Coface met à la disposition de ses clients une analyse des risques pour les aider à prendre les bonnes décisions et à prévenir les risques de crédit. À la tête d’une équipe d’économistes expérimentés, Julien Marcilly revient sur la notion de risque pays et expose les risques majeurs auxquels sont confrontées les entreprises.

Décideurs. Le risque-pays est un facteur important dans la décision des entreprises de s’implanter sur un nouveau marché. Sur quels critères vous basez-vous pour l’évaluer ?

Julien Marcilly. Les risques amenant une entreprise à ne pas payer des factures sont multiples. Ce peut être bien entendu dû à un problème de gestion financière, mais lorsqu’on se rend compte que dans un même pays et dans un même secteur d’activité de plus en plus d’entreprises n’y arrivent plus, c’est le signe que des facteurs autres que microéconomiques jouent, comme des facteurs macroéconomiques, sectoriels, institutionnels ou encore politiques.

Ainsi, les indicateurs quantitatifs ou qualitatifs que nous retenons pour évaluer le risque-pays sont très variés. Nous mesurons par exemple le risque politique des pays et nous procédons à notre propre évaluation de l’environnement des affaires. Nous utilisons également une grande quantité de facteurs macroéconomiques et macro-financiers. Enfin, nous tenons compte de notre expérience de paiement, Coface étant présent directement ou indirectement dans une centaine de pays.  

Quels sont les principaux risques dans le monde à court terme ?

Depuis plusieurs années, les risques politiques sont en hausse et inquiètent de nombreuses entreprises. Nous nous trouvons dans un cercle vicieux difficile à casser, et ce, quel que soit le niveau de développement d’un pays, économies avancées comme émergentes. Une partie des opinions publiques sont frustrées et ne font plus confiance aux institutions démocratiques habituelles. Elle cherche donc des alternatives. Des hommes et femmes politiques ayant une vision populiste surgissent, ce qui crée des incertitudes chez les entreprises. Ces nouveaux dirigeants peuvent aussi mettre en place des mesures économiques qui ne sont pas forcément bonnes pour l’économie. Le régime de croissance reste donc faible et la population frustrée car elle ne peut pas profiter d’une éventuelle reprise de la croissance. Les entreprises doivent s’habituer à ces incertitudes en matière de politique économique ; elles peuvent également repousser leurs investissements. On constate par ailleurs cette année un cycle économique qui a tendance à se retourner, notamment en Europe. Ce n’est pas surprenant puisqu’il s’agit d’un phénomène normal après une période de reprise à la suite d’une crise pour les économies matures. Les entreprises ont plus de difficultés à recruter, les ménages sont de plus en plus équipés sur certains types de biens. Autrement dit, la singularité de la situation en 2019 réside dans le fait qu’il y a à la fois un risque politique élevé et un cycle économique qui se retourne.

« Les entreprises doivent s’habituer aux incertitudes en matière de politique économique »

Vous avez dégradé l’évaluation pays de l’Italie en milieu d’année 2018. Pour quelles raisons ?

À cause du risque politique principalement. Nous nous sommes retrouvés dans une situation où l’issue des élections parlementaires était très incertaine et, finalement, le scenario de risque s’est réalisé. Notre décision de déclasser l’Italie a donc été prise en conséquence de son évolution politique. En 2011 et 2012, la récession profonde dans le pays a trouvé son origine dans le niveau élevé des taux d’intérêt et des conditions de financement défavorables pour les entreprises. Le changement politique qui a eu lieu récemment est susceptible de générer des incertitudes similaires, un renchérissement des conditions de crédit pour les entreprises et il fallait donc s’attendre à un risque de crédit en hausse pour les entreprises. Depuis, la situation conjoncturelle ne s’est pas améliorée : les deux derniers chiffres de la croissance du PIB italien sont négatifs.

À quoi faut-il s'attendre en 2019 concernant la situation en Iran, sous la pression des sanctions américaines ? 

Les principaux problèmes viennent de l’extérieur pour l’Iran. Avant même l’élection de Donald Trump, nous étions persuadés que, quelle que soit l’issue de la présidentielle américaine, nous nous dirigions vers un scenario moins favorable pour l’Iran. La candidate démocrate, Hillary Clinton, avait elle aussi une position dure vis-à-vis du pays, plus que l’administration Obama.

Donald Trump a été élu alors que l’économie iranienne commençait tout juste à enregistrer les premiers effets positifs de son ouverture économique, poussant de nombreuses entreprises à revoir leurs investissements. Au-delà des annonces faites par les États-Unis, c’est l’incertitude de la situation qui pousse les entreprises à avoir un comportement plus attentiste par rapport à l’Iran. Cela veut donc dire moins d’investissements étrangers dans le pays, moins d’entrées de devises et donc une situation économique qui se détériore rapidement, avec une inflation très élevée et un secteur bancaire déjà fragile qui le devient encore plus. Nous en revenons ainsi au risque de mécontentement social qui était déjà à un niveau élevé en Iran. Depuis un an, beaucoup de manifestations posent la question de la survie du régime actuel. La situation est donc difficile et les perspectives dépendent fortement de ce qui se passera à l’international dans les mois qui viennent. Une période de campagne électorale s’ouvre aux États-Unis. Il y a donc peu de chances que la situation se détende à court terme. À partir de fin 2020, tout dépendra pour l’Iran du nom du prochain président américain.

« Nous avons beaucoup de risques à suivre en Europe »

Quels sont aujourd'hui les risques majeurs pour une économie comme la France ?

L’économie française s’en sort plutôt bien, malgré un fort mécontentement social et un cycle de croissance mondiale qui se retourne. Les dernières tendances sont relativement meilleures en France que chez ses voisins, comme l’Italie, le Royaume-Uni et paradoxalement l’Allemagne, où l’économie est aujourd’hui plus exposée au risque protectionniste. En 2019, nous nous attendons à une croissance un peu plus faible qu’en 2018, et donc à une progression des défaillances d’entreprises. Mais la situation reste plutôt favorable comparativement à celle de ses voisins.  

Parmi les critères de risque-pays, vous avez mentionné le risque politique pour lequel vous avez développé un nouvel indice en mars 2017. Quels sont les composantes de cet indice ?

Cet indice est composé de trois volets. Dans un premier temps, nous essayons de quantifier le risque de mécontentement social. Nous avons fait évoluer notre méthodologie à la suite des printemps arabes. Ces événements ont mis en exergue que deux conditions devaient être réunies pour qu’il y ait un changement politique effectif au sein d’un pays : la première concernait la frustration sociale en tenant compte d’indicateurs comme le taux de chômage, l’évolution du PIB par habitant, l’inflation ou encore l’indice de corruption. Cette frustration observée dans de nombreux pays ne se traduit cependant pas toujours par un changement politique effectif parce que les opinions publiques n’ont pas toujours les moyens d’exprimer cette frustration. Nous tenons donc compte également d’indicateurs tels que le niveau d’accès à internet, le niveau d’éducation, le taux d’urbanisation, etc. C’est la conjonction de ces deux conditions, un degré de frustration élevé et des instruments pour l’exprimer, qui a pour conséquence un risque élevé de changement politique. La deuxième composante du risque politique tient compte du nombre de conflits, de leur intensité, du nombre de victimes… Il y a donc à la fois un élément interne lié au risque politique et un élément externe, la géopolitique. Nous avons ajouté un indice de risque terroriste que nous évaluons en fonction du nombre d’actions terroristes passées et de leur intensité.

« Il est important de suivre les risques du monde émergent »

Et quels sont vos points d'attention en matière de risque politique pour l'année en cours ?

Nous avons beaucoup de risques à suivre en Europe, notamment les modalités du Brexit qui constituent le premier risque à plus court terme. De nombreuses échéances électorales approchent et peuvent être la source d’une hausse du niveau du risque politique. Il y aura par exemple des élections anticipées en Espagne, on ne peut pas exclure un vote avant la fin de l’année en Italie et même peut-être en Allemagne, et les Grecs éliront de leur côté leurs députés à l’automne prochain. Les élections européennes se préparent également. Il s’agit d’un risque plus diffus mais il ne faut toutefois pas négliger son importance. Le risque est d’avoir, à l’issue du scrutin, un parlement très fragmenté, avec la montée en puissance de nombreux petits partis et la perte d’influence des deux grands partis européens, compliquant la capacité du parlement à réformer.

Au niveau géopolitique, il ne faut pas mettre de côté le conflit stratégique de long terme entre les deux grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine. Les entreprises doivent s’habituer à vivre dans un environnement plus volatile en matière de protectionnisme, quel que soit le nom du locataire de la maison blanche. Cette année sera de plus marquée par le début d’une longue période électorale aux États-Unis, moment propice à de nouvelles annonces politiques. Enfin, comme tous les ans, il est important de suivre les risques du monde émergent, avec des élections à venir dans des pays fragiles, comme en Inde ou en Afrique du Sud.

Margaux Savarit-Cornali

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