fond des litiges ayant été soumis au Dispute Board pour pouvoir simplement obtenir une décision provisoire ?
Au regard de l’obligation contractuelle évidente posée par les contrats-types FIDIC d’exécuter une décision du Dispute Board, cela semble injuste. Pourtant, cette position a été adoptée par la Haute Cour de Singapour (High Court of Singapore) en 2010 dans une affaire résultant d’une sentence CCI portant sur une décision de Dispute Board que la partie contre qui cette décision avait été rendue n’avait pas exécuté.
Dans cette affaire, la partie ayant obtenu gain de cause devant le Dispute Board avait simplement soumis l’inexécution de la décision par la partie adverse à l’arbitrage et non le fond du litige opposant ces parties. La Cour a considéré que l’inexécution de la décision par la partie adverse violait l’article 20.6 du Livre rouge en vertu duquel, selon elle, toute soumission d’un différend à l’arbitrage implique l’examen du fond de celui-ci, à moins que ce contentieux rentre dans le champ d’application de l’article 20.7 du Livre rouge. En d’autres termes, la décision du Dispute Board était à la fois définitive et pourvue de force obligatoire. La décision de la Cour a été confirmée par la cour d’appel de Singapour (Court of Appeal of Singapore), dans un jugement en date du 13?juillet 2011.

L’approche des tribunaux de Singapour remise en question
Pendant que la procédure avait lieu à Singapour, Clyde & Co représentait, en collaboration avec un confrère roumain, un entrepreneur italien en vue d’opposer les décisions du Dispute Board aux autorités publiques roumaines. Nous avons suivi une stratégie différente de celle de nos homologues dans les procédures menées à Singapour, laquelle s’est avérée gagnante.
Le succès de notre client s’explique en grande partie par la décision de soumettre dès le départ le non-respect d’une décision du Dispute Board au Dispute Board lui-même dans le cadre d’une procédure distincte, et non directement à l’arbitrage. C’est dans ce cadre que le Dispute Board a confirmé que le contrat avait fait l’objet d’une violation distincte, à savoir la violation de l’obligation d’exécuter les décisions du Dispute Board conformément à l’article 20.4. C’est cette non-exécution de la décision du Dispute Board qui a ensuite été soumise à un arbitrage CCI.
Malgré les conclusions de la Haute Cour de Singapour, l’arbitre unique a considéré qu’il pouvait statuer sur le paiement des montants arrêtés par le Dispute Board, sans avoir à apprécier le bien-fondé des décisions de celui-ci. Le fait que la non-exécution des décisions du Dispute Board ait fait l’objet d’une décision distincte était l’un des éléments essentiels de sa sentence. Il a également reconnu qu’il n’y avait aucun obstacle à ce qu’il rende une sentence définitive sur la violation de l’article 20.4 car cela n’empêche pas en principe le défendeur d’instituer une procédure arbitrale distincte afin de contester les décisions du Dispute Board sur le fond des différends pour lequel il avait été saisi.
Cela signifie, par conséquent, que le défendeur aurait toujours la possibilité de recouvrer les montants versés en vertu de la sentence arbitrale relative à la violation de l’article 20.4.
Il convient d’admettre que notre client a pu éviter le coût d’une longue procédure arbitrale portant sur le fond des différends opposant les parties car ceux-ci n’ont pas été inclus à la procédure arbitrale par le biais d’une demande reconventionnelle. En d’autres termes, il n’y a aucune garantie que l’on puisse éviter un long examen du bien-fondé des décisions du Dispute Board. Ainsi, la question de la non-exécution de décisions pourvues de force obligatoire n’est pas résolue.
La solution, selon nous, consisterait en la modification des conditions FIDIC. Les conditions du Livre or, adapté aux projets «?Design, Build and Operate?», publiées par la FIDIC en 2008, a répondu à cette question en prévoyant que la non-exécution (a) de décisions de Dispute Boards pourvues de force obligatoire et (b) de décisions pourvues de force obligatoire et définitives peut être directement soumise à l’arbitrage (article?20.9).
Une autre approche (que nous privilégierions) consisterait à accorder à la partie ayant notifié son désaccord un délai pour instituer une procédure arbitrale, faute de quoi la décision du Dispute Board serait réputée définitive et pourvue de force obligatoire.

Il reste à voir comment la FIDIC décidera d’aborder la question dans la seconde édition de son Livre jaune.

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