Jeunes diplômés : pourquoi l’entreprise d’après ne se construira pas sans eux

La contraction du marché de l’emploi va résoudre la problématique attractivité et fidélisation des jeunes diplômés dans les entreprises. À plus long terme, leur recrutement représente pour elles une opportunité inédite pour accélérer leur transformation.
Conscient que les jeunes seront les premières victimes de la crise économique, le gouvernement a présenté, fin juillet, un plan exceptionnel destiné "à protéger leur avenir". Intitulé "1 jeune, 1 solution", il promet de ne laisser aucun d’entre eux "sur le bord de la route" et de trouver à chacun "une place dans la société". Parmi les mesures proposées figurent une compensation de charges à hauteur de 4 000 euros pour tout jeune recruté entre août 2020 et janvier 2021 ou encore une prime destinée à favoriser l’apprentissage et les contrats de professionnalisation.
Moins médiatisée, la situation spécifique des jeunes diplômés, signe qu’en France, observe Manuelle Malot, "l’opinion publique tend à considérer que cette population a moins besoin que l’on se préoccupe d’elle". Pourtant, la question de leur présence au sein des entreprises se pose avec d’autant plus d’acuité que leur rôle dans la relance économique risque, dans les prochains mois, de s’avérer déterminant. En effet, constate la directrice carrières et prospective de l’EDHEC, qui dirige le NewGen Talent Centre depuis 2013, "les jeunes diplômés croient davantage au pouvoir économique qu’au pouvoir politique". Si les porteurs traditionnels de sens qu’étaient l’armée ou la religion ont vu décroître leur influence auprès des jeunes, "le monde de l’entreprise représente, un vecteur efficace pour faire bouger les lignes".
Je rêvais d’un autre monde du travail
Car, les jeunes diplômés n’ont pas attendu les invitations à construire le "monde d’après" pour saisir le potentiel transformateur des entreprises. 61% d’entre eux pensaient, avant l’épreuve du covid-19, que l’entreprise serait amenée à se transformer en profondeur dans les prochaines années*. Les mutations à venir concernent, selon eux, autant les relations au travail que la façon de traiter les problèmes. Ce regard neuf les organisations peuvent l’apporter de par le rôle central qu’elles jouent "dans le dynamisme du monde". Moteur de l’innovation, elles permettent non seulement "de créer des emplois » mais également de faire « avancer des causes".
Les jeunes diplômés "croient davantage au pouvoir économique qu’au pouvoir politique".
Meilleure conciliation des temps de vie, plus grande flexibilité, autonomie dans le choix des méthodes de travail : les jeunes rêvent d’une entreprise libérée qui, plus horizontale, accordera sa confiance et plus de responsabilités à ses collaborateurs. Cela n’est pas sans engendrer quelques incompréhensions avec les générations précédentes plus favorables à une culture du présentiel et, certains ajouteront, prêtes à avaler davantage de couleuvres… Mais, loin de marquer une rupture intergénérationnelle, cette différence s’explique par l’environnement actuel qui, sous l’impulsion de la figure tutélaire de Greta Thunberg, leur donne les moyens et l’énergie de se montrer plus exigeants à l’égard des entreprises. Dans un tel contexte, il n’apparaît pas surprenant que près d’un jeune sur deux souhaite accompagner son employeur à accélérer le changement en matière de développement durable et de RSE, selon une enquête menée en 2018 par le NewGen Talent Centre.
Moteur de l’entreprise à venir
Moins vulnérable que consciente des vulnérabilités, cette nouvelle génération se sait vivre dans un monde aux ressources limitées. "Elle a, rappelle Claude Monnier, DRH de Sony France, connu les attentats, le confinement et les relations dématérialisées des réseaux sociaux". Contrairement à leurs parents, "le risque fait partie intégrante de leur vie", ce qui conduit les jeunes à ne pas rechercher la stabilité à tout prix. Comme en écho à la douzaine d’entreprises dont ils croiseront la route au cours de leur carrière, seuls 3% d’entre eux conditionnent, en effet, la réussite professionnelle à la fidélité.
"Le risque fait partie intégrante de la vie" la nouvelle génération.
Mais, en tant qu’observateurs extérieurs, les jeunes diplômés disposent d’un point de vue privilégié dont la plus grande force réside dans son absence de naïveté. En effet, s’ils sont 87% à percevoir le monde de l’entreprise de manière positive ou très positive*, ils ne le jugent pas moins ancien et donc peu adapté aux préoccupations sociétales actuelles. Ils estiment que les objectifs de rentabilité et de production croissante éclipsent encore trop souvent les enjeux liés à la justice sociale ou aux inégalités, deux sujets qui arrivent pourtant en tête de leurs critères de choix pour s’engager dans une entreprise. La crise économique n’exonèrera donc pas les organisations de s’affronter à ces questions si elles veulent attirer à elles les jeunes diplômés.
L’engagement : la clé de la relance
Loin de succomber au fatalisme, ces derniers ne se montrent pas prêts à compromettre leurs valeurs. En effet, selon l’étude "La fibre entrepreneuriale des jeunes générations, un potentiel pour le new normal", 58% d’entre eux jugent essentiel de leur rester fidèle pour réussir. "Les organisations, estime Manuelle Malot, auraient donc tort de ne pas prendre au sérieux la question de l’engagement". Car, dès que le marché de l’emploi rebondira, "les jeunes diplômés se détourneront sans aucun regret des entreprises dépourvues de politique environnementale ou ne répondant pas à leur besoin d’utilité sociale". Cela suppose "d’impliquer cette population hétérogène dans le développement de l’activité", de lui accorder "suffisamment d’autonomie" pour lui offrir ainsi la possibilité "d’avoir de l’impact et de proposer ses idées".
"Les organisations auraient tort de ne pas prendre au sérieux la question de l’engagement".
Aussi, les jeunes diplômés sont-ils bien plus que "notre avenir" ou qu’une manne financière pour les entreprises. "Ils représentent de véritables empêcheurs de tourner en rond". Dans les temps sombres que nous traversons, leur aide précieuse permettra de résister à la tentation de tout recommencer comme avant, de s’en tenir aux vieilles recettes éculées, de se réfugier dans une zone plus si confortable que cela. Les recruter constitue "une chance inespérée pour initier une relance durable, à même de concilier enfin logique de rendement et responsabilité sociétale".
Marianne Fougère
* NewGen for Good Comment la nouvelle génération va transformer l’entreprise ?
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