C’est la nouvelle "hype" énergétique du moment : l’hydrogène vert fait tourner les têtes des gouvernements et industriels qui y voient le complément idéal aux renouvelables, la possibilité de décarboner des secteurs d’activité tout entiers. Partout dans le monde, à grands renforts de milliards, des plans sont lancés, des start-up rivalisent d’innovation et les investisseurs dépensent sans compter. Un tel enthousiasme est-il justifié ?

Nombreux sont ceux qui pensent aujourd’hui, à l’image de Jeremy Rifkin, que nous sommes à l’aube d’une "économie hydrogène", voyant dans ce passage de L’Île mystérieuse de Jules Verne, une nouvelle prémonition de l’écrivain : "Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour utilisée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène qui la constituent fourniront une source de lumière et de chaleur inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir." Cette résurgence d’une croyance mystique dans une énergie miracle interroge. Qu’en est-il vraiment ?

Le vert est dans le gris

Force est de constater que la quasi-totalité de l’hydrogène produit est noir au gris, c’est-à-dire fabriqué à base d’énergies fossiles. Ce qui en fait une énergie à la fois carbonée et non compétitive. "Aujourd'hui, 95 % de l'hydrogène est produit à partir d’hydrocarbures (pétrole, gaz naturel et charbon), solution la moins coûteuse. Cependant, ce processus est, hormis pour la pyrolyse, émetteur de CO2", fait remarquer Guy Maisonnier, ingénieur économiste à l’IFP Energies nouvelles. "Pour produire de l’hydrogène faiblement carboné, trois options s’offrent donc aux industriels : capter le CO2 émis lors de la production par transformation des énergies fossiles, puis le transporter pour le stocker géologiquement, pyrolyser du méthane et séparer le carbone sous forme solide, enfin, le produire via l’électrolyse de l’eau, l’électrolyse étant opérée à partir d’une électricité peu carbonée fournie par de l’énergie nucléaire, éolienne ou solaire." Selon l'ingénieur, l'enjeu reste toutefois le prix : actuellement, le coût de l’hydrogène vert par électrolyse demeure prohibitif, aux alentours de 5 euros le kilo contre 1,50 pour le gaz.

Motifs d’espérance

Pourtant, avec un mix énergétique mondial où la part de l’électricité est appelée à quasiment tripler pour atteindre 50 % ou 60 % dans la perspective d’une économie neutre en carbone en 2050, l’hydrogène vert pourrait avoir une carte à jouer. Ses capacités de stockage ainsi que sa complémentarité avec les renouvelables, peuvent en effet en faire une énergie intéressante qui pourrait répondre aux besoins de marchés spécifiques, difficilement électrifiables, comme l’industrie lourde ou les transports de masse. Dans les scénarios ébauchés, l’hydrogène pourrait atteindre jusqu’à 13% de la consommation mondiale d’énergie d’ici 2050. À condition d’un saut technologique majeur pour faire baisser les coûts de production.

Une ambition française

Dans cette course à l’innovation, forte d’un mix électrique déjà largement décarboné grâce au nucléaire, la France compte bien tirer son épingle du jeu. La stratégie nationale, dotée de 7 milliards d’euros, vise ainsi à déployer 6,5 GW d’électrolyse d'ici la fin de la décennie, permettant d’éviter l’émission de 6 millions de tonnes de CO2 chaque année. Un objectif réaffirmé avec ferveur par Emmanuel Macron dans son plan France 2030 et que France Hydrogène, qui fédère les acteurs de la filière, juge parfaitement réalisable. Dans une étude, elle envisage même un scénario qui excéderait ces attentes de plus de 60%. La production se concentrerait dans six bassins d’activité regroupant 85 % de la demande totale, dessinant ainsi une nouvelle carte énergétique nationale : "Des hubs territoriaux d’envergure se mettent en place sur le territoire national permettant d’assurer à terme un maillage complet", se réjouit déjà Philippe Boucly, président de France Hydrogène.

Prémisses

De fait, l’écosystème, dopé par les annonces présidentielles, est en pleine ébullition. Deux gigafactories d’électrolyseurs sont en projet à Belfort et à Béziers ; Lhyfe, une start-up française qui plugge sa solution d’électrolyse aux énergies renouvelables, ouvre sa première unité de production en Vendée et initie une soixantaine de projets en Europe ; Auxerre vient d’inaugurer la plus grande station de production et de distribution d’hydrogène pour alimenter son réseau de bus… Tout semble indiquer que "l’économie hydrogène" est sur les bons rails.

La tentation du buzz

Certains mettent cependant en garde contre l’euphorie ambiante. À l’image de Jean-Marc Jancovici, fondateur de Carbone 4, qui rappelait déjà il y a quelque temps dans une chronique : "Pour remplacer tous nos carburants par de l’hydrogène obtenu par électrolyse à partir d’électricité éolienne, il faudrait multiplier par quinze la puissance installée dans l’Hexagone et doubler la production électrique totale." Et de commenter, sarcastique, sur l’expérience auxerroise dans un post LinkedIn : "Il est probable que si Auxerre investissait la même somme dans des bus électriques, cela éviterait plus de CO2 pour le même prix. Mais ça ne ferait pas autant le buzz !"

L’œuf ou la poule

Ainsi, même en comptant sur des sauts technologiques importants et en misant sur un prix tiré à la baisse par l’innovation, l’hydrogène vert ne serait véritablement approprié que pour quelques applications précises. Sans doute utile, mais loin d’être la panacée que certains voudraient nous présenter. Rappelons enfin que le caractère vert de l’hydrogène dépend directement de l’énergie à partir de laquelle il a été fabriqué, en faisant davantage un sous-produit de la décarbonation du mix énergétique qu'un acteur premier de son avènement. 

Antoine Morlighem

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