La digitalisation pousse les entreprises à agir de plus en plus vite. Pour y arriver, elles doivent mettre en place une stratégie RH proactive. Les chantiers à mener sont nombreux : modification des organisations, détection des nouveaux talents et formation des collaborateurs. Entretien avec Jean Giboudeaux, directeur général de Right Management (ManpowerGroup).
Décideurs. Comment la digitalisation impacte-t-elle les entreprises ?

Jean Giboudeaux. Les organisations opèrent dans un environnement de moins en moins stable et où tout va plus vite. Personne ne peut dire avec précision ce que sera son marché d’ici un an. Dès lors, les entreprises sont contraintes de s’ajuster en permanence et de trouver de nouvelles stratégies. Selon une enquête que nous avons menée récemment sur un panel d’organisations, 90% de celles-ci estiment qu’elles vont être impactées par la digitalisation de leur business model dans les trois ans à venir. Il faut imaginer que d’ici à 2020, 30% des revenus seront générés par des business model qui n’existent pas encore ! En comparaison, lors du cycle de la dernière révolution industrielle, il a fallu cinquante ans pour mettre en place les nouvelles technologies. Aujourd’hui, une entreprise a entre six mois et un an.

Les entreprises ont-elles les moyens de faire face à ces évolutions ?

Bien évidemment ! Toutes les sociétés doivent se transformer. Et le capital humain a un rôle central à jouer dans ces transformations technologiques et digitales. Sans une attention particulière à la dimension humaine des changements, la digitalisation ne pourra pas délivrer tout son potentiel. Il s’agit non pas de « faire du digital » mais « d’être digital » ! Si le numérique n’est pas correctement intégré par les organisations et par les collaborateurs, la valeur ajoutée apportée par ces évolutions sera bien moindre. Un des enjeux est donc d’embarquer les collaborateurs dans ce mouvement et de fabriquer les compétences nécessaires aux réussites de demain. Pour cela il faut mettre en œuvre des programmes RH multidimensionnels intégrant des initiatives pour, par exemple, faire évoluer la culture d’entreprise, responsabiliser les strates managériales, favoriser les parcours de mobilité proposés aux collaborateurs, intégrer des dispositifs de formation …. Il faut également que les organisations répondent aux attentes de plus en plus fortes de leurs collaborateurs en leur proposant des parcours de carrière individualisés. Avec le défi d’être capable d’intégrer le clivage générationnel qui impose des politiques RH différentes.

Comment mettre en place ces changements ?

J’ai la conviction qu’un travail important doit être réalisé sur les leaders. Il faut des leaders capables d’initier et de favoriser les conditions de succès de ces transformations. Ce sont eux qui doivent impulser la transformation digitale des organisations mais surtout embarquer l’ensemble des collaborateurs dans ces dynamiques. Au-delà de ce qui fait le socle d’un leader efficient, c’est à dire l’endurance, la détermination, l’acuité intellectuelle et l’adaptabilité, il faut porter une attention toute particulière à certaines compétences clés qui deviennent critiques dans des contextes de transformation rapide. Deux dimensions deviennent ainsi de vrais accélérateurs pour ces leaders : la capacité continue d’apprentissage et la curiosité ! Il faudra par ailleurs qu’ils soient beaucoup plus ouverts aux changements et capables de prendre des risques car c’est en acceptant l’échec que l’on construit le futur.

Au vu de nos dernières enquêtes sur ce sujet qui montrent que seulement 13% des dirigeants d’entreprise considèrent disposer d’un vivier de leaders suffisamment robustes, ce travail de musculation doit être une priorité de nos organisations !

« Être plus ouverts aux changements et être capables de prendre des risques »

Comment permettre l’émergence de ces « leaders digitaux » ?

La première étape est d’identifier dans les organisations les collaborateurs disposant du potentiel pour devenir les leaders de demain. L’enjeu est de mettre en place des dispositifs permettant cette détection de façon fiable. Nous privilégions des approches d’assessment permettant d’évaluer ce que nous appelons les attributs personnels prédictifs du potentiel de réussite. Ce sont les dimensions dont j’ai parlé précédemment.

Puis il s’agit de travailler sur certaines compétences plus spécifiquement en musclant les leaders existants ou en devenir par le biais de programmes de développement dédiés. Nous privilégierons alors par exemple un travail sur la capacité à construire la confiance, à demander, donner et recevoir du feed back, à piloter à la fois le court et le long terme, à oser prendre des risques et saisir les opportunités.

Comment faire pour développer ces compétences ?

Nous privilégions des parcours individualisés intégrant des démarches de codéveloppement et de « peer coaching ». Nous constatons chaque jour l’efficacité redoutable de ce type de dispositif. Les échanges entre pairs sur des zones de développement précises accompagnés par un coach professionnel donnent des résultats qui vont au-delà bien souvent des attentes des participants.

En complément, l’exposition des leaders à des contextes variés et la capacité qui leur est donnée d’expérimenter dans des processus « test & learn » sont également des leviers très puissants de développement.

« Déterminer en amont les nouveaux besoins afin de les former le plus tôt possible »

Et pour les autres collaborateurs, quelles sont les transformations auxquelles ils doivent faire face ?

Lorsqu’il s’agit de s’adresser à l’ensemble des collaborateurs, l’enjeu est de transformer et ou de fabriquer les compétences nécessaires à la réussite future de l’organisation. Le défi est alors de créer les parcours de formation et les parcours de mobilité permettant à chaque collaborateur d’enrichir ses connaissances et de trouver sa place dans ces organisations en mouvement. La difficulté est de déterminer en amont les nouveaux besoins afin de les former le plus tôt possible. Nous travaillons pour cela avec des experts sectoriels pour déterminer les tendances lourdes et les compétences dont les entreprises auront besoin. Il faut distinguer les compétences « soft », comme l’agilité intellectuelle et la capacité à prendre du recul, et les compétences « hard » qui se rattachent directement au métier.

Comment gérer un décalage entre les compétences dont une entreprise dispose et celles dont elle a besoin ?

Il y a deux possibilités. Celle que nous privilégions est de développer en interne les compétences en mettant en place des formations adaptées et en facilitant la mobilité interne. Si cela n’est pas suffisant ou adapté, il faut aller chercher les compétences en externe. Dans ce cas-là, il faut mettre en place une stratégie pour attirer les talents.

Propos recueillis par Vincent Paes

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