Convaincu que les périodes de crise sont propices aux changements, le DRH du Groupe ADP (Aéroports de Paris) s’attelle dès à présent aux nouveaux modes d'organisation du travail de demain.

Décideurs. Comment vit-on en tant que DRH la cessation d’une partie des activités de son entreprise ? 

Hervé Wattecamps. En réactivité immédiate… Il faut bien avoir conscience que le secteur du transport aérien a été sinistré de manière brutale et fulgurante, ne laissant que très peu de place à l’anticipation. Le trafic aérien a massivement chuté en l'espace de deux semaines au mois de mars et, avec lui, le nombre de passagers, la fréquentation dans nos terminaux, dans les commerces en aérogares, dans les parkings ou encore dans les hôtels à proximité des aéroports. Il s'agit là de la plus grave crise que notre secteur ait connue jusqu'ici. En tant que DRH vous n’avez d’autre choix que de réagir vite et aussi bien que possible. Une tâche d’autant plus complexe, qu’avant la fermeture temporaire le 31 mars de l'aéroport Paris-Orly aux vols commerciaux, nous avions dû procéder en deux temps. À peine la généralisation du télétravail décidée le 16 mars pour la plupart des collaborateurs, il nous a fallu placer dès le 23 un grand nombre de salariés en activité partielle. Les dispositifs de communication ont alors constitué des alliés précieux pour la fonction RH qui a pu s’appuyer sur des Q&A, un portail intranet et un réseau social interne, ou encore sur des réunions skype hebdomadaires du Top 100 bien élargi et animé par le Président-directeur général.

J’imagine que le fonctionnement de l’ensemble des organes de décision a dû être repensé…

Gérer une crise est une chose, le faire à distance en est une autre… Heureusement, grâce à nos moyens informatiques, nous avons pu réunir le Comité exécutif tous les jours par visioconférence. Il en a été de même pour mon comité de direction RH. Et cela continue actuellement, même s'ils n'ont lieu plus que trois fois par semaine. Concernant le CSE, nous l’avions installé au mois de janvier, juste le temps de le rôder avant que la crise ne survienne. Nous avons cependant mis en place des séances extraordinaires qui se tiennent à un rythme hebdomadaire, avec nos partenaires sociaux. Avec le temps, j’observe dans chacun de ces comités une évolution, une disciplinarisation des prises de parole, ce qui nous permet d’échanger et de nous écouter les uns les autres pour avancer sur tous les sujets sociaux importants.

"La DRH a vu sa dimension stratégique renforcée"

La fonction RH a-t-elle, dans ce contexte, endossé le rôle d’interlocuteur privilégié ?

Les crises révèlent les fonctions régaliennes des entreprises et celle-ci n’a pas échappé à la règle. Les fonctions Finance et RH ont occupé les avant-postes. La DRH a même vu sa dimension stratégique renforcée dans la mesure où elle a été associée, en amont et en aval, aux décisions du Comité exécutif. Sans ce rôle central, notre mission d’accompagnement, d’écoute et de maintien de la cohésion risquait d’échouer. En revanche, cette crise a ceci de particulier qu’elle a rapproché la fonction RH des entités en charge de la sécurité sanitaire de nos collaborateurs. Des liens se sont tissés de manière tout à fait inédite et bien au-delà des relations préexistantes avec des équipes pluridisciplinaires.

Quel élément souhaiteriez-vous retenir de cette expérience ?

Le plus marquant reste incontestablement l’agilité des salariés à s’approprier le télétravail. Avant le confinement, seul un sixième de nos effectifs pratiquait le travail à distance et celui-ci ne dépassait pas les trois jours mensuels. Novice en la matière, j’ai moi-même dû apprendre à ne me rendre au bureau que ponctuellement, à organiser autrement mes journées, à dissocier le temps travaillé du temps privé. Le télétravail relevait à bien des égards du choc culturel. Honnêtement, je ne pensais pas que cela fonctionnerait aussi bien. 

Cela va-t-il vous conduire à modifier le cadre d’exercice du télétravail ?

Après un tel épisode, les salariés ne voudront sans doute plus travailler tout à fait comme avant. Il faudra nécessairement en tenir compte, saisir l'opportunité d'adapter l’organisation du travail, gagner encore en flexibilité... Toutefois, ce serait une erreur de pérenniser le distanciel à plein temps. Le contact reste essentiel au sein des équipes. D'autre part, la crise a montré que nous n’étions pas tous égaux face au télétravail. Ce dernier doit donc être aménagé. Ne serait-ce que pour répondre à la problématique de ceux qui ne bénéficient pas des meilleures conditions matérielles en prévoyant, comme nous l’avons fait, des lieux de coworking distincts des bureaux en tant que tels. Enfin, n'oublions pas que le télétravail ne s'applique pas à certains métiers comme par exemple les agents d'accueil ou de maintenance qui évoluent dans nos aéroports.

"Ce serait une erreur de pérenniser le distanciel à plein temps"

Ces nouveaux espaces de travail augurent-ils la disparition prochaine des bureaux ?

Le lieu est un vecteur d’échanges, de liens et de cohésion. Son importance se renforcera donc à mesure que le télétravail va se généraliser pour les métiers qui le peuvent. Nous aurons besoin autant d’espaces partagés pour nous retrouver que de lieux plus confidentiels, pour la fonction RH par exemple. Je pense par ailleurs que le bureau sédentaire et individuel va se faire plus rare. De la même manière, la notion d’open space va se refermer sur elle-même pour accueillir, le temps de trouver un vaccin, des cloisons et des alcôves protégeant les salariés. En somme, si l’architecture, l’ergonomie, la géographie sont appelées à évoluer, le génie des lieux, lui, conservera tout son attrait.

Est-ce alors dans le domaine RH qu’il faut procéder à une véritable révolution ?

J’espère pouvoir capitaliser sur le rôle très opérationnel que nous avons pu remplir, ces dernières semaines, auprès de la direction générale, des salariés, des partenaires sociaux et de l'ensemble des managers. Cette crise inédite va également nous inciter à accélérer encore plus notre transformation digitale et à adapter nos modes de travail. Même si nous mettons peut-être deux ou trois ans pour retrouver un volume de trafic identique à celui de 2019, le transport aérien va redécoller car il répond à un besoin profond de voyager et d'échanges entre les hommes et les pays. En attendant, une période de transition va s’ouvrir pendant laquelle il nous faudra préparer l'avenir tout en conservant nos fondamentaux RH. Ce n’est qu’après que nous pourrons réfléchir à l’opportunité de les repenser, dans le respect de notre raison d’être.

Propos recueillis par Marianne Fougère

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