Professeur d’urologie, pionnier de la chirurgie robotique de la prostate et fondateur de l’École européenne de la chirurgie, Guy Vallancien est un technophile convaincu. Dans son tout dernier ouvrage*, il met cependant en garde contre les dérives qui peuvent découler de l’intelligence artificielle et de la robotique. Rencontre.

Décideurs. Le développement des technologies et des robots n'entraîne-t-il pas inévitablement une déshumanisation de la médecine ?

Guy Vallancien. Si le présentiel a un rôle important en médecine, échanger avec une machine est parfois mieux que rien pour les personnes malades. Paro, un robot thérapeutique sous forme de phoque tout droit venu du Japon et mis au service des personnes atteintes d’Alzheimer en est le parfait exemple. Ces systèmes participent à l’empathie qui nous caractérise, comme le doudou des enfants. De plus, apprendre à travailler avec les machines débarassera les soignants des tâches ingrates et fatiguantes du quotidien. Une nouvelle répartition des rôles au profit de l’humain émergera : d’un côté des personnes très qualifiées dédiées aux nouvelles technologies, de l’autre, des personnes moins formées mais très tournées vers le relationnel. Les robots deviendront nos auxilliaires, libérant le temps de l’écoute humaine. 

 

Quels enjeux entourent l'apparition de l'homme augmenté ?

Réparer l’homme, oui. L’augmenter, non. Pourquoi vouloir rendre l’homme immortel ? Donnez-lui le temps de tout faire et il ne fera rien. De plus, les neurones ne peuvent être comparés à des puces de silicium et un robot n’aura jamais le degré de conscience de l’être humain. Peut-on imaginer un robot se sacrifier pour un idéal ? J’appelle à une lutte contre la foi absolue en la technologie des gourous de la Silicon Valley, fervents croyants du transhumanisme. On interdit les anabolisants hormonaux et les aides artificielles en sport, pourquoi autoriserait-on les anabolisants numériques ? La société est schizophrène. Si la science doit comprendre le monde sans avoir recours au principe de précaution, ses dérivées techniques devront être contrôlées. Je veux lancer une consultation mondiale sur l’espèce humaine où sera posée une dizaine de questions aux gens à travers les réseaux sociaux. Les sociétés doivent prendre conscience des enjeux liés aux évolutions technologiques de l’intelligence artificielle et de la robotique. Ils sont plus graves que ceux du réchauffement climatique.

 

Quel va être le rôle du médecin de demain ?

La pratique médicale est bordée par des normes venant de Bruxelles, du ministère de la Santé, des ARS, des sociétés savantes et de guides de bonnes pratiques. La responsabilité du médecin est de plus en plus limitée et peut être déléguée à des personnels de niveau de formation mastère plus que doctorat. 10 % à 15 % des malades ne rentrent pas dans ces cadres normés. Dans ces cas particuliers, le médecin a donc la responsabilité de déroger aux règles établies pour répondre aux attentes précises d’une personne donnée. Il aura un rôle de transgresseur et deviendra une denrée rare et chère. En parallèle, il faudra injecter dans le système de santé plus de personnels de niveau mastère en les payant à leur juste valeur. Rien ne sert d’augmenter le numerus clausus des médecins, bien au contraire.

 

« J’appelle à une lutte contre la foi absolue en la technologie des gourous de la Silicon Valley »

 

Des changements sont-ils à prévoir concernant les études de médecine ?

La durée des études de médecine sera raccourcie grâce aux systèmes experts numériques qui vont permettre de simuler les maladies, les diagnostics et les traitements. Les cas de maladie les plus rares et les plus compliqués pourront être répétés à l’infini. Les matières vont également évoluer. Les étudiants doivent être formés à l’écoute, à l’entretien et à l’empathie. Ils  devront être mieux formés aux questions éthiques. Le développement du numérique les obligera aussi à connaître et comprendre les machines, à savoir les programmer. Il faut aussi développer l’enseignement de l’économie, celui de l’organisation et du financement d’une maison de santé, comme de la gestion de ses personnels. C’est une vraie modification du cursus universitaire auquel j’appelle les doyens, et ce, de façon urgente.

 

Vous vous êtes exprimé contre l'assurance maladie universelle proposée par Martin Hirsch. Quelles solutions préconisez-vous pour améliorer et pérenniser le remboursement des soins ?

Je mesure le désastre des hôpitaux anglais dont un rapport vient de montrer l’insalubrité, la maltraitance et la multiplication des erreurs médicales. Un « National Health Service » à la française n’est pas la solution. Parler de gros et de petits risques est absurde, d’autant plus que les soins les plus chers ne sont pas toujours les plus lourds. D’où l’intérêt d’un système fondé sur le niveau de financement. Il faut que les assureurs, les mutuelles et les instituts de prévoyance assurent chacun, dès le premier euro, de manière universelle et sans aucune discrimination entre les Français. À partir d’un certain niveau de dépenses, la Sécurité sociale prendrait le relais. La concurrence et l’émulation entre les assureurs jouera toujours et le socle public sera maintenu. L’adhésion à une mutuelle sera donc obligatoire et son coût pourra être corrélé au niveau d’impôt des citoyens, à part dans les cas les plus extrêmes de pauvreté.

 

Si vous étiez élu demain président de la République, quelles mesures mettriez-vous en place pour améliorer le système de santé en France ?

Je passerais une ordonnance pour créer 10 000 maisons de santé en France. Elles regrouperaient tous les professionnels, avec un statut de zone franche sanitaire sans taxe. Médecins, pharmaciens, kinésistes, infirmières et d’autres professionnels de santé formeront un véritable écosystème dédié à la prévention et aux soins. Ces plates-formes sanitaires de premier recours seront soutenues par des cabinets secondaires dans les villages. Fini le temps du médecin du village disponible sept jour sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les médecins et les autres professionnels de santé se relaieront en faisant la tournée des village et des banlieues. Ils  consulteront dans des locaux mis à dispostion par la mairie locale par exemple. La télémédecine assurera également un nouveau relais vers les hôpitaux et les cliniques où se regroupent les spécialistes.  Voilà un schéma vertueux et efficace. Nous avons tous les moyens humains et toute la logistique technologique pour supprimer les déserts médicaux rapidement. Mais il faut des aides financières immédiates et pérennes. Et faire comprendre aux  médecins qu’ils doivent passer d’une médecine libérale à une médecine entrepreneuriale.

 

Propos recueillis par Marion Robert

*« Homo Artificialis : plaidoyer pour un humanisme numérique ».

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