Le traité entre Israël, les Émirats arabes unis et le Bahreïn est prometteur sur le plan économique et géopolitique, mais il ne fait pas que des gagnants. Si les Palestiniens sont lésés, Donald Trump et Benjamin Netanyahou ne sortent pas forcément renforcés de la séquence. Décryptage avec Pierre Razoux, Directeur académique de l’Institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques.

Décideurs. Peut-on vraiment parler de rupture historique ?

Pierre Razoux. C’est une avancée certaine mais ce n’est pas une surprise ou une rupture. Des liens informels existaient déjà et l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 a accéléré les choses. Pour les pays du Golfe, cet accord avait permis de renforcer la puissance régionale de la République islamique, d’où la nécessité de former un front anti-Iran, quitte à casser l’unité du monde musulman contre Israël. En réalité, il s’agit de l’officialisation d’une nouvelle donne géopolitique qui existait depuis quelques années et que Donald Trump a exploité.

C’est en effet à la Maison-Blanche que les accords ont été signés. Est-ce une victoire pour Donald Trump ?

Oui, incontestablement puisque sa stratégie de conclure des deals bilatéraux où les mesures économiques occupent une place centrale est couronnée de succès. Mais il n’est pas certain que cela lui soit reconnu sur la scène intérieure. Jimmy Carter n’a pas été réélu en 1980 alors qu’il pouvait se prévaloir de l’accord de paix de Camp David entre Israéliens et Égyptiens, George Bush ne l’a pas été davantage en 1992 alors qu’il avait chassé Saddam Hussein hors du Koweït. Si Bill Clinton a été reconduit dans ses fonctions en 1996, c’est pour ses succès économiques à l’intérieur de ses frontières plus que pour le traité de paix entre Israël et la Jordanie.

Concrètement, quels seront les bénéfices pour les parties prenantes de l’accord ?

Les Émirats arabes unis souhaitent devenir un « Singapour du Moyen-Orient ». Signer des partenariats économiques avec Israël qui a un vrai savoir-faire technologique pourrait accélérer de telles ambitions. Pour les Israéliens, il s’agit davantage d’un enjeu d’image puisqu’ils détiennent technologies et capitaux. Désormais, ils peuvent clamer à la face du monde qu’ils sont un partenaire économique comme les autres. L’ouverture des frontières entre les deux pays permettra aussi à l’État hébreu de profiter des infrastructures aéroportuaires de Dubaï, véritable porte d’entrée vers l’Asie et la Chine.

Benjamin Netanyahou sort-il renforcé de la séquence ?

Pas forcément. Si l’État hébreu signe un grand succès de politique étrangère, la situation est plus nuancée pour le premier ministre. En acceptant de stopper toute annexion supplémentaire de territoires palestiniens, Benjamin Netanyahou se retrouve en porte-à-faux avec sa base électorale à qui il avait promis le contraire. Or il a besoin de ces ultras pour maintenir sa courte majorité de gouvernement. La situation pourrait être profitable à ses opposants Benni Gantz, vice-Premier ministre, ou le ministre des Affaires étrangères Gabi Ashkenazi qui, eux, soutiennent l’accord et sont opposés à de nouvelles annexions.

"Pour les Palestiniens, le constat est sans appel : leur sort n’est plus central pour les pays du Golfe" 

Les grands perdants, en revanche, sont les Palestiniens. Risquent-ils de se radicaliser ?

Pour les Palestiniens, le constat est sans appel : leur sort n’est plus central pour les puissances de la péninsule arabique qui défendent leurs propres intérêts. Même le prince héritier de l’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, est plus proche de la ligne émiratie que de celle incarnée par son père. La nouvelle donne décrédibilise encore plus l’autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas. Il existe un risque potentiel de division exacerbée entre les dirigeants palestiniens adeptes d’un retour à la ligne dure et les autres. Soulignons qu’une partie de plus en plus grande de l’opinion publique palestinienne est lasse, démoralisée et demande tout simplement une amélioration de la situation économique.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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