Alors que Donald Trump continue à exacerber les divisions au sein de l’opinion américaine en persistant à accuser son successeur de fraude, celui-ci pourrait trouver dans la crise et l’urgence nationale qu’elle représente un allié inattendu pour servir son ambition de réunifier le pays.

L’annonce officielle de la victoire démocrate, le décompte des voix qui, en se poursuivant installe Joe Biden à la Maison-Blanche, les gros titres de la presse… Rien n’y fait : claquemuré dans la posture de déni qu’il adoptait dès le soir de l’élection, Donald Trump refuse toujours de reconnaître sa défaite et, de ce fait, d’enclencher le processus de transition qui, d’ordinaire, débute dès l’annonce des résultats. Une situation inédite qui, tenant plus du folklore marketing que de l’authentique blocus démocratique, devrait pourtant rester sans réel impact sur le plan politique et administratif.

Joe Biden n’a d’ailleurs pas attendu le feu vert de son ancien rival pour se mettre au travail, ciblant ses priorités et finalisant ses équipes. Reste la suite. Selon François Durpaire, historien spécialiste des Etats-Unis, l’actuelle campagne de dénigrement menée par Donald Trump pourrait miner la légitimité de son successeur.

Semer le doute

"Le fait que Trump ne participe pas à la transition relève en grande partie du coup de com et ne changera pas grand-chose à l’arrivée, explique-t-il avant de rappeler qu’aux États-Unis l’administration repose sur un "spoil system". "Chaque changement de présidence entraînant le changement de quelque 4 000 hauts fonctionnaires qui, pour la plupart, ont déjà été recrutés via Teams et Zoom par l’équipe de Joe Biden." 

"Le fait que Donald Trump ne participe pas à la transition relève essentiellement du coup de com"

Pour lui, le véritable impact se situe ailleurs. Dans le doute semé au sein d’une partie de l’opinion. "Ce qui est plus inquiétant, c’est le fait que 72 millions d’Américains voient aujourd’hui en Donald Trump le seul président élu et en Joe Biden un usurpateur", poursuit François Durpaire qui rappelle qu’aux États-Unis, sans cette "pédagogie de la défaite" passant par l’acceptation du perdant de la victoire de l’autre, le résultat de l’élection reste, pour beaucoup, sujet à caution.

Pédagogie de la défaite

"Donald Trump le sait et c’est pourquoi, en persistant à dire je n’ai pas perdu, c’est l’élection qui est truquée, il mine la légitimité de son successeur et fragilise les institutions du pays. Autrement dit, il fait passer son ego avant l’intérêt de la nation, ce qui est très grave." D’autant plus grave que, Joe Biden le répète depuis des jours, il veut restaurer l’unité du pays en étant « le président de tous ». Une ambition impossible à tenir selon François Durpaire si son prédécesseur persiste à attiser les dissensions autour de son élection. "Et si, début janvier, les démocrates ne parviennent pas à obtenir de majorité au Sénat, poursuit-t-il, il lui faudra composer avec une cohabitation compliquée, aussi bien au Sénat qu’à la Cour suprême." Ce qui, ajouté à une opinion divisée quant à sa légitimité, peut impacter sensiblement son début de mandat.

L’argument clé de la crise

Dans cette prise de pouvoir sous tension, le nouveau président bénéficie toutefois d’un atout décisif : la crise sanitaire. Une crise d’une ampleur telle qu’elle justifie à elle seule l’unité de la nation, souligne l’historien qui rappelle que, d’ici à l’investiture, le virus devrait avoir causé 300 000 décès supplémentaires dans le pays… "La situation est tellement dramatique qu’elle donne à Joe Biden un argument imparable pour en appeler à dépasser les clivages, explique-t-il. Cela peut lui permettre de restaurer une unité nationale et des majorités au Congrès et au Sénat où il peut espérer arriver avec un plan de relance économique cosigné par Républicains et Démocrates." Et pourquoi pas, unir le pays face à une pandémie devenue la mère des batailles après l’avoir vu, quatre années durant, se fragmenter autour du port d’armes, de la lutte contre le réchauffement climatique et même, ces derniers mois, du port du masque.

Caroline Castets

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