En plein confinement, la start-up d’analyse des actions des utilisateurs d’applications mobiles et sites internet Contentsquare boucle une série D de 173 millions d’euros. Jonathan Cherki, son fondateur et CEO, présente la technologie et les ambitions de la nouvelle licorne française.

Décideurs. Quelle est la genèse de Contentsquare ?

Jonathan Cherki. La société a démarré dans l’incubateur de l’Essec en 2012, d’abord comme projet étudiant avant de devenir un projet de vie. À l’époque, le principal moyen d’augmenter les ventes en ligne était l’acquisition d’audience, grâce à la recherche de Google, le display et les bannières de Criteo ou le CRM de Salesforce. Puis les coûts d’acquisition ont commencé à augmenter et le trafic s’est progressivement déplacé vers le mobile, mais les taux de conversion étaient faibles. Dans un monde où l’expérience prenait le pas sur le produit, nous avons monté un analytics, qui permet de comprendre le comportement de l’utilisateur, les contenus regardés et les conséquences sur sa décision d’achat, en analysant le mouvement de la souris ou les touch, wide and zoom sur les interfaces mobiles.

Quelle est la valeur ajoutée de votre offre vs les gros éditeurs tels que Salesforce et Adobe ?

Salesforce et Adobe sont des clients partenaires. Le premier propose une approche de gestion de la relation client – CRM -, avec l’envoi d’e-mails notamment. L’apport de Contentsquare tient à l’analyse du comportement du visiteur du site internet et à l’optimisation de son parcours. Adobe, pour sa part, apporte les premières couches d’analytics pour comprendre à quelle étape le client potentiel se perd, mais n’analysera pas l’intention ou le comportement. Pour faire un parallèle avec un magasin, Adobe enregistre les entrées, les sorties et les achats des clients, mais pas leur expérience dans le magasin. Ça, c’est le job de Contentsquare, toujours dans le respect de la vie privée. Notre logiciel identifie les erreurs rencontrées sur le parcours de l’utilisateur, les produits à mettre en avant, et analyse les prix et les contenus pour délivrer des recommandations d’amélioration aux entreprises en vue d’optimiser le parcours client.

Quelle est votre vision produit ?

Nous cherchons à devenir un champion de la transformation digitale. Pour ce faire, nous avons besoin d’avoir la compréhension la plus avancée possible de l’expérience des utilisateurs. Il faut tout d’abord identifier les contenus qui fonctionnent, les parcours et les pages à optimiser, puis analyser les erreurs rencontrées, les produits et les prix. Demain, on ira plus loin dans l’analyse. Qu’il s’agisse d’images, de vidéos, voix, chatbots, etc. L’idée est d’ajouter des dimensions supplémentaires et de les relier pour comprendre les leviers d’une décision d’achat ou lever les obstacles rencontrés par les utilisateurs. Par ailleurs, les comportements peuvent se révéler très différents d’un pays à l’autre. Par exemple, un Allemand sur cinq lit les conditions générales de vente, alors qu’aucun français n’imaginerait les lire. En Chine, les utilisateurs consultent jusqu’à vingt visuels avant d’acheter un produit, contre trois à cinq seulement en Europe. Les pages sont beaucoup plus longues et les contenus plus complets en Asie qu’en Europe. L’expérience se doit donc d’être adaptée localement.

"Aux États-Unis, le poids des ventes en ligne dans la distribution est passé de 16 % à 27 % après la crise" 

Vous avez bouclé une série D en plein confinement. Racontez-nous.

Le tour a été mené par BlackRock avec la participation de nos investisseurs. Nous les avons rencontrés pour la première fois fin janvier et le closing a eu lieu fin avril. La plupart des interactions se sont faites en visioconférence, mais cela n’a affecté ni le mode de fonctionnement ni les discussions, dans la mesure où nous évoluons dans un secteur en croissance exponentielle. Nos sponsors investissent sur le long terme et croient dans la technologie, la vision, les équipes et le projet de Contentsquare. Un investisseur ne procure pas uniquement de la valeur financière, car il y a beaucoup d’argent disponible sur le marché. Ils soutiennent le développement de la société par leur savoir-faire, leur excellence opérationnelle, leur connaissance en développement international, etc. Et ils sont très présents quand j’ai besoin d’eux.

Vous avez récolté 190 millions de dollars. Quelles seront vos priorités ?

Nous investirons encore en innovation et R&D, et dans notre développement, organique ou par acquisitions. Nous continuerons à grandir sur nos marchés principaux, l’Europe de l’Ouest et les États-Unis, mais nous poursuivrons aussi nos efforts sur nos nouveaux marchés, à savoir l’Europe du Sud, les Nordics, le Middle East et l’Asie. Nous veillerons aux besoins d’adaptation locale de notre technologie, mais pour l’instant nous adoptons les mêmes types d’investissement. Nous mettons des équipes en place, nous rencontrons des prospects et accompagnons les clients existants. Aujourd’hui, Contentsquare compte 600 collaborateurs, dont près de 300 nous ont rejoints en 2019 – notamment à la suite des deux acquisitions – dans nos bureaux à Paris, Munich, Londres, New York, San Francisco, Tel Aviv, Tokyo et Singapour. En 2020, nous recruterons 100 à 200 nouveaux collaborateurs.

Qu’est-ce que la crise du coronavirus a changé pour votre activité et votre marché ?

La Covid a affecté de nombreuses activités, mais a aussi développé un certain nombre d’industries. Tous secteurs confondus, le digital est au cœur de l’ensemble des investissements, puisque c’est le principal canal de vente. Les trafics ont crû de 100 à 500 %, avec des ventes qui ont bondi pour certains entre 100 et 300 %. Aux États-Unis, le poids des ventes en ligne dans la distribution est passé de 16 % avant la crise à 27 %, apportant de nouveaux utilisateurs aux marques. Les données reflètent une modification des comportements des consommateurs mais davantage structurelle que conjoncturelle.

"Tous secteurs confondus, le digital est au cœur de l’ensemble des investissements"

Comment une société française telle que la vôtre parvient-elle à séduire de grandes marques internationales ?

C’est le résultat de plusieurs facteurs. Nous disposons d’un bon produit sur un marché dont la courbe de croissance est exponentielle. L’acquisition de technologies et de sociétés nous a permis d’accélérer notre développement et de prendre un leadership mondial sur ce marché. Notre stratégie repose principalement sur l’innovation – 170 de nos collaborateurs sont dédiés à la R&D – et l’internationalisation. Aujourd’hui, 55 % de nos revenus se font en Europe, 40 % aux États-Unis et 5 % en Asie. Cela passe également par une culture forte et l’ambition de créer quelque chose qui aura un impact fort pour nos clients, nos collaborateurs, la société. Au-delà de ces ingrédients, notre solution est performante, prête à grandir, et elle arrive à un moment où les besoins sur ces sujets prennent de plus en plus d’importance. Ça, c’est quelque chose qu’on décide rarement.

Au-delà des grands noms, votre solution pourrait-elle s’adresser à des structures plus modestes ?

Les grands comptes constituent notre principale clientèle et notre ADN. Pour autant, nous réfléchirons, dans les mois et années à venir, comment adresser des segments et des verticales sur lesquels nous sommes moins présents, comme les PME et le mid-market, mais également le monde social ou le gaming. Cela fait partie des potentiels développements de Contentsquare.

Avez-vous pour stratégie, à moyen terme, de vous faire racheter par un acteur américain ou, au contraire, d'asseoir votre position de leader de la transformation digitale en France car vous avez un boulevard devant vous sur le marché de l'analytics ?

Nous prônons l’indépendance. Contentsquare est et restera française, avec un siège social à Paris. Si je suis parti m’installer aux États-Unis, c’est pour développer le marché américain. Quant au marché de l’analytics, nous avons quelques concurrents en Amérique du Nord. Le principal, ClickTale, installé en Israël, nous l’avons racheté en 2019. Contentsquare évolue sur un marché porteur et a réalisé une belle année 2019 avec 200 % de croissance. Nous sommes encore dans une phase d’investissement et notre dernière levée de fonds finance un plan de développement pour les cinq prochaines années. Cependant, en matière d’innovation, ce n’est pas parce que nous sommes bons aujourd’hui que nous le serons toujours, il faut donc continuer à travailler dans ce sens, sans jamais oublier d’où l’on vient. Et j’ai de l’énergie à revendre.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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