Le terme est désormais passé dans le vocabulaire courant des DRH. Au-delà de l’effet de mode, que revêt cette notion ? Le professeur Jean-Marie Peretti, auteur de "L’apprenance au service de la performance" livre quelques clés.

Entre une concurrence accrue, le bouleversement des business models et l’accélération digitale, les entreprises vivent des phases de transformation marquées et rapprochées. Employeurs comme salariés vivent avec la perspective – parfois vécue comme une menace – de la disparition annoncée d’une grande partie des métiers. Pour faire face à ces mouvements, et les anticiper d’ailleurs, s’impose progressivement l’idée que la clé réside dans la culture d’une forme d’agilité, la capacité des collaborateurs à remettre en question leurs connaissances, à accepter de s’ouvrir à de nouvelles techniques ou modes de travail et s’inscrire dans une dynamique proactive. C’est l’ensemble de ce mouvement, et l’évolution de la culture d’entreprise qui en découle que revêt le terme "d’apprenance".

"Learn or die !"

"C’est ce que certains résument par le slogan "learn or die" explique Jean-Marie Peretti, professeur de management à l’Essec, auteurs de nombreux ouvrages de référence dont le dernier opus. Autrement dit, nous devons apprendre quotidiennement, et plus vite que les autres. Les collaborateurs sont appelés à se transformer en « serial learners »". Édouard Michel, directeur des ressources humaines du groupe Manutan, spécialiste de l’équipement industriel et de bureau, illustre bien par ses propos le phénomène, et l’urgence qui en résulte pour les entreprises. "Le monde qui nous entoure va très vite, il faut s’adapter en permanence et l’entreprise détient une grande responsabilité à cet égard, explique-t-il. Notre objectif est de développer le learning, pour que chaque collaborateur "reste en veille" et ne se sente pas dépassé par les évolutions technologiques."

Dans ce contexte, le terme de "formation" n’est plus adapté. "La notion même de formation paraît obsolète" souligne le professeur Peretti, qui explique que c’est un "écosystème d’apprenance" qu’il convient de créer. Les organisations ont pour objectif de créer incluant pédagogie et partage des compétences, et une pratique." Pour structurer l’approche qui doit être celle de l’entreprise, le professeur Peretti fait référence au modèle d’apprentissage "70/20/10". Ce modèle expose que 10% de l’apprentissage se fait dans le cadre de sessions de formation formelles, 20% a lieu grâce aux échanges qui interviennent avec les collègues, et 70% relève de l’expérience et de la pratique. Aux organisations dès lors de mettre en place les conditions favorables à une bonne coordination de ces trois aspects. "Il faut notamment organiser les 20% correspondant aux échanges, grâce aux outils qui permettent la mise en commun ou le partage, explique Jean-Marie Peretti, et diffuser de bonnes pratiques afin que chacun soit prêt à transmettre, et à apprendre des autres."

Reconnaissance

Afin que cette approche prenne ancrage dans la culture de l’entreprise, il recommande d’aller jusqu’au bout du raisonnement en prenant en compte dans l’évaluation des collaborateurs leurs évolutions et performances sur le sujet du learning. Les managers sont en effet clés dans le processus et sont "les animateurs au quotidien de cette dynamique d’apprentissage permanent" explique-t-il.

Alstom, conduite à se réinventer à la suite du rachat de ses activités "énergie" par General Electric, en donne un parfait exemple. Le groupe a en effet choisi de mettre un fort accent sur la formation interne. Afin d’assurer la diffusion de cet état d’esprit dans la pratique, il a été décidé de soigner les marques de reconnaissance envers ceux des experts qui consacrent du temps à cette activité. "Nous avons choisi de mettre en place un système de récompense d’un genre particulier, explique Franck Gaillard, directeur de la formation du groupe. Plus les formateurs donnent des formations, plus ils accumulent des points qui, convertis en euros, leur permettent de se former eux-mêmes en s’inscrivant à des séminaires professionnels, à des revues spécialisées, en suivant des programmes externes." Les formateurs récompensés par des formations… tout à fait l’esprit de l’organisation apprenante.

Expérience

« L’idée de formation reste coincée dans une image archaïque et le mot lui-même a tendance à crisper » Mathilde Le Coz, directrice du développement des talents et de l’innovation RH, Mazars

Dans le modèle d’apprentissage auquel le professeur Peretti fait référence, 70% sont liés à l’expérienciel. L’organisation doit donc permettre au collaborateur "d’agir en situation" et "l’inciter à innover en aillant droit à l’erreur". Jean-Marc Peretti précise que lorsque l’on fait un diagnostic des personnes qui se forment le moins dans une entreprise, on s’aperçoit qu’il s’agit de collaborateurs auxquels il n’a pas été proposé de "funny learning", que l’on n’a pas soigné la notion de plaisir d’apprendre. "L’une des clés est bien sûr de stimuler l’envie rappelle-t-il. C’est la fameuse « expérience apprenant »". Mathilde Le Coz, directrice du développement des talents et de l’innovation RH, a fait sienne cette analyse et renouvelle régulièrement les méthodes d’apprentissage qu’elle emploie : travail en ateliers, au cours de déjeuners, management par le foot, le théâtre, ou encore le chant. "Il est clair que l’idée de formation reste coincée dans une image archaïque et que le mot lui-même a tendance à crisper, reconnait-elle. Sans tomber dans l’excès ou dans le sensationnel, il est clair qu’il faut privilégier l’action qui permet d’inscrire des messages chez les participants…presque sans qu’ils s’en rendent compte."

Séduire les slasheurs

« Nous devons apprendre quotidiennement, et plus vite que les autres. Les collaborateurs sont appelés à se transformer en "serial learners" » Professeur Jean-Marie Peretti

Comme le souligne Mathilde le Coz, la dynamique d’apprenance est effectivement un outil indispensable pour retenir les Génération Z et autres "slasheurs", c’est-à-dire ces personnes qui rejettent le modèle de l’emploi unique et s’épanouissent en cumulant différents métiers : web designer, community manager… "Les dernières études menées montrent que la proportion de « slasheurs » augmente aux États-Unis comme en Europe, souligne Jean-Marie Peretti. Pour ces personnes, le fait de bénéficier d’un emploi stable n’est pas un enjeu motivant. À l’entreprise de leur permettre de slasher en interne, c’est-à-dire de s’impliquer dans d’autres projets que le leur, et les enrichir d’expériences externes". Quand l’apprentissage se meut en moyen de rétention des talents, il se confirme qu’il dépasse la logique de "formation" et prend une envergure toute autre.

Marie-Hélène Brissot

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