Ancien premier ministre et président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, actuel représentant spécial du gouvernement pour la Chine et président de la Fondation prospective et innovation, Jean-Pierre Raffarin évoque la passion et les valeurs qui l’animent. Rencontre.

Décideurs. Dans quel contexte est né votre désir d’engagement en politique ?

Jean-Pierre Raffarin. Au début des années 1970, je me suis engagé avec Valéry Giscard d’Estaing pour son projet libéral, centriste et européen. J’étais proche des idées de L’Express. J’ai suivi cette ligne, y compris lorsque je suis entré, sur proposition de Giscard, dans le gouvernement de Jacques Chirac. Tout mon parcours fut très influencé par les dix-huit ans que j’ai passé, avec bonheur, à la tête de l’exécutif de la région Poitou-Charentes. À Matignon, ma satisfaction fut de voir la courbe du chômage s’inverser durant mon séjour. À la présidence de la commission des Affaires étrangères et de la dépense du Sénat, j’ai appris à aimer les relations internationales. Là est née ma passion pour la paix.

Et votre passion pour la Chine ?

Elle est authentique. L’an prochain, je ­fêterai mes cinquante ans de Chine. J’y ai fait mon premier voyage en tant qu’étudiant à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP). Là-bas, j’ai été attiré par les mystères de ce pays. En 2003 j’ai été, après plusieurs voyages, reconnu par les autorités chinoises car je fus le seul premier ministre à ­affronter la pandémie du SRAS qui, à l’époque, effrayait le monde entier. Après Matignon, ma femme et moi avons fait de la connaissance de la Chine une passion ­partagée. Aujourd’hui, j’y défends les ­intérêts des entreprises françaises en leur faisant partager ma connaissance de ce pays.

Quels obstacles avez-vous été amené à surmonter ?

La supériorité parisienne fut un combat de tous les jours dans les premières étapes de mon parcours. La centralisation administrative, la suffisance intellectuelle, la méconnaissance du fait rural, la mésestime des PME…

"Être issu du secteur privé a souvent été pénalisant pour moi"

Toutes ces oppressions qui ont fait de moi un vrai Girondin. Être issu du secteur privé a souvent été pénalisant pour moi par rapport à mes collègues issus du public même si, en politique comme en entreprise, j’ai toujours eu la chance de travailler avec de très bons patrons, ce qui l’une des clés du succès.

Sur quel système de valeurs avez-vous le sentiment d’avoir bâti votre carrière ?

Outre le fait que j’ai toujours été naturel et sincère, je suis sensible à l’existence de l’autre. Les valeurs de l’humanisme me collent à la peau. La pensée du « deuxième humaniste » de Luc Ferry est l’espace intellectuel où je me sens bien.

La passion a-t-elle été pour vous un ­moteur de réussite ?

Évidemment. La passion pour ma région, verte et bleue, reste le cadre de ma vie. La passion pour mon école, l’ESCP où j’enseigne cinquante ans après avoir été diplômé, la passion de l’Europe et de la paix, celle de la France et de la politique, la passion de la famille… Les passions me tiennent debout.

Diriez-vous qu’elle vous a amené à prendre des risques et donc à vous autoriser l’échec ?

Bien sûr, la passion crée l’engagement qui, lui, peut déboucher sur l’échec. Ma « passion giscardienne » s’est avérée très douloureuse le 10 mai 1981. En politique, les échecs sont violents.

Quel conseil aimeriez-vous adresser aux décideurs d’aujourd’hui, qu’ils soient politiques ou économiques ?

Ne sous-estimez pas l’expérience ! L’épaisseur est souvent une force. Équilibrez sagement dans les équipes chargées de l’exercice du pouvoir les talents de la créativité et ceux de la culture. Et n’oubliez pas que la paix est un préalable au bonheur et que la mission première de la politique est de contenir la violence.

Propos recueillis par Caroline Castets

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