L’acte de notification d’une décision de justice est essentiel puisqu’il marque le point de départ du délai de recours. L’importance de cet acte suppose qu’il renferme toutes les mentions nécessaires à l’exercice de ce recours. La jurisprudence, qui a précisé ces mentions, tend à renforcer, de manière significative, le principe de sécurité juridique et au droit à un procès équitable. L’équilibre pour préserver les intérêts divergents et légitimes des plaideurs demeure toutefois fragile.

Par Linda Azizi, avocat associé. Genesis Avocats.

Le « droit à un procès équitable », tel qu’il figure à l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, impose aux États membres d’encadrer dans des délais précis toutes procédures judiciaires. Ces délais peuvent soit contraindre les plaideurs à agir dans un temps imparti, soit être destinés à ménager les droits de la défense.

Indubitablement, le temps est un élément inséparable du procès et les délais en sont la clé de voûte.

Les délais pour agir, et notamment pour exercer un recours à l’encontre d’une décision de justice, revêtent une importance toute particulière. 

En matière civile, ce délai commence à courir, dans la grande majorité des cas, à compter de la notification de la décision qui, sauf lorsqu’elle est l’œuvre de greffe qui a rendu la décision, est l’apanage des parties. Cette notification peut être faite à l’initiative de la partie qui succombe ou de celle qui voit ses demandes favorablement accueillies.

L’article 680 du Code de procédure civile précise les mentions que doit renfermer l’acte de notification. Ces mentions visent le délai dans lequel le recours doit être exercé, les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ainsi que les sanctions encourues en cas de recours abusif ou dilatoire.

La Cour de cassation a interprété très largement « les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ».

Ainsi, ces mentions couvrent l’ensemble des modalités du recours, i. e. la voie de recours adéquate, la forme du recours, son délai et le point de départ du délai, le lieu où le recours doit être exercé, la juridiction compétente pour statuer sur le recours ouvert et l’indication selon laquelle l’avocat constitué par l’appelant ne peut être qu’un avocat admis à postuler devant le tribunal de grande instance dépendant du ressort de la cour d’appel concernée.

Ces mentions, essentielles à la recevabilité d’un recours, ont donné lieu à une abondante jurisprudence. La Cour de cassation considère que si l’une des mentions susvisées est absente ou erronée, l’acte de notification est susceptible d’être annulé, à la condition que le plaideur démontre, en application de l’article 112 du Code de procédure civile, l’existence d’un grief causé par cette irrégularité. Les tribunaux considèrent, alors, que l’acte de notification est nul et le délai de recours n’a pas commencé à courir.

Jusqu’à présent, cette nullité ne pouvait être invoquée que par le destinataire de la notification, l’auteur de cette notification étant privé de cette possibilité, en application de l’adage « nemo auditor propriam suam turpitudinem allegans ».

Toutefois, la cour d’appel de Paris a récemment amorcé une évolution qui a mérité d’être soulignée.

Dans cette affaire, dont les faits particuliers doivent être rappelés, une société lyonnaise avait assigné son cocontractant devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins d’obtenir des dommages et intérêts, et ce, sur différents fondements juridiques. Déboutée partiellement de ses demandes, cette société décida de faire appel de la décision de première instance et signifia le jugement entrepris, l’acte de signification précisant la compétence de la cour d’appel de Lyon. 
Après plusieurs mois d’instruction, le conseiller de la cour d’appel de Lyon rendit le 28 juin 2016, sur un moyen soulevé d’office, une ordonnance d’irrecevabilité au motif que les faits invoqués par l’appelant relevaient du domaine d’application de l’article 442-6 du Code de commerce qui sanctionne les pratiques anticoncurrentielles et qui relèvent, en appel, exclusivement du ressort de la cour d’appel de Paris.

La société lyonnaise interjeta alors appel devant la cour d’appel de Paris. Immanquablement, l’intimée souleva l’irrecevabilité du recours au motif que ce dernier n’avait pas été exercé dans le mois de la notification du jugement.

Par une ordonnance du 14 septembre 2017 (RG n°16/15098), le conseiller de la mise en état considéra que l’acte était nul et que le délai d’appel n’avait pas commencé à courir au motif que la notification mentionnant la compétence de la cour d’appel de Lyon est devenue nulle en raison de l’ordonnance du conseiller lyonnais. Selon le conseiller, cette notification est nulle quel qu’en soit son auteur puisqu’avant l’ordonnance d’incompétence, les parties ignoraient le vice de nullité dont elle était affectée.

De manière surabondante, le conseiller de la mise en état ajoute que la Cour de cassation, par son arrêt du 29 mars 2017, tend à mettre fin à l’insécurité juridique liée à la détermination de la cour d’appel compétente, aux termes de l’article D.442-3 du Code de commerce liée à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce, qui sanctionne les plaideurs par une fin de non-recevoir soulevée d’office, de sorte qu’est irrecevable l’appel formé devant une autre cour d’appel, ce qui impose un assouplissement dans l’interprétation des textes.

Cette ordonnance a été déférée à la cour d’appel de Paris qui, par une substitution de motifs, a confirmé l’ordonnance entreprise. La cour a donné une portée beaucoup plus large à sa décision en ne s’appuyant pas sur les spécificités de l’affaire qui lui était soumise.

Dans un attendu lapidaire, elle indique « l’acte de notification d’un jugement qui comporte des mentions erronées concernant la voie de recours ouverte, s’il ne peut être considéré comme nul, ne fait cependant pas courir le délai de recours, même pour la partie qui a procédé à la notification […] » (CA Paris, Pôle 5-Chambre 5, 17 mai 2018, n°17/18199).

Ainsi, bien qu’elle ne précise pas que l’acte contesté n’est pas entaché de nullité, elle indique qu’il ne fait pas courir le délai d’appel à l’égard de l’ensemble des parties. Toutefois, la cour d’appel de Paris ne précise pas la sanction qui frappe l’acte erroné : est-il alors inexistant, inopposable ? ... la cour d’appel ne donne aucune précision.

Dès lors, l’auteur d’une notification d’un acte comportant une mention erronée ou absente pourrait-il invoquer, dans tous les cas, cette erreur pour échapper à l’irrecevabilité de son appel ? 

Bien que l’arrêt de la cour d’appel du 17 mai 2018, dans sa formulation, emploie une formule générale, les circonstances particulières de l’affaire et la nécessité de protéger les plaideurs dans cette situation peu commune pourraient expliquer le sens de la décision rendue.

L’avenir nous dira s’il s’agit d’un arrêt d’espèce ou d’un véritable assouplissement de la jurisprudence.

 

Les points clés :

  •     Le droit à un procès équitable et le principe de sécurité juridique ont toujours été au centre des exigences des juridictions françaises. Appliquée au droit de recours, la jurisprudence a défini très précisément les mentions qui doivent figurer dans l’acte de notification. Le plaideur, destinataire de la notification, doit connaître précisément les modalités d’exercice de ce recours.
  •     Toutefois, l’acte de notification jugé irrégulier n’est déclaré nul uniquement si cette irrégularité a été de nature à causer un grief à celui qui l’invoque, étant rappelé que seul le destinataire de la notification peut l’invoquer.
  •     Cette jurisprudence exigeante a été récemment assouplie par la cour d’appel de Paris dans une décision dans laquelle elle admet que l’auteur de la notification puisse invoquer sa propre erreur. Cette décision, si elle est confirmée, imprimera immanquablement une autre dimension aux principes de sécurité juridique et au droit à un procès équitable.


Sur l'auteur : 

  • Praticienne du droit des affaires, Linda Azizi intervient, depuis plus de quinze ans, au conseil et au contentieux, principalement en contrats commerciaux, construction, immobilier et droit social. Elle assiste et conseille ainsi des acteurs parmi les plus importants du monde des affaires dans le cadre de leur développement tant en France qu’à l’étranger. Son expérience particulière du conseil et du contentieux lui a permis d’acquérir une vision stratégique et globale des dossiers. Associée depuis 2015 du cabinet Genesis, elle a exercé précédemment au sein du cabinet Huglo Lepage.

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