Être né en 1857 ne signifie pas avoir le dos tourné aux opportunités offertes par le digital. Le groupe SEB en est la meilleure illustration. Sous l’impulsion de Guillaume Planet, l’enseigne spécialisée dans le petit électroménager et ses filiales font preuve d’ingéniosité au moment de séduire leurs prospects. Décryptage d’une stratégie qui tire le meilleur des outils du marché.

Décideurs. Comment le groupe SEB mise-t-il sur les nouveaux outils digitaux pour réinventer ses pratiques marketing ?

Guillaume Planet. Le digital, pour une société comme la nôtre, représente à la fois une nécessité et une opportunité. La nécessité est triple. D’abord, les parcours d’achat des consommateurs sur nos catégories de produits se sont déplacés vers la sphère numérique. Avant l’achat : les recherches d’informations se déroulent sur Google ou des sites spécialisés. Pendant l’achat : les sites des e-commerçants drainent 25 % du chiffre d’affaires de notre marché. Après l’achat : l’expérience consommateur est en lien direct avec les sites de recettes, les partages de mets succulents sur les réseaux sociaux… Deuxièmement, il est évident que nos clients distributeurs digitalisent de plus en plus leurs activités. Trois de nos cinq plus grands clients sont des pure players : Amazon, Alibaba et JD.com ; et les acteurs traditionnels ne sont pas en reste. Carrefour s’allie par exemple avec Google. Nous devons nous adapter. Enfin, l’appropriation de la sphère digitale est nécessaire car les barrières à l’entrée se réduisent et cela coûte de moins en moins cher de faire connaître un produit en ligne. Les nouveaux entrants parviennent à construire une notoriété certaine et à capter des parts de marché en seulement quelques mois.

En quoi le digital représente-t-il aussi une opportunité pour vous ?

Pour le groupe SEB, il est dorénavant possible, avec le digital, de créer une relation intime avec les consommateurs finaux de nos produits. En adressant avec précision, voire en personnalisant la publicité de nos produits en fonction des personnes ciblées, nous pouvons « pousser » des messages publicitaires. Il est aussi devenu possible de répondre aux sollicitations des consommateurs (par exemple sur Google ou sur nos sites), ce qui ne l’était pas avec la publicité traditionnelle. Les réseaux sociaux permettent aussi les interactions avec les consommateurs, et contribuent à cette plus grande intimité. Enfin, grâce à la data, nous comprenons plus précisément les attentes et les besoins de nos consommateurs. En sachant mieux ce qu’ils disent de nos produits, nous nous adaptons.

La ménagère a longtemps représenté la cible de choix de votre entreprise. Aujourd’hui, quel est votre niveau de précision au moment d’identifier vos prospects ?

Nous nous adressons à différentes cibles, segmentées sur le principe de l’entonnoir. Lorsque nous lançons un produit inédit ou une nouvelle marque, nos efforts de communication vont viser une population très large. Ensuite, quand nous cherchons à orienter vers nos marques un consommateur intéressé à l’idée de s’équiper d’un produit de notre secteur, nous nous concentrons sur les profils intentionnistes, grâce aux données à notre disposition. Ce type de communication est plus onéreux mais aussi plus efficace en matière de retour sur investissements. Enfin, la troisième cible est composée de nos clients, dont nous identifions les besoins potentiels et que nous engageons via nos outils de CRM et les réseaux sociaux.

Êtes-vous en mesure d'adapter vos messages pour chaque cible identifiée ?

La typologie de nos messages est adaptée selon les cibles auxquelles nous nous adressons mais aussi en fonction du parcours des consommateurs. Par exemple, pour notre robot cuiseur Companion, nous identifions les internautes ayant tapé des mots clés pertinents sur Google, puis nous leur montrons les points de différenciation de Companion par rapport aux autres produits. Si au bout de la publicité vidéo, l’internaute clique sur notre lien, le prospect visiblement très intéressé, change de dimension à nos yeux. On lui fait alors passer une offre promotionnelle pour l’inciter à acheter le produit. En revanche, si une autre personne ne regarde que la moitié de la vidéo et ne clique pas, elle reçoit un autre type de message.

Dans cette optique, votre stratégie data joue un rôle décisif. Comment collectez-vous ces précieuses données ?

La data est un levier stratégique pour nous permettre d’être meilleur dans trois dimensions clés. D’abord, avec un niveau de connaissance inédit des consommateurs susceptibles d’être intéressés par nos produits et nos marques. À travers nos sites, notre CRM ou les réseaux sociaux, il devient possible de collecter une riche variété de données. Les insights enregistrés sont à la fois plus justes et plus précis que les études de marché traditionnelles. Ensuite, l’activation et la communication sont optimisées grâce à la possibilité de cibler plus précisément et de mieux adapter nos messages. En fonction des clics, la scénarisation de nos produits sera par exemple différente. Enfin, la mesure de l’efficacité de nos dispositifs a atteint un niveau de justesse plus élevé. De nombreuses informations nous remontent pour mesurer l’efficacité de chacun des leviers marketing.

« Il est dorénavant possible, avec le digital, de créer une relation intime avec les consommateurs finaux de nos produits »

Comment se répartissent vos investissements en la matière ?

En 2018, 40 % de nos investissements seront digitaux et 60 % offline, dont la quasi-totalité en télévision. Les médias de masse traditionnels restent décisifs pour nous. La télévision reste efficace pour générer des ventes et construire la notoriété des marques. Notre conviction est que l’univers de la télévision est condamné à opérer sa transformation digitale pour ne pas se faire ringardiser par les offres à la demande telles que Netflix, qui rassemble déjà des audiences considérables. 

Quelles sont vos relations avec les géants du Net, par lesquels transitent bon nombre de vos clients ?

Les Gafa américains et les BATX chinois sont des partenaires très importants. Soixante-dix pour cent de nos investissements digitaux sont déjà orientés vers les Gafa, et ce chiffre pourra encore progresser à l’avenir. Ces partenariats sont stratégiques. Nos consommateurs visitent leurs plateformes qui sont autant de carrefours d’audience décisifs. Les solutions publicitaires proposées par ces acteurs sont efficaces et la data retenue est qualifiée et variée. Google nous accompagne aussi sur l’analytics et la gestion de nos campagnes s’effectue grâce aux technologies déployées par Google. Sur le cloud et d’autres solutions technologiques structurantes, Amazon et Google sont là encore des partenaires privilégiés. Enfin, les enceintes connectées qui se déploient à grande vitesse sont aussi issues de ces géants.

Quels peuvent être alors les sujets de tension avec ces mastodontes ?

Avant l’explosion des usages digitaux, notre relation avec le consommateur final était intermédiée par les médias, comme la télévision et les distributeurs. Aujourd’hui, le numérique nous permet de nouer des relations intimes avec le consommateur. Toutefois, les Gafa réintermédient la relation que nous développons avec nos clients et cibles. Nous devons trouver les moyens de travailler en direct avec eux tout en conservant une relation particulière avec les consommateurs. Cette vision souligne l’importance des données de notre CRM. En récoltant des adresses emails, nous sommes en mesure de communiquer directement avec nos consommateurs. La récolte directe d’informations nous permet d’en jouir en tant que propriétaires. Ces données délimitent notre espace de liberté vis-à-vis des Gafa. En outre, elles sont pertinentes et qualifiées puisque dédiées à nos marques et produits. Grâce à nos outils technologiques, il est possible de dresser des ponts entre la data de notre CRM et certaines datas des Gafa, stockées dans notre data lake, réceptacle unique des informations dont nous disposons.

Chiffres clés :

29 : nombre de marques du groupe SEB (Moulinex, Tefal, Rowenta, Krups, Calor…)

6,48 milliards d’euros : chiffre d’affaires du groupe SEB en 2017 à travers le monde

43 % : part de l’Europe occidentale dans les ventes du groupe (20 % pour la Chine, 10 % pour l’Amérique du Nord)

Comment calculez-vous le ROI de vos projets innovants en matière de données ?

Nous nous appuyons sur des outils de monitoring court terme et long terme. Sur le court terme, nous avons un dashboard intégrant pour chaque étape du parcours de consommation, des indicateurs stratégiques nous éclairant notre performance au quotidien. Les capacités de nos campagnes à faire considérer nos produits ou à les faire vendre sont alors analysées. Les mêmes critères sont utilisés dans le monde entier pour optimiser nos comparaisons. Concernant le monitoring long terme, une modélisation économétrique, réalisée avec notre partenaire Ekimetrics, nous permet de mesurer finement la contribution spécifique de chacun de nos leviers marketing sur ces mêmes KPIs. Ces experts analysent plusieurs années de data (volume de ventes, trafic sur le site…) et isolent des variations. Ils identifient ensuite les contributions de chacun des éléments du mix marketing aux performances.

Quel autre sujet domine vos réflexions stratégiques du moment ?

Le social est assurément une priorité. L’influence des consommateurs auprès de leurs pairs peut s’avérer décisive pour générer un acte d’achat. Le bouche à oreille, digital ou non, est un levier marketing efficace. Nous mettons l’accent sur cette dimension dans notre chantier de transformation digitale. La micro-influence peut générer de la valeur pour le groupe. Notre rôle est alors de construire l’influence la plus positive possible sur le consommateur s’intéressant à notre gamme de produits. Cela passe notamment par l’animation de communautés autour de nos produits. Sur Facebook, deux groupes de 300 000 personnes chacun ne parlent que des potentialités de notre produit Cookéo, le premier multicuiseur intelligent. Nous veillons à créer et animer ces communautés qui s’avèrent être de formidables relais de la communication publicitaire.

 

Propos recueillis par Thomas Bastin (@ThBastin)

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