Avec son passé et le statut à part qui en découle, Hongkong s’apparente à une enclave occidentale en territoire chinois. De quoi agacer Pékin, sans aucun doute, mais aussi l’inciter à la prudence et au pragmatisme, explique John Seaman, chercheur au centre Asie de l’IFRI, qui pointe le risque d’image majeur qu’impliquerait pour la Chine toute escalade et répression violente.

Décideurs. La mobilisation hongkongaise a fait reculer Pékin. Faut-il y voir une authentique victoire de la rue face aux tentatives du pouvoir de rogner sur les libertés publiques ?

John Seaman. Je pense qu’il s’agit davantage d’un repli tactique destiné à limiter le risque d’escalade à une période où Pékin est déjà engagé dans un jeu de pouvoir complexe au niveau international, notamment avec les États-Unis. Il faut bien comprendre que Hongkong occupe une place particulière dans le système politique et social chinois. C’est un territoire très connecté à la société internationale, si bien que la façon dont Pékin gérera cette crise aura un impact immédiat sur l’image de la Chine dans le monde occidental.

Au cœur de cette crise se trouve donc le statut à part de Hongkong. Comment celui-ci est-il perçu par Pékin ?

Depuis sa rétrocession, Hongkong est vu par les Chinois comme une exception à la fois sur le plan politique, culturel et social ; une enclave occidentale. Par exemple, lorsque la politique de l’enfant unique a été adoptée par Pékin, beaucoup de Chinois ont cherché à s’y installer afin de pouvoir avoir un deuxième enfant. À cette dimension d’exception s’ajoute le fait que, de par son passé commun avec le Royaume-Uni, Hongkong incarne une sorte de passerelle entre la communauté chinoise et la société internationale, ce qui se passe en Chine étant désormais accessible à l’international via ce ­territoire. Cela en fait bien évidemment une exception qui dérange et derrière les tentatives de Pékin de restreindre ses libertés publiques se trouve la volonté de contrôler le message délivré à l’Occident sur la société chinoise.

Pékin n’en est donc pas à sa première tentative ?

Non, bien sûr que non. Ce qui contribue d’ailleurs à expliquer l’ampleur des manifestations récentes. Parce qu’il existe, chez les Hongkongais, le sentiment que Pékin contrôle déjà une partie de la vie politique et médiatique et qu’un glissement se poursuit dans ce sens. En 2014, c’est déjà ce qui avait donné lieu à la « Révolution des parapluies ».

Comment la situation devrait-elle évoluer selon vous ?

Difficile de le dire avec certitude à ce stade mais je pense que le gouvernement va jouer la montre de manière à calmer les esprits et, encore une fois, à écarter tout risque de voir les tensions conduire à des débordements qui eux-mêmes seraient susceptibles de mener à une répression dont des images seraient immanquablement diffusées sur les réseaux sociaux et terniraient l’image de la Chine à l’international. D’où le fait que Pékin joue aujourd’hui la prudence et le pragmatisme.

Cette crise « locale » comporte donc des enjeux d’image stratégiques pour Pékin à l’international ?

Effectivement, si le gouvernement chinois surréagit, il court le risque d’être perçu comme un régime autoritaire, ce qui serait extrêmement dommageable à une période telle que celle-ci, devant laquelle la Chine se montre particulièrement soucieuse de son image sur le plan mondial ou elle veut apparaître en acteur responsable. Si le pouvoir en place est vu comme un régime répressif à l’égard des libertés démocratiques, cela ne jouera pas en la faveur de Pékin, son ambition étant d’apporter la démonstration que d’autres régimes de gouvernance politique existent hors de la démocratie et que ceux-ci présentent une alternative efficace au modèle occidental.

Propos recueillis par Caroline Castets

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