Rémunération, féminisation ou gestion de crise, tour d'horizon de l'entreprise du CAC 40 sous l'oeil avisé du conseil Henri Brandford Griffith.

Décideurs. Quelle analyse faites-vous, dans son ensemble, de la gouvernance des entreprises du CAC 40 ? Sont-elles bien gouvernées ?

Henri Brandford Griffith. À force de mettre les dirigeants d’entreprise en permanence sous les projecteurs, voire de les pointer du doigt – sur les aspects de rémunération notamment –, l’exercice de la gouvernance est devenu très compliqué et la direction générale se trouve constamment sous surveillance. Comme d'autres acteurs, l’Agence des participations de l’État et la BPI ont édicté comme règle de dissocier la direction générale de la présidence du conseil d’administration ou du conseil de surveillance. Cette situation, valable pour la plupart des patrons qui ne sont pas propriétaires de leur entreprise, a le mérite de permettre une implication des organes de contrôle mais rend la prise de décision plus délicate voire complexe. La presse se fait l’écho de toutes les problématiques variées qu’une entreprise peut connaître : par exemple, celle entre l’État, Renault et son dirigeant Carlos Ghosn, ou encore la recapitalisation de Vallourec et le maintien de son directeur général. Tout cela crée un climat qui, au nom de la transparence, est une bonne chose en soi, peut s’accompagner d’une personnalisation excessive des situations. Cela pèse sur la direction générale qui opère déjà dans une période économique très délicate. Celle-ci risque donc de se consacrer davantage au perfectionnement du quotidien qu'à la vision de long terme.

 

Décideurs. Au point que des situations de crise éclatent régulièrement dans les entreprises…

H. B.-G. La presse relate chaque année des crises de gouvernance. Mon expérience m’a permis de constater que le dirigeant se met souvent à dos les membres de son conseil lorsqu’il tente de restreindre les débats. Dans ce contexte, la crise éclate souvent lorsque le dirigeant veut conforter sa rémunération. Et là, il existe un point de cristallisation : la manière dont le dirigeant est rémunéré en France est inutilement complexe. Elle engendre chez lui un sentiment de frustration. Malgré son travail, il se trouve bridé au nom de l’égalitarisme. Cela crée de vrais problèmes, soit à l’occasion d’un recrutement, soit lors d’un départ en retraite. Il faut donc trouver un système de rémunération du dirigeant plus adapté à ses responsabilités. On ne peut pas lui demander d’endosser des responsabilités colossales, y compris pénales, en bridant ses conditions de rémunération. Par ailleurs, contrairement aux pays anglo-saxons, dans le passé, il s’est avéré plus difficile en France d’éduquer les dirigeants à dialoguer avec leur conseil. Je pense néanmoins que ce problème est résolu au sein des principaux groupes français. Je tiens d’ailleurs à saluer le conseil de surveillance de Peugeot qui a récemment tenu un rôle déterminant lors de la récente recomposition du capital, tout comme le conseil d’administration de Renault lors des discussions avec Nissan.

 

« La féminisation des conseils joue un rôle important »

 

Décideurs. Quelle place pour les administrateurs aujourd’hui dans la gouvernance des entreprises ?

H. B.-G. Je les trouve de plus en plus conscients de leur indépendance et positionnés très en support des directions générales. Je vois cela par le biais d’un aspect pratique : les administrateurs sont de plus en plus responsabilisés. Par ailleurs, la féminisation des conseils joue un rôle important. Les qualités féminines intrinsèques telles que l'implication et la rigueur, le côté méticuleux, la grande précision et le courage apportent beaucoup. Enfin, certains affirment régulièrement qu’il existe une consanguinité dans les relations conseils-DG. Je trouve qu’elle s’y avère bien moins forte qu’elle ne peut l’être dans d'autres secteurs de la société française. Il n’y a pas de difficultés à débattre quand c’est nécessaire au sein des organes sociaux de grandes entreprises françaises.

 

Décideurs. Les moyens des administrateurs sont-ils suffisants ?

H. B.-G. C’est une question qui revêt deux réalités. L’administrateur dispose-t-il d’un temps suffisant pour analyser les dossiers et ces derniers sont-ils assez complets ? Sur l’exhaustivité tout d’abord, certains directeurs généraux, du fait de la présence d’administrateurs salariés, craignent des fuites d’information. C’est souvent sans fondement : j’ai rencontré de nombreux administrateurs salariés jouant le jeu de la confidentialité. Puis, beaucoup de groupes du CAC 40 ont des secrétaires du conseil qui ne sont pas toujours le directeur juridique et qui se consacrent à la relation avec les administrateurs, si bien que l'information est largement diffusée. Sur la question du temps, on trouve des sociétés où le conseil d’administration s’engage dans des délais rapides exigés par l'urgence des situations. En réalité, contrairement à ce que l’on peut entendre, les administrateurs prennent le temps nécessaire pour mener à bien leurs tâches. Au point même que certains ont un vrai débat avec la direction générale sur des questions de stratégie.

 

« L’avocat doit savoir à quel moment les entreprises doivent lancer les hostilités judiciaires »

 

Décideurs. Jusqu'à quel point le conseil d’administration doit-il s'impliquer et contribuer au développement de la stratégie d’entreprise ?

H. B.-G. Il faut tout d’abord rappeler le cadre juridique français : les administrateurs ne peuvent pas s’immiscer dans la gestion. Ils sont là pour contrôler, surveiller, certainement pas pour diriger. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas jouer un rôle fondamental, bien au contraire. On a pu le voir chez Total lorsque Thierry Desmarest a pris les rênes, immédiatement après le tragique accident de Christophe de Margerie. Les administrateurs peuvent également se voir confier des missions spéciales, comme on le constate dans certaines opérations. Le développement des comités spécialisés participe de cette évolution et implique un travail important des participants. Le comité d’audit en est un parfait exemple.

 

Décideurs. Quid du développement des pratiques participatives ? Aujourd’hui, on trouve seulement 0,4 % d’administrateurs salariés au sein des CA, là où en Allemagne, ce chiffre s’élève à 7,1 %.

H. B.-G. L’état d’esprit en France est particulier. L’Allemagne, elle, a connu dans l'histoire contemporaine beaucoup d’agitations politiques et sociales. Elle a finalement, après-guerre, imposé un système qui, de leur point de vue, est positif : la cogestion. Depuis 1945, les entreprises allemandes intègrent des administrateurs salariés qui ont pour certains quitté leur fonction syndicale pour être de vrais administrateurs. Ils font partie des meilleurs, et sont de vrais défenseurs de l’intérêt social. En France, notre système est fondé sur un compromis : la représentation salariée existe, mais elle conserve souvent encore une approche syndicale. On se rapproche du système allemand dans les mentalités, mais on n’y est pas encore. Le problème est avant tout culturel et non pas juridique.

 

Décideurs. Comment le cabinet accompagne-t-il ses clients sur tous ces sujets ?

H. B.-G. Le cabinet occupe un positionnement reconnu au sein des grands groupes. Nous conseillons les entreprises ou leur direction générale. Nous sensibilisons, nous préparons, nous aidons au dialogue. De même, le cabinet est présent dans la défense des intérêts des conseils d'administration ou conseils de surveillance notamment dans toutes les opérations structurantes de type fusions, offres publiques amicales ou non sollicitées. Il nous arrive aussi très souvent d’intervenir dans des cas de contentieux. Nous accompagnons les chefs d’entreprise ou les conseils d’administration ou de surveillance, sur des dossiers lourds qui induisent des conséquences financières fortes. Ce positionnement suppose plusieurs prérequis. Premièrement, de la maturité. Les clients en ont besoin. Pour ma part, j'ai connu beaucoup de ces situations depuis 1988. Dans l’affaire Peugeot en 2014, le cabinet a joué un rôle important pour rapprocher les points de vue. Tout en défendant au mieux notre client, nous avons su trouver une solution positive pour le futur de l’entreprise. Deuxièmement, il faut être familier avec les contentieux de haut niveau. L’avocat doit savoir à quel moment les entreprises doivent lancer les hostilités judiciaires. Notre réputation s’est forgée au cours des années, tout en maintenant notre indépendance et nos convictions.

 

Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz

 

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