La crise sanitaire, tout comme ses conséquences économiques, Jacques Attali les avait prévues. Et pour lui, aucun doute, d’autres, plus graves, suivront si celle-ci n’est pas mise à profit pour repenser nos modes de production et de consommation. D’où son appel à nous recentrer sur certains secteurs d’activité prioritaires mais aussi à renoncer au diktat de l’immédiateté pour penser l’avenir, et donc la relance, sous le prisme du long terme.

Décideurs. L’Institut de l’économie positive, que vous dirigez, mène à l’heure actuelle une vaste consultation autour de la possibilité de faire de la crise du Covid-19 « un accélérateur et un catalyseur de l’économie positive », pouvez-vous nous en dire plus ?

Jacques Attali. Beaucoup de choses négatives résultent de la crise sanitaire, cela va sans dire : beaucoup de morts de gaspillage économique, de chômage et de misère, mais je crois également que cette pandémie peut s’avérer une opportunité. Celle de modifier nos modes de fonctionnement pour éviter de recréer les conditions qui l’ont fait naître. Pour cela je suis pour recréer une économie positive en concentrant la production sur les industries de la vie telles que la santé, l’hygiène, l’alimentation, l’agriculture, la recherche, le digital, l’énergie propre, la démocratie, les médias, la sécurité ou encore la culture au détriment d’autres secteurs tels que l’automobile, le pétrole, la chimie, la mode, l’aviation, et avec des secteurs à réorganiser comme le tourisme.

Selon vous, réorienter nos modes de production sur certains secteurs prioritaires permettrait d’éviter d’autres crises ?

Je pense que, si l’on comprend enfin qu’il est nécessaire de se focaliser sur ces industries, non seulement cela nous permettra de mieux nous préparer aux futures pandémies mais cela nous permettra également de mieux gérer la transition énergétique. Alors on fera de la crise une opportunité et on évitera la tentation d’en sortir pour reproduire les mêmes erreurs. Si cette crise ne nous amène pas à changer nos modes de fonctionnement, alors on créera les conditions d’une crise plus grave. Ce que vous préconisez passe par une forme de révolution culturelle.

Les consciences y sont-elles préparées ?

Pour moi, les gens ont compris qu’on ne dépensait pas assez pour bien se nourrir, bien se soigner et bien apprendre. Et il est clair que la crise du Covid-19 est liée au fait qu’on n’a pas pris conscience suffisamment tôt qu’un problème grave se préparait. Elle était pourtant prévisible, j’en ai parlé il y a vingt ans ! Et les Coréens s’y attendaient, ils s’y étaient préparés si bien que lorsque la pandémie a éclaté, ils ont su y répondre. Si nous avions été comme eux, si l’on était sortis plus tôt du déni, jamais la crise n’aurait pris une telle ampleur ni eu de tels effets dramatiques. Mais il en est de cette crise sanitaire comme du climat : on accuse de pessimisme ceux qui prévoient le pire alors que c’est là la meilleure façon de l’éviter.

"Il en est de cette crise sanitaire comme du climat : on accuse de pessimisme ceux qui prévoient le pire alors que c’est là la meilleure façon de l’éviter"

Qu’en est-il de nos chefs d’État ? Diriez-vous qu’ils ont pris la mesure de la situation ?

Le problème est qu’il en est de nos gouvernants comme de l’ensemble de la société : ils ne pensent qu’à l’urgence. Ils gouvernent en fonction des sondages d’opinion tout comme les entreprises sont régies par les cours de Bourse et tout comme nos propres modes de consommation obéissent à la recherche d’une satisfaction immédiate. Tout nous porte vers l’immédiateté. Or, l’un des enjeux clés de l’économie positive – et de la relance actuelle – consiste à penser sur le long terme afin que soient pris en compte les intérêts des générations futures, ce qui n’est pas naturel et demande un véritable effort.

Et penser l’avenir sur le long terme implique nécessairement d’y intégrer une composante écologique ?

Aucune solution pérenne ne pourra êtremise en place qui ne tienne compte des enjeux écologiques, c’est une certitude. On ne peut plus faire cette économie. Mais la question écologique n’est pas le seul critère à prendre en compte. D’autres composantes majeures devront désormais l’être également, parmi lesquelles la santé, l’éducation, les problèmes sociaux, la condition de la femme, ou encore celle de la démocratie.

Propos recueillis par Caroline Castets

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