Comme tant d’autres, le secteur des études voit le digital bouleverser pratiques, métiers et perspectives. Fort de son savoir-faire historique, Ipsos renforce son activité dans les disciplines scientifiques. Helen Zeitoun, récemment nommée directrice générale d’Ipsos France et d’Ipsos Sciences Team, nous décrit les ressources déployées et nous livre sa vision de la profession et de son avenir.

Décideurs: Ipsos Sciences Team est une structure dédiée à certaines disciplines scientifiques. Avec quels objectifs ?
Helen Zeitoun: 
Ipsos est déjà très porté sur l’innovation. Quand je suis arrivée, j’ai constaté qu’il y avait une profusion impressionnante d’innovations, de différents types de projets de R&D, d’essais scientifiques aussi bien à destination des clients qu’à des fins internes. Mais, cela ne se sait pas assez et n’est pas suffisamment structuré. Il faut développer des programmes qui impliquent non seulement les équipes internes mais également les clients et des parties prenantes externes notamment académiques. Nous avons, par exemple, un partenariat avec Yale University mais celui-ci ne bénéficie pas assez aux solutions de nos clients. L’idée est de faire le lien entre les sciences, les nouvelles technologies et les besoins de transformation de nos clients.

Quelles sont les ressources dont vous disposez ?
La volonté chez Ipsos est de capitaliser sur des forces déjà existantes. Aujourd’hui, nous nous appuyons sur 200 scientifiques purs à travers le monde. Par exemple, en France, nous avons un neuroscientist et un behavioral scientist mais cela n’est pas connu. Ce que je veux faire, à partir de ce constat, c’est de mieux structurer nos équipes, sans galvauder ces disciplines majeures et aujourd’hui fondamentales pour les besoins de transformation de nos clients. À l’heure actuelle, ils sont abreuvés de discours très différents, souvent marketing, parfois très bien faits mais qui surfent sur des phénomènes de mode ne reposant pas toujours sur des fondements scientifiques solides. Nous voulons les aider à s’y retrouver et être en mesure de leur recommander les cas d’utilisation les plus pertinents selon leurs besoins. L’idée est de rassembler le savoir scientifique en investissant encore plus avec des institutions spécialisées.

Comment faites-vous évoluer les mentalités et comment rassurez-vous vos clients face à ces bouleversements et nouvelles façons de travailler ?
Cela dépend de la transformation demandée par le top management. Il y a trois niveaux d'implication.
Au premier, il s’agit de services études qui ne reçoivent pas de signaux de leur direction générale mais qui cherchent tout de même à moderniser les méthodologies. La difficulté est que cela implique d’autres services que le service étude dans l’entreprise. Ces clients-là sont intéressées mais un peu moins prêts à se lancer.
Au deuxième niveau, vous avez les sociétés qui ont eu un go de leur direction et qui ont engagé un programme de transformation. Elles pensent plus data à travers les silos existants. Pour elles, ces apports de sciences (neuroscience, biométrique…) restent épisodiques, des « cerises sur le gâteau ». Elles réalisent des coups, communiquent dessus mais ne vont pas plus loin.


"C’est le moment du changement et il est passionnant."

Et le dernier niveau ?
Ce sont les sociétés qui ont intégré l’intérêt de ces nouvelles technologies et nouvelles sciences pour un programme complet. Elles revoient leur business plan dans l’autre sens en pensant data first et people first. Elles ne se contentent pas d’un coup d’éclat avec une société de conseils ou des ingénieurs comme les précédents, mais font appel à une société d’études pour comprendre et analyser ces données et les accompagner. Elles inversent la tendance. Elles pensent les plans de développement de nouveaux produits, de campagnes de communication, de stratégies de communication en embrassant toutes les technologies existantes. Pour elles, c’est acquis et aucunement incongru.

Avez-vous constaté auprès de clients aux méthodologies standardisées des difficultés à y renoncer ?
Ils font partie de la deuxième catégorie de ma réponse précédente. Ils sont très hétérogènes. Ils ont encore besoin en effet de faire le ménage dans leurs process mais ont quand-même entamé une mue avec des compétences dans l’entreprise avec d’autres casquettes. Les équipes du digital les encourage à évoluer. C’est le moment du changement et il est passionnant.

Comment les persuader que la finesse des analyses n’y perdra en rien ?
Pour ce type de client, le travail est en cours. Quand on est dans les études de longue date, on est attaché à des notions de qualité et d'échantillonnage qui ne correspondent plus au « people first, data first ». Si on s’accroche à ces critères détachés de la réalité d’aujourd’hui tout en se prétendant innovants et avides de nouvelles technologies, on ne peut pas y arriver correctement. Il y a de la schizophrénie dans le métier et chez certains clients. De fait, ils sont agents de ce changement de paradigme. Il ne s’agit pas d’ajouter des disciplines scientifiques pour les ajouter mais de travailler différemment. C’est une notion de qualité, différente, mais pas moindre.

"On ne peut pas se contenter d’être data first sans être human first en même temps. Seules, les sociétés d’études peuvent mettre en œuvre cette valorisation."

Par rapport aux nouveaux entrants 100 % digitaux, qu’est-ce qu’Ipsos met en avant comme valeur ajoutée ?
La valorisation de la compréhension de l’humain dans ses interactions sociales, politiques, culturelles, économiques, personnelles est hyper valorisée par nos clients. C’est ce qui anime la data.  On ne peut pas se contenter d’être data first sans être human first en même temps. Seules, les sociétés d’études peuvent mettre en œuvre cette valorisation. C’est le pari du métier.

Dans ce contexte, quels nouveaux types de collaborateurs recherchez-vous ?
Tout d’abord, il ne s’agit pas que de nouveaux types de collaborateurs car le futur se construit aussi avec nos ressources actuelles. Une foule gigantesque d’énergies dans le métier et chez Ipsos en particulier est impliquée. Il suffit de se donner les moyens et de provoquer un nouvel enthousiasme chez nos collaborateurs, en les coachant et en se donnant les moyens concrets d’aller avec eux dans le sens de l’innovation. C’est la base.
Ensuite, en effet, une diversité de profils est à imaginer :  les neuroscientists, les datascientists, les mathématiciens, les behavioral scientists, les créatifs, les artistes au sens anglais du terme.
 
Qu’est ce qui pourrait les attirer dans l’univers des études ?  

Les paris de transformation, les projets. Quand on voit la réalité opérationnelle des études, cela donne envie. Depuis trois ans, le big data seul a vu ses limites. Les clients en reviennent. Il leur manque la compréhension de ce que cela signifie, l’interprétation. Cela suppose de faire des choix par rapport aux connaissances métier. En tant que sociétés d’études, nous connaissons les consommateurs, les individus, leur sensibilité, leur psychologie et leur sociologie. Je pense donc que nous avons une carte à jouer. À partir du moment où nous offrons de vrais projets dans leur globalité, nous ne pouvons qu’attirer les candidats.  

Propos recueillis par Philippe Labrunie

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