À l’ère de l’économie numérique et des innovations qu’elle génère, le rôle du capital humain dans la création de valeur est bien souvent plus important pour une entreprise que le recours à des capitaux externes. Dans ce contexte, comment attirer et fidéliser ses talents et transmettre cet actif volatil afin d’assurer croissance et pérennité de l’entreprise sur fond d’égalitarisme salarial ?

Par Pierre-Olivier Bernard, fondateur, et Sandrine Gardel, avocat of counsel en droit social. OPLEO Avocats

 

La reprise de la croissance même timide, confirme l’embellie du recrutement. Les créations de postes et les rémunérations sont bien à la hausse. Or, près des trois quarts des salariés se disent prêts à discuter avec la concurrence si leur carrière ne progresse pas à leur gré, obligeant les entreprises à rivaliser d’ingéniosité pour attirer et fidéliser les talents. Mais pour celles où, création de valeur rime avec capital humain, stabiliser ce dernier dans la durée sans avoir parfois la capacité d’offrir des conditions de rémunérations compétitives reste un enjeu crucial. Permettre à ses talents d’accéder au capital de leur entreprise peut alors être pertinent.

Réconcilier et préserver la convergence d’intérêts dans la durée

L’accès au capital des hommes et femmes clés de l’entreprise, dit « management package », peut constituer une réponse très efficace s’il parvient à créer une véritable convergence d’intérêts entre capital humain et capital financier.
A minima, cette convergence d’intérêts repose sur une prise de risque financier pour les talents se voyant ouvrir un accès au capital, en contrepartie d’une espérance de gain, supérieur à ce qu’aurait été un bonus. Ce qui suppose également d’organiser la liquidité des instruments financiers souscrits. Mais le succès de l’opération dépendra surtout de la capacité managériale de l’entreprise de promouvoir le plan d’accès auprès des talents concernés. Il devra ainsi susciter pour ces talents le sentiment d’appartenance à un club et la capacité de se projeter dans le temps. En tout état de cause, tributaire des situations, cette convergence éminemment évolutive reste sujette à un fort facteur générationnel, chaque génération de talents ayant des attentes différentes. Les générations Y et Z – les trois-quarts de la population active d’ici dix ans – posent en particulier de nouveaux enjeux à l’entreprise du fait de leur plus grande volatilité que les précédentes.
Ces mécanismes d’accès au capital ont trouvé en France, dès le début des années 2000, un large écho dans les opérations de LBO où, au-delà d’un effet de levier sous-jacent, la création de valeur repose avant tout sur la convergence du talent d’une équipe managériale et d’un investisseur financier. Ayant vocation à se déboucler selon des cycles courts, ces opérations offrent une liquidité collective à l’ensemble des actionnaires. Les intérêts sont ainsi parfaitement alignés.
La start-up, où l’innovation relève bien plus du capital humain que du capital financier, cherche à s’inscrire dans ce cercle vertueux. Elle doit, dès son amorçage, pouvoir faire collaborer des profils créatifs rares mais complémentaires. Se disputer les meilleurs suppose qu’elle puisse proposer des packages compétitifs, sans oublier de composer avec les velléités des générations Y et Z. Ouvrir accès à son capital, par l’espérance d’un partage de valeur à terme, lui permet de pallier un niveau de rémunération peu compétitif, en favorisant l’adhésion au projet d’entreprise sur une certaine période. La liquidité se faisant le plus souvent à l’occasion des levées de fonds successives auprès d’investisseurs financiers, les enjeux de gouvernance devront d’autant mieux être anticipés qu’ils devront évoluer en composant avec le souci des fondateurs de conserver le contrôle.
L’ETI mâture, dont la création de valeur peut reposer davantage sur le capital humain que sur le recours à des capitaux externes, peut aussi trouver par l’accès du capital humain à son capital le moyen de stabiliser celui-ci si une cohérence globale et tenable permet de contenter toutes les générations de talents. Car ce même accès au capital concernera autant un précieux collaborateur en fin de carrière, un quarantenaire confirmé à mi-parcours ou un jeune haut potentiel. Or, la liquidité s’opérant souvent par la transmission du capital d’une génération à l’autre, il importe d’anticiper le risque de divergences d’intérêts. Exemple : comment fixer la formule de prix à même de désintéresser les talents en départ à la retraite, légitimement soucieux de réaliser le capital de leur vie, et de rendre possible le rachat par de jeunes talents ne disposant pas d’importantes capacités financières ?
Gérer les intérêts de ces différents talents exige une gouvernance fluide, capable de faire évoluer les schémas intergénérationnels.

La nécessité de promouvoir l’accès au capital dans un contexte hostile

L’accès au capital des hommes et femmes clés de l’entreprise trouve ainsi un écho toujours plus large dans un contexte d’économie numérique et d’innovation. La créativité française dans la conception de ces management packages, largement éprouvés depuis leur genèse au sein de LBO, constitue encore une formidable source d’innovation pour attirer et fidéliser les talents, formant un très appréciable catalyseur de convergence du capital humain et du capital financier. Les sollicitations de l’étranger pour accéder à ce savoir-faire sont d’ailleurs toujours plus grandes.
En France, l’ingéniosité n’est cependant pas toujours reconnue, règle à laquelle n’échappent pas les management packages. Ces mécanismes sont trop souvent confrontés au dogmatisme des administrations fiscale et sociale, toujours promptes à nier le risque capitalistique, pour tenter de mieux requalifier en traitements et salaires les gains pouvant en résulter.
L’administration fiscale s’évertue systématiquement, depuis de nombreuses années, à remettre en cause ces mécanismes, faisant souvent fi des avis du Comité de l’abus de droit. Elle n’en reste pourtant pas moins tenue par la jurisprudence du Conseil d’État rappelant à juste titre que la double qualité de salarié et d’actionnaire n’entraîne pas présomption de qualification fiscale en traitements et salaires du gain issu de la vente de ses actions par le salarié.
Récemment, la cour d’appel de Paris, en soumettant à cotisations sociales la plus-value réalisée par un groupe de dirigeants, a ouvert une nouvelle brèche incompréhensible. Niant la prise de risque capitalistique pour asseoir sa position, elle a privé sa décision de base légale, commis un contresens économique, ce qui pourrait conduire à une contradiction majeure depuis que le contentieux des Urssaf relève de l’ordre judiciaire. Les conséquences pourraient s’avérer catastrophiques.
À l’heure de la réforme pour un droit du travail plus fluide, quid de notre capacité à attirer et fidéliser nos talents, en réconciliant capital humain et capital financier ?  

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