La crise sanitaire, devenue économique et financière, fut le baptême du feu pour l’ISR. Quelques mois plus tard, le bilan est prometteur. Plus solide que les autres actifs, l’investissement éthique a fait la preuve de sa résilience. Porté par la crise, une volonté politique affirmée et un véritable engagement générationnel, le développement de l’ISR pourrait encore s’accélérer.

À toute chose malheur est bon, paraît-il. L’adage pourrait bien s’appliquer à l’Investissement socialement responsable (ISR) dans le contexte actuel de crise. Alors que le monde se confinait progressivement, les marchés mondiaux étaient pris dans une tourmente aussi violente qu’inattendue. Les chiffres de cette dégringolade donnent le vertige : près de - 38 % pour le CAC 40, -36 % pour le S&P 500 et le Dow Jones ou - 34 % pour le MSCI Emerging Markets selon les chiffres publiés par L’info durable. Même s’ils se sont normalisés peu à peu depuis la fin du mois de mars, ils attestent de la brutalité et de l’ampleur planétaire du choc. Dans ce contexte, tous les yeux se sont rapidement tournés vers l’ISR pour mesurer le bien-fondé de ses promesses de résilience toujours mises en avant par ses promoteurs.

Premier crash-test pour l'ISR

Les résultats des analyses n’ont pas déçu. Loin de là. "En moyenne, depuis le début de l’année, les indices de gestion ISR surperforment de 4,5 % les indices classiques", décrypte Olfa Maalej, membre du directoire au sein de la banque privée Neuflize OBC. Un chiffre qui dénote, si ce n’est un état de grâce, au moins une meilleure résistance dans la tourmente de la crise. L’étude de Fidelity International ne dit pas autre chose quand elle avance que les entreprises les mieux notées en matière d’ESG ont mieux résisté que la moyenne du marché entre février et mars. Mieux, les sociétés les moins bien notées, elles, ont fait bien pire que la moyenne sur la même période. Le géant américain de la gestion d’actifs note par exemple qu’entre le 19 février et le 26 mars, les groupes les mieux notés sur son échelle de mesure de performance ESG (allant de A, meilleure note, à E, note faible), ont surperformé le S&P 500 de 3,8 % alors que ceux notés E le sous-performaient de 7,4 % en moyenne. Voilà de quoi renforcer l’argument des défenseurs de l’ISR qui ont toujours mis en avant la résilience de ces produits. À cet égard, la crise sanitaire a constitué le premier crash-test de son histoire, relevé avec succès par l’investissement responsable.

Les initiatives se multiplient

Confortés dans leurs convictions, les poids lourds de l’industrie de l’asset management n’ont pas traîné pour passer la vitesse supérieure et renforcer encore leurs offres ESG. La multitude d’initiatives prises en ce sens en témoigne. C’est le cas par exemple chez Neuflize OBC qui, déjà très engagé sur ces thématiques, a constaté une croissance de plus de 30 % du montant de ses encours en gestion sous mandat ISR en 2019. "La Covid-19 a constitué un accélérateur important. Dans les discussions avec nos clients sur leur patrimoine, la part de l’investissement responsable est déterminante et prioritaire pour eux", note Valérie Spies, directrice de la clientèle. Dont acte. Désormais, Neuflize OBC proposera en priorité la gestion ISR à l’ensemble de ses clients. Les family offices, conseils de choix des grandes familles sur leurs stratégies de gestion patrimoniale, ont majoritairement adopté la même posture en plébiscitant les investissements durables pendant la crise. C’est ce qui ressort de la dernière étude de BlackRock publiée le 14 janvier 2020. "Les family offices ne perçoivent plus l’investissement durable comme un sacrifice du rendement", confirme Sheryl Needham, managing director chez BlackRock. Autre indicateur révélateur de l’appropriation du sujet par les professionnels, l’évolution du nombre de fonds ayant obtenu le label ISR. Avec plus de 650 fonds labellisés représentant plus de 230 milliards d’euros d’encours selon le dernier décompte officiel, le label a fini par se faire un nom. Trois ans après son lancement, il serait même devenu "une référence" et aurait contribué à faire de "Paris un centre pionnier de l’ISR en Europe", selon les mots de Bruno Le Maire.

Le label ISR : work in progress

Si la prise de conscience chez les professionnels de la nécessité de verdir leurs offres ne fait plus de doute, encore faut-il accélérer le mouvement et veiller à ce que le reste du marché se saisisse pleinement de ce sujet. Pour changer les habitudes et inciter le plus grand nombre à se tourner vers l’ISR, les pouvoirs publics ont mené plusieurs réformes. La loi Pacte impose par exemple aux assureurs de proposer à leurs clients plusieurs fonds labellisés dans leurs contrats d’assurancevie. De même, les conditions d’octroi du label ISR ont été revues pour prendre en compte les critiques visant "son manque de transparence, de lisibilité" et d’exigence, comme le relève Alexis Masse, président du Forum pour l’investissement responsable. Le nouveau référentiel du label est entré en vigueur le 23 octobre. Une évolution bienvenue mais insuffisante. La preuve ? Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance a d’ores et déjà annoncé avoir chargé l’Inspection générale des finances de "procéder à l’évaluation du label et de son organisation". Les résultats "contribueront à construire la feuille de route du label pour les prochaines années", a précisé Bruno Le Maire. Toujours dans un esprit d’ouverture et de généralisation de ce label, la nature des fonds susceptibles d’obtenir le précieux sésame a enfin été étendue aux véhicules immobiliers à l’automne.

Effet générationnel

Parallèlement à cette mobilisation publique, un mouvement de fond, entamé depuis plusieurs années déjà, pourrait apporter son concours au développement de l’ISR : l’implication des jeunes générations. En effet, de manière récurrente maintenant, les chiffres prouvent que les millennials intègrent davantage l’éthique à leurs investissements que les plus âgés. En 2015 déjà, une étude de Morgan Stanley révélait que 89 % des jeunes de 25 à 39 ans investissant sur les marchés étaient attentifs aux critères ESG. Depuis, le phénomène ne s’est pas démenti. Et les jeunes épargnants partagent désormais leurs convictions avec les professionnels de leur âge. "La prochaine génération de membres de family offices manifeste un intérêt accru pour la durabilité et exerce une pression afin de mieux refléter leurs valeurs éthiques dans leurs allocations", prévient Sheryl Needham. Gageons qu’avec la crise actuelle et les aspirations à donner plus de sens à ses placements, la nouvelle génération soit rapidement rejointe par ses aînés.

Aurélien Florin et Sybille Vié

 

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