Très discrète durant les douze premiers mois de son mandat à la tête de l’Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva s’appuie sur sa grande technicité pour trancher sans brutalité. Portrait d’une femme fortement attachée au monde de l’entreprise qu’elle sanctionnera en cas de manquement.

Jusqu’à encore très récemment, son visage était inconnu du grand public. Son nom, proposé par l’Élysée et Bercy en fin d’année dernière, résonne maintenant aux oreilles des chefs d’entreprise et des avocats spécialistes de l’antitrust comme celui de «la nouvelle Bruno Lasserre». En d’autres termes, comme celui de la femme qui peut ouvrir une enquête pour cartel, entente ou concurrence déloyale, sanctionner un géant de l’industrie et des télécoms, inciter une entreprise à se dénoncer et à coopérer, et faire trembler les départements affaires publiques et juridiques ! Sauf que l’image de simple successeur d’un homme resté douze ans à la tête du gendarme de la concurrence est sur le point de s’effacer. Après moins d’un an de mandat, Isabelle de Silva impose déjà sa propre personnalité, ses méthodes de travail et son tempérament dans le cercle très fermé des deux cents collaborateurs de l’Autorité de la concurrence. Cette femme décidée y assure le respect des règles concurrentielles en sachant y mettre les formes, son sourire la précédant, et sa bienveillance, tout autant que son haut niveau de technicité, étant désormais reconnus de tous.

Premiers faits d’armes

Arrivée à 46 ans à la tête de l’institution, Isabelle de Silva multiplie les faits d’armes. Son premier, le dossier inédit de gun jumping, soit la condamnation d’Altice à une amende de 80 millions d’euros pour avoir réalisé de manière anticipée deux opérations de concentration notifiée en 2014, a laissé des traces : il sert maintenant d’exemple pour toute opération de rachat. L’Autorité de la concurrence n’avait pas eu le temps de se prononcer sur le respect des règles concurrentielles avant que le géant des télécoms n’entame la prise de contrôle des groupes SFR et OTL (Virgin Mobile). Les choses sont maintenant claires : l’avis du régulateur ne peut être considéré comme facultatif, sous peine de sévère réprimande.

Le deuxième dossier épineux traité sous sa direction a été la mise en application de la loi Macron sur son volet relatif aux professions réglementées. Les notaires, notamment, ont fait les frais de tâtonnement quant à la précision juridique des nouveaux offices. Le dossier n’est pas clos, et la présidente promet de se replonger dans cette procédure dès la fin de sa première phase de mise en œuvre. à cela s’ajoutent l’enquête sur les audioprothèses et le dossier du rachat de Médipôle-Partenaires par Elsan, une question renvoyée à l’autorité française par la Commission européenne. Grâce au sérieux de leur traitement et la communication qui s’est ensuivie, Isabelle de Silva adresse au secteur de la santé un message limpide : celui-ci aura dorénavant toute l’attention de son équipe. «Moins ouvert à la concurrence que d’autres», il sera mieux régulé «pour le bénéfice du consommateur et la protection de la santé publique», explique la présidente.

« Très attachée  à l’entreprise »

Cependant, l’ensemble de ces dossiers sortis publiquement depuis octobre 2016 ne sont que la continuité du mandat de Bruno Lasserre, qui a mis un terme prématurément à ses fonctions. «À présent, c’est à elle que revient la charge de se saisir de tel ou de tel sujet», explique son prédécesseur. Et s’il est encore prématuré de se prononcer sur les prochaines décisions du régulateur, il est certain que celles-ci se concentreront sur l’activité des industriels pharmaceutiques et médicaux au même titre que l’extension du numérique à l’ensemble de l’économie française. Ce sera d’ailleurs l’objet d’un prochain séminaire réunissant les hautes personnalités publiques et privées des technologies avancées, comme les présidents de la Cnil, de l’Arcep ou le secrétaire d’État chargé du Numérique Mounir Mahjoubi. Un domaine qui, par sa capacité à réunir des acteurs de différents secteurs sur une problématique de grande ampleur, symbolise à lui tout seul la concentration de compétences à la fois juridiques et économiques en une seule personnalité.

Isabelle de Silva n’a en effet jamais voulu choisir entre ces deux matières. Résultat : une parfaite complémentarité pour exercer les plus hautes fonctions au sein de l’Autorité de la concurrence dont l’objectif premier est le respect d’un certain ordre économique par l’utilisation de règles juridiques. De sa formation à HEC, à laquelle elle «se réfère constamment», ressort son attrait pour l’entreprise. Celle qui a fait le choix d’une carrière dans l’administration a d’ailleurs débuté dans le privé, de L’Oréal en Amérique du Sud à Bouygues Immobilier. Son stage d’élève énarque l’emmène également aux côtés des dirigeants de CMA CGM avec lesquels elle va travailler durant six mois de nouvelles stratégies bouleversant la structure tout entière. «J’ai toujours été très attachée à l’entreprise, précise-telle, d’où mon choix d’entrer à HEC.» Elle va dès lors s’appuyer sur ce qu’elle a appris dans ces grands groupes pour forger sa carrière dans la fonction publique. Cela passe notamment par l’importance de l’impact économique dans la création de nouvelles normes juridiques. Envisage-t-elle un jour de retourner dans le privé ? «Pourquoi pas», glisse-t-elle doucement. Une question qui, de toute évidence, n’est pas à l’ordre du jour.

L’opéra et le ballet

Contrairement à sa volonté de faire le lien entre ses précédentes expériences, dans des ministères notamment et son nouveau rôle de gardienne de la concurrence. Ancienne conseillère de Catherine Trautmann, ministre de la Culture du gouvernement Jospin lors du premier mandat de Jacques Chirac, elle conserve de ces années une solide  amitié et un attrait pour l’art, qu’elle exprime par ses choix de peintures exposées dans les locaux de la rue de l’Échelle. Plus en lien avec son actuelle mission, elle garde de son expérience auprès de Jean-Louis Borloo un prisme pour la protection de l’environnement. Coauteur du Grenelle II, elle se souvient aussi de son engagement pour la qualité de l’air concrétisé par la loi de Corinne Lepage dès 1996. «La protection de la planète n’est pas seulement une contrainte, c’est un paramètre à intégrer dans la prise de toute décision pour l’assurance d’un développement durable», insiste celle qui refuse pour autant de s’engager dans une carrière politique.

«Elle n’a pas peur de décider. Elle n’est pas impressionnable, estime Bruno Lasserre. Très sereine, on sent que le stress ne l’atteint pas, ni la complexité ou la lourdeur de la tâche.»

Cela n’aurait pas de sens pour Isabelle de Silva qui a déjà du mal à consacrer suffisamment de temps à sa vie de famille et à sa passion pour la musique lyrique et la danse. Car si cette mère de quatre enfants reste très discrète sur son cercle proche, allant jusqu’à taire le nom de son conjoint, elle esquisse un début de confidence sur son amour pour l’opéra et le ballet. Plongée toute petite dans l’art musical aux côtés de son grand-père, le compositeur péruvien Alfonso de Silva, et de sa grand-mère chanteuse, elle aime la compagnie des musiciens et chefs d’orchestre français et étrangers – élevée outre-Atlantique elle est polyglotte – qu’elle rencontre en qualité de membre de l’association Talents lyriques. Le célèbre chef d’orchestre Christophe Rousset en parle comme d’une «amatrice éclairée, toujours en retrait quant au choix de la programmation mais souvent impliquée dans la bonne marche de l’activité des musiciens». Si Isabelle de Silva joue elle-même du piano et chante depuis son enfance, elle laisse aux professionnels la tâche de l’enchanter. «Particulièrement sensible aux voix de femmes et au bel canto, où la vocalité est à son comble», précise son ami, cette férue des programmations du Covent Garden (le Royal Opera House de Londres) et de l’opéra de Vienne tait en revanche ce qu’elle apprécie moins. Une touche de discrétion que nul ne lui reproche.

« Elle tranche avec beaucoup d’humanité »

Car dans son cercle d’amitiés issues de son exercice professionnel, sa retenue est également appréciée. Pourtant, Isabelle de Silva est une femme de décision. Une qualité relevée d’emblée par Bernard Stirn, le président de la section du contentieux du Conseil d’État qui a été à la fois son professeur et son collègue. «Isabelle de Silva sait trancher», explique-t-il. Sans faire preuve d’autorité ? «Jamais, affirme le magistrat. Elle statue toujours avec beaucoup d’humanité.» Une appréciation partagée par Bruno Lasserre avec lequel elle a travaillé deux ans en qualité de membre du collège avant de bénéficier de son coaching lors de ses auditions devant l’Assemblée nationale et le Sénat. «Elle n’a pas peur de décider. Elle n’est pas impressionnable, estime-t-il. Très sereine, on sent que le stress ne l’atteint pas, ni la complexité ou la lourdeur de la tâche.» Sans divulguer le nom ni le nombre de ses concurrents dans la course à la présidence, «par discrétion et par coutume», le nouveau membre du Conseil d’État reste proche de celle qui occupe à présent son ancien bureau. Cette dernière ne se fait pas encore entendre autant que lui dans les médias et auprès des chefs d’entreprise. Bruno Lasserre était très visible, Isabelle de Silva reste discrète… pour le moment.

Pascale D'Amore

 

Les principales sanctions prononcées sous la présidence d’Isabelle de Silva

• En novembre 2016, Isabelle de Silva fait une arrivée remarquée en sanctionnant solidairement Altice et SFR Group à payer une amende de 80 millions d’euros pour « gun jumping ». Il leur est reproché d’avoir réalisé, avant autorisation, deux opérations de concentration dans le secteur des communications électroniques.

• En mars 2017, l’opérateur de télécoms SFR écope à nouveau d’une amende de 40 millions pour ne pas avoir respecté les engagements pris lors de son rachat par Numéricable. L’amende de 100 millions d’euros prononcée contre Engie fait aussi grand bruit : le régulateur sanctionne l’abus de position dominante du groupe pour avoir utilisé à des fins commerciales, des fichiers clients hérités de GDF Suez.

• En juin 2017, Isabelle de Silva s’empare aussi du dossier Canal +. Cinq ans auparavant, l’Autorité de la concurrence avait imposé à l’égard du groupe audiovisuel une série de contraintes pour limiter sa liberté commerciale, à la suite du rachat de TPS. Après un réexamen des interdictions, le régulateur décide de les alléger.

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