L’ancien fief de Nicolas Sarkozy donne de bons scores à La République en Marche. De quoi nourrir les ambitions de Jean-François Rouzières qui expose une partie de son programme et revient sur la sociologie d’une ville en pleine mutation.

Décideurs. Neuilly-sur-Seine a longtemps été un bastion de la droite "classique". Depuis 2017, LREM y obtient d’excellents résultats. Comment expliquer ce basculement ?

Jean-François Rouzières. Neuilly-sur-Seine est une ville dans laquelle, pour reprendre la théorie de René Rémond, trois droites cohabitent. Il existe une droite bonapartiste, longtemps organisée autour de LR, avec le culte d’un chef fort. Est également en train de resurgir un courant de pensée que l’on croyait disparu : la droite légitimiste que j’appelle également la droite Trocadéro. C’est celle qui, notamment, manifeste contre le mariage pour tous, peut remettre en question l’IVG. À Neuilly-sur-Seine, elle se structure autour du maire Jean-Christophe Fromantin. Au niveau national, autour de personnalités comme François-Xavier Bellamy ou Bruno Retailleau.

Enfin, une droite libérale pro-européenne, réformiste, progressiste sur les questions sociétales est très présente dans la ville. Elle n’a pas peur de l’entreprise, de l’argent, de l’ouverture au monde, de la prise de risques. Très implantée et en pleine croissance à Neuilly-sur-Seine, elle est séduite par les idées de LREM. D’une certaine manière, elle est l’héritière de l’UDF de Valéry Giscard d’Estaing qui a donné un coup d’accélérateur à la construction européenne, a abaissé la majorité à 18 ans ou a légalisé l’IVG. Ce qui explique notamment l’excellent score de Nathalie Loiseau aux élections européennes, 48% dans la ville, loin devant François-Xavier Bellamy (25,59%). Neuilly-sur-Seine est une ville de droite progressiste.

Pour vous, LREM est donc un parti de droite ?

Si l’on s’en réfère à une grille de lecture française, je pense que LREM est un parti de centre-droit, même s’il existe une aile plus à gauche. Mais si Neuilly-sur-Seine était une ville américaine, elle serait résolument démocrate.

Se présenter ouvertement LREM dans une élection où les étiquettes partisanes sont moins importantes et où les maires sortants sont en position de force est une stratégie osée. Vous la maintenez ?

Totalement, je me revendique En Marche, même si je suis avant tout un Neuilléen implanté dans la ville depuis vingt ans. Je fais partie de ceux qui assument leur étiquette, je ne compte pas me défausser et me cacher derrière une autre appellation, même si c’est ce que doivent conseiller les experts en communication.

Sur votre site de campagne, vous mentionnez "l’ADN de Neuilly", comment le définir ?

C’est une ville à la campagne, ou la campagne à deux pas de Paris. Neuilly-sur-Seine est une commune à taille humaine, végétale, tranquille et sûre, même si cela est de moins en moins le cas. Mais c’est aussi une ville d’écrivains. Outre Jean d’Ormesson, Jacques Prévert et Albert Cohen ont vécu ici ; peu de gens le savent. Maire, je compte organiser une semaine de la langue française et faire rayonner cet héritage.

Ouverte sur le monde, Neuilly-sur-Seine est une ville qui possède un ADN européen. Les habitants soutiennent à chaque élection les initiatives visant à renforcer l’UE. Pourtant, en douze ans, seuls deux évènements sur le sujet ont été organisés. Je compte renforcer le rythme. Au niveau symbolique, ma première action sera de rebaptiser la place du Marché en place Simone Veil en reconnaissance à son engagement européen, mais afin de rendre hommage à son combat pour l’émancipation des femmes et sa lutte de tous les instants contre l’antisémitisme.

Neuilly-sur-Seine a la réputation d’une ville sûre. C’est de moins en moins le cas. Comment changer les choses ?

Un maire a d’importantes compétences en matière de sécurité. Or, celle-ci se dégrade. Entre 2014 et 2018, le nombre de vols à la tire a connu une hausse de 581% et celui des cambriolages de 86%. Il est possible d’agir à plusieurs niveaux, je propose de doubler le nombre de caméras de surveillance et d’augmenter de 30% les effectifs de la police municipale. C’est un investissement, mais il semble indispensable et la ville en a les moyens. Je reproche au maire d’avoir laissé l’insécurité se développer au nom de la rigueur budgétaire.

"Je préfère que des jeunes parents trouvent une place en crèche plutôt que de me féliciter d'un triple A chez Moody's"

Par ailleurs, la tolérance envers les petites incivilités doit être de 0. Elle est souvent le fait de mineurs qui doivent être redevables de travaux d’intérêt général. Enfin, la liste que je conduis propose de fournir aux commerçants, concierges et établissements scolaires un kit alerte sécurité.

Quel bilan tirez-vous de l’action de Jean-Christophe Fromantin ?

Il mène une gestion rigoureuse. Mais c’est de la rigueur pour de la rigueur. On ne dirige pas une ville comme une entreprise. Les excédents se comptent en millions d’euros. Pour autant, en matière de jeunesse, de sports ou de de culture, la ville est en retard faute d’investissements. Nous n’avons pas de conservatoire, le crédit versé aux associations sportives est 300 000 euros par an, une aumône pour une commune de notre stature. Je préfère que des jeunes parents trouvent une place en crèche plutôt que de me féliciter d’une notation triple A chez Moody’s. Pour une ville comme Neuilly-sur-Seine, il est tout à fait possible d’investir, sans augmenter les impôts locaux, tout en présentant un budget à l’équilibre. Il suffit de changer de mode de pensée !

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail