Sans langue de bois et avec lucidité, l’économiste Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP Europe, analyse les programmes des principaux candidats à la présidentielle.

Décideurs. L’une des principales propositions de Marine Le Pen consiste à sortir de l’euro. Y êtes-vous favorable ?

Jean-Marc Daniel. L’objectif de Marine Le Pen c’est de sortir de l’euro pour créer une dévaluation. Un phénomène qui provoquerait inévitablement une chute des taux de change et, par conséquent, une augmentation brutale de l’inflation. C’est notamment ce qui se passe au Royaume-Uni où la livre a perdu 15 % de sa valeur depuis le Brexit, mais l’inflation a atteint 1,8 % en janvier (un chiffre au plus haut depuis plus de deux ans et demi). Si elle veut éviter cette inflation et stabiliser la monnaie, Marine Le Pen sera contrainte de durcir la politique budgétaire, et donc d’augmenter les impôts. Pour résumer, une sortie de l’euro impliquerait dans tous les cas une baisse du pouvoir d’achat des Français. Ce n’est donc pas la meilleure solution.

 

 « Une sortie de l’euro impliquerait dans tous les cas une baisse du pouvoir d’achat des Français. »

 

La candidate explique néanmoins qu’une dépréciation permettrait d’exporter davantage...

C’est ce qu’elle dit. Mais en réalité, l’appareil productif français n’est pas capable de répondre à une augmentation de la demande. Il faut avant toute chose commencer par remuscler notre appareil productif pour lui offrir des débouchés.

 

 

 

Son projet est donc déconnecté de la réalité…

Elle n’a effectivement aucune maîtrise de la réalité. Je crois que cela ne l’intéresse pas. Elle est aujourd’hui entourée par un groupe de patrons frustrés des années 1980 en quête de dévaluation. Il est vrai que la dévaluation pourrait permettre de réduire le chômage  ?  selon la courbe de Phillips, l’inflation serait inversement proportionnelle au taux de chômage  ? , mais je crois que la France n’est  pas aujourd’hui dans cette configuration. Il faut dire à ceux qui s’apprêtent à voter pour Marine Le Pen que les premiers touchés par une dévaluation seraient les Français les plus modestes, ceux qui consomment le plus de produits importés, car leur prix augmenterait inévitablement. 

 

Elle prévoit un objectif de croissance de 2,5 % en 2022, est-ce réalisable ?

Non, c’est totalement absurde. La croissance dépend inévitablement de l’investissement… Or il est impossible d’évaluer à l’avance les investissements privés.

 

Donc Emmanuel Macron avec son plan d’investissement public de cinquante milliards d’euros est plus cohérent ?

Pas du tout. C’est du gaspillage. Le problème de la France, c’est que les entreprises n’investissent pas. Il ne faut pas d’investissement public. Quant aux 106 milliards proposés par Jean-Luc Mélenchon, c’est du délire total...

 

Que faudrait-il donc pour relancer la croissance ?

Baisser les impôts pour permettre aux entreprises d’investir.

 

La quasi-totalité des candidats proposent de transformer le CICE. Qu’en pensez-vous ?

Le CICE est effectivement une usine à gaz. Pour relancer l’économie, il faut redonner des moyens aux entreprises.Transformer le CICE en allègements va dans le bon sens. Mais je pense qu’il serait préférable d’imaginer un impôt sur les sociétés unique avec un taux que l’on baisserait progressivement jusqu’à s’aligner sur celui de nos voisins européens. Ce qu’il faut avec le CICE, c’est aussi et surtout qu’il prenne une forme la plus simple possible.

 

 « Pour relancer l’économie, il faut redonner des moyens aux entreprises. »

Justement, plusieurs candidats parlent de simplifier les rapports entre l’administration et l’entreprise dans l’objectif de relancer la croissance… Une proposition sérieuse selon vous ?

Je pense que les entreprises ont effectivement besoin de simplification. Mais on s’attaque là à un véritable chantier, qui pourrait effectivement relancer l’économie, mais qui se heurtera à certaines catégories professionnelles qui bénéficient de la complexité du système. Cela va des avocats aux inspecteurs du travail.

 

Parmi les différents programmes, vous semblez adhérer davantage aux projets d’Emmanuel Macron et de François Fillon.

Le programme de François Fillon est cohérent. Mais sa logique est un peu particulière : ses propositions sont calquées sur les besoins des employeurs. Or les employeurs ne sont pas des analystes économiques. Emmanuel Macron est lui dans un objectif de construire la société de demain. Sauf que certaines de ses propositions, notamment les cinquante milliards d’investissements publics, visent à séduire une partie de l’électorat de gauche. Ce qui est néanmoins rassurant, c’est qu’Emmanuel Macron comme François Fillon, les deux seuls candidats a priori en mesure de remporter l’élection, se présentent avec des programmes économiques les plus intéressants et les plus cohérents de ces dernières années. 

 


Propos recueillis par Capucine Coquand

@CapucineCoquand

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