La crise sanitaire et le confinement n’ont pas modifié les convictions d’Ivanhoé Cambridge en Europe, bien au contraire. Karim Habra, directeur Europe et Asie-Pacifique, dévoile sa lecture du marché et les grandes lignes de sa stratégie d’investissement.

Décideurs. Quelles sont vos convictions concernant l'évolution des marchés immobiliers compte tenu de la crise sanitaire ?

Karim Habra. L’immobilier se pense traditionnellement par le biais de la localisation, des classes d’actifs et des profils de risques. Ivanhoé Cambridge a ajouté ces derniers mois une quatrième dimension à son analyse en intégrant des thèmes transversaux comme l’innovation, la RSE, la mixité, la flexibilité, les quartiers de demain, la technologie… Nous étions persuadés que cette approche était pertinente et la crise sanitaire renforce nos convictions car elle accélère la diffusion de ces tendances structurelles. 

Dans ces conditions, quelle est votre thèse d'investissement ?

Nous avions l’intention d’accroitre notre exposition au résidentiel et à la logistique avant la crise. Nous avons encore davantage d’appétit aujourd’hui pour ces deux classes d’actifs car ce sont les plus résilientes dans la période que nous vivons. A contrario, nous étions prudents vis-à-vis des centres commerciaux et nous le sommes encore plus désormais car ce produit doit être réinventé. Quant aux bureaux, ils restent une cible mais nous devons prendre en compte les transformations à l’œuvre. La création en 2019 d’Icawood, fonds d’investissement destiné à développer des bureaux de nouvelle génération à faible émission de carbone dans la Métropole du Grand Paris, prend tout son sens aujourd’hui car il permet de développer des ensembles répondant aux nouvelles exigences des utilisateurs en matière de santé, de bien-être, de proximité avec la nature… Concernant les emplacements, Ivanhoé Cambridge est un investisseur long terme et ne peut pas ignorer Paris, Londres et les principales métropoles allemandes. Nous regarderons les autres marchés européens de façon opportuniste, notamment l’Europe centrale et l’Europe du nord et du sud.

Quels profils de risques et effet de levier de la dette ciblez-vous ?

Nous poursuivrons notre stratégie de création de valeur. Cette approche, qui fait partie de notre ADN, constitue une des meilleures façons d’enjamber la récession qui s’annonce en se positionnant sur des projets de restructuration ou de développement qui arriveront sur le marché dans les deux à trois prochaines années. Nous surveillons en parallèle les opportunités d’investissement dans les actifs stabilisés de qualité qui, du fait de la crise, pourraient générer des rendements plus attractifs qu’avant. Ces opportunités pourraient se multiplier suite à cette crise sanitaire. Concernant l’effet de levier de la dette, nous n’avons en général pas recours à des financements externes sauf en cas de partenariat. C’est un aspect important car cela nous permet de prendre position rapidement et de manière agile alors que des tensions perturbent le marché de la dette pour des actifs en blanc. Nous avons ainsi récemment acquis en VEFA le campus de bureaux Joya au Val-de-Fontenay en investissant 100 % en equity.

"Nous rentrons dans un marché de l’investissement plus sain"

Comment avez-vous réussi à conclure cette transaction pendant le confinement ?

Nous avons un modèle semi-décentralisé en Europe avec des bureaux à Paris, Berlin et Londres. Cette organisation a constitué un atout précieux pendant le confinement pour continuer à visiter des immeubles et rester actifs à l’investissement. Dans les pays où nous n’avons pas d’implantations en propre comme l’Italie ou l’Espagne, nous avons pu compter sur nos partenaires locaux pour poursuivre notre activité.

Comment vont évoluer les valeurs selon vous ?

Nous rentrons dans un marché de l’investissement plus sain avec une vraie différenciation entre la valorisation des actifs prime et ceux plus risqués en raison des tensions à venir sur la commercialisation et les niveaux de loyers. Des dossiers commencent déjà à revenir avec des corrections sur les hypothèses de valeurs locatives. Il est encore trop tôt pour connaître l’ampleur de la baisse mais elle devrait être moindre pour les produits core et plus marquée pour les investissements value-add, notamment en raison de l’assèchement des financements. Les vendeurs pourraient néanmoins suspendre leurs arbitrages en attendant que ces valeurs locatives remontent car nous ne sommes pas dans une situation de crise de liquidité.

"Nous sommes en mesure de déployer une stratégie d’investissement diversifiée en termes de profils de risques"

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur la gestion de vos actifs existants et sur vos projets en cours de développement ?

Ces sujets ont constitué nos priorités au cours des dernières semaines. Nous avons mis en place un plan de productivité pendant le confinement et réallouer les talents aux défis du moment. Des spécialistes de l’investissement ont ainsi prêté main forte à leurs collègues gestionnaires d’actifs. Quant à nos chantiers, ils ne se sont pas totalement arrêtés. Durant toute la période de confinement, celui des tours DUO a pu se poursuivre au ralenti par exemple tout en respectant les normes sanitaires les plus strictes. Au plus fort de la crise, une centaine de compagnons a continué à travailler sur les façades et les lots techniques. Aujourd’hui, près de 500 personnes travaillent quotidiennement sur le chantier grâce aux adaptations mises en place pour garantir des conditions de travail optimales.

Quelles sont vos ambitions en Europe ?

Nous gérons actuellement 9 Mds€ d’actifs en Europe, dont 50 % environ en France. L’Allemagne constitue notre principale cible car nous sommes sous-exposés dans ce pays par rapport aux autres. Toutefois, nous n’attendons pas de fortes corrections des valeurs outre-Rhin. La situation devrait être différente dans l’Hexagone, ce qui pourrait nous donner accès à opportunités attractives en termes de rendement. Nous sommes en mesure de déployer une stratégie d’investissement diversifiée en termes de profils de risques pour aller chercher des performances solides sur le long terme au profit de nos investisseurs. Cet objectif nous amène également à réaliser des opérations qui ont un impact positif sur l’environnement et les communautés afin de préserver la valeur des actifs dans le temps. Dernier point, nous avons l’intention de continuer à constituer des plateformes opco/propco et à réaliser des opérations de M&A pour capter l’ensemble de la valeur créée.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

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