Avec son statut d’ancienne colonie britannique, son goût pour la démocratie et sa proximité avec l’Occident, Hongkong représente un double défi pour Pékin qui, d’un côté, souhaite faire rentrer la ville dans le rang et, de l’autre, travaille son image de régime fréquentable sur le plan international. Un exercice de haute voltige politico-diplomatique dans lequel l'exécutif chinois s’est d’ores et déjà pris les pieds.

Carrie Lam. Qui connaissait le nom de la chef de l’exécutif de Hongkong il y a encore quelques mois ? Hormis quelques initiés et experts en géopolitique, pas grand monde. Depuis le 9 juin dernier, il est pourtant dans tous les médias internationaux ainsi que bien lisible, assorti du mot « démission », sur les pancartes brandies par les centaines de milliers de manifestants qui, mi-juin, investissaient la rue hongkongaise dans le cadre d’une mobilisation à l’ampleur historique. Celle-ci aurait rassemblé deux millions de personnes sur les sept millions que compte la ville. Du jamais vu. À l’origine de cet événement inédit : ce qui a été perçu comme « le texte de trop ». Un projet de loi visant à autoriser l’extradition des suspects de crimes vers la Chine qui, annoncé en février dernier et déjà parvenu au stade de la deuxième lecture début juin, mettait il y a quelques semaines le feu aux poudres.

Mobilisation record

Motif : pour les Hongkongais, ce texte en devenir n’est autre qu’une nouvelle tentative de la part de Pékin de restreindre les libertés publiques sur un territoire qui, depuis sa rétrocession à la Chine il y a exactement 22 ans, embarrasse le pouvoir avec son statut d’exception et sa dimension d’enclave occidentale en terres chinoises (lire interview). En 2014 déjà, Alice Ekman, chercheuse à l’Ifri évoquait l’inquiétude de Hongkongais face à ce qu’ils percevaient comme une « érosion progressive des libertés publiques ». Au vu de l’ampleur des manifestations, Carrie Lam a bien tenté un rétropédalage en règle, avec « sincères excuses » adressées aux citoyens hongkongais et suspension annoncée du texte, mais cela n’a pas suffi à calmer la colère des manifestants qui, dès le lendemain, étaient de retour dans la rue pour exiger le retrait définitif de ce texte jugé liberticide. Une fois adopté, il devait mettre « à la merci des tribunaux de la Chine communiste » non seulement les habitants de la ville mais aussi tout étranger y étant domicilié ou même de passage, les exposant ainsi à ce que les manifestants ont dénoncé comme étant des simulacres de justice. « Nous ne faisons pas confiance au système judiciaire chinois », déclarait un manifestant, convaincu que « là-bas », il n’y a pas de « procès équitable ». Ce qui, de fait, porterait un coup fatal à l’État de droit hérité de l’époque britannique et considéré aujourd’hui comme un facteur d’attractivité majeur – d’où le fait que même le milieu des affaires, d’ordinaire peu porté sur la contestation politique, ait dénoncé ce projet de loi et réclamé, lui aussi, le départ de Carrie Lam.

Lâchage politique

« La volonté de Pékin de nous soustraire nos libertés est tellement évidente que nous devons résister jusqu’à ce qu’elle parte », déclarait il y a peu dans les colonnes du Figaro Jimmy Lai, fondateur du quotidien l’Apple Daily. Côté international, nombreux sont les organes d’État à s’être, à leur tour, alarmés de la situation et du risque d’atteinte aux libertés fondamentales qu’elle présentait. Et voilà comment Pékin, déjà sous pression internationale en raison de ses démêlés avec les États-Unis, s’est retrouvé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire dans une position extrêmement inconfortable. D’où son empressement à se désolidariser du texte de Carrie Lam et à le présenter comme une initiative individuelle, poussant le souci du détail jusqu’à exprimer sa satisfaction de le voir suspendu. « Nous soutenons, respectons et comprenons cette décision », déclarait-il dans un communiqué où il se disait « très attentif » aux oppositions suscitées par cette loi…  

Pour celle qui escomptait de toute évidence répondre aux ambitions de Pékin en marquant une étape supplémentaire dans le processus d’alignement de Hongkong, l’opération se solde donc par un échec. Et celui-ci est cuisant.

Violences policières

Prise pour cible par les manifestants, soutenue du bout des lèvres par Pékin et ouvertement lâchée par des membres de son entourage politique, contrainte d’ajourner l’adoption de son projet de loi sans pour autant parvenir à calmer les manifestants… la dame de fer de Hongkong se trouve plus isolée que jamais. Responsable non seulement d’avoir affaibli son parti – lequel pourrait ne pas survivre électoralement à cet épisode mais aussi d’embarrasser Pékin sur la scène internationale. L’idée qui devait servir les intérêts de Pékin et contribuer à faire rentrer Hongkong dans le rang ayant aujourd’hui pour effet de fragiliser Xi Jinping à l’heure où, placé sous le feu des projecteurs internationaux par son bras de fer avec Donald Trump, celui-ci est plus désireux que jamais de donner l’image d’un régime respectueux des libertés et en tout point fréquentable. Aux antipodes, donc, des scènes de violences policières qui, le 9 juin, éclataient en marge du premier grand rassemblement, entraînant l’usage massif de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, et faisant près de 80 blessés dans les rangs des manifestants. 

Caroline Castets

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