Ancien sportif de haut niveau et réserviste de la Marine nationale, Gilles Bigot est l’homme à la tête du bureau parisien du cabinet américain Winston & Strawn. La réussite de ce self-made-man de 56 ans ne doit rien au hasard : fin entrepreneur dans l’âme, il a opté pour une stratégie de développement axée sur les pratiques historiques de son équipe que sont le contentieux de haut de bilan et le contentieux commercial complexe associés au transactionnel.

"Assez curieusement, 2020 est ma meilleure année", constate avec recul l’avocat spécialiste du contentieux et fin connaisseur du secteur de la santé. Cette année si spéciale pour tous a vu une augmentation de plus de 40 % du chiffre d’affaires de l’avocat qui explique cela par le travail de fond réalisé les mois précédents : "De nombreux plans à peine amorcés se sont concrétisés, ce qui nous a plongés dans un tunnel de juillet à décembre", se souvient Gilles Bigot, qui mène sa barque avec son équipe sur les flots de levées de fonds, de build-up ou encore de créations de groupes aux côtés de grands groupes, des investisseurs et des acteurs du secteur médical.

Récolter les fruits

"Il nous faut maintenant recruter, à la fois des juniors et des avocats plus expérimentés", poursuit celui qui travaille main dans la main avec l’équipe corporate/M&A et financement qu’il est parvenu à séduire fin 2019. À l’époque, en effet, ses clients de l’industrie de la santé lui avouent qu’ils aimeraient faire appel au cabinet non pas pour du contentieux et du réglementaire santé qu’il gère d’une main de maître, mais pour la réalisation de leurs opérations de croissance, de financement ou de restructuration. Le managing partner identifie puis convainc les spécialistes dont il a besoin pour ce faire et ce ne sont pas moins de quatre partners qui rejoignent alors les rangs du cabinet américain : Mounir Letayf, Nicola Di Giovanni, Jean-Patrice Labautière et Bertrand Dussert, accompagnés de l’avocate of counsel Adeline Roboam. Depuis, la greffe a pris et Winston & Strawn peut en récolter les fruits.

Gilles Bigot, qui sait provoquer le destin, est un homme dont le succès s'explique par son pragmatisme et son flair

Gilles Bigot est un fonceur qui, il y a très peu de temps encore, s’informait de tout ce qui se passait au cabinet, s’impliquant pleinement dans chaque dossier stratégique. "Pendant très longtemps, il m’a été impossible de déléguer, confie ce membre du comité exécutif de la firme. Lorsque mon maître de yoga et de méditation m’a demandé de lâcher prise, je n’ai pas compris ce que cela voulait dire, même au sens littéral. Mais j’ai changé aujourd’hui, je suis capable de me reposer en toute sérénité sur mes associés et mes partenaires, de prendre du recul et de ne pas réagir à chaud." Il faut dire que Gilles Bigot, qui sait provoquer le destin, est un homme dont le succès s'explique par son pragmatisme et son flair.

ADN d’avocat contentieux corporate

Ce fils de professeur et d’agent d’assurance né à Dieppe comprend vite que sa personnalité le détournera d’un parcours classique. Gilles Bigot, qui pratique jeune le football et le handball au niveau national, a dans la tête d’arrêter sa scolarité "faute de rentrer dans les clous". C’est finalement avec un bac philo en poche qu’il pousse les portes d’une agence de la Société générale de sa ville. Son état d’esprit singulier est remarqué. Il occupe alors par intérim des fonctions de direction durant un an, passant des examens professionnels et gérant les comptes périlleux des entreprises locales, puis il décide de devancer l’appel du service militaire. C’est la révélation. Le jeune homme n’a pas encore touché aux matières juridiques et se voit bien faire carrière dans l’armée, tant l’activité est dense, pleine d'émotions. Les challenges quotidiens de ce corps de métier l’enchantent, mais aussi les responsabilités qu’on lui confie. Avant de changer d’avis : en s’inscrivant à une préparation pour les écoles de Saint-Cyr, il prend conscience que le travail administratif à terme ne lui correspondra pas. Ce sera donc l’université de droit, d’abord de Rouen, puis de Paris-Assas, puis de Rouen à nouveau pour deux DESS la même année. Le tout en étant pion d’internat, videur d’une boîte de nuit, enseignant à la chambre de commerce… Une fois son diplôme de droit notarial en poche, il se tourne vers l’avocature en passant le CRFPA. "J’imaginais pouvoir être soit notaire, soit administrateur judiciaire, soit avocat, se souvient-il. Mais je ne connaissais personne qui exerçait ces professions. Je suis donc un peu parti à l’aveuglette." Mais il n'y voit pas plus clair car l’avocat qui l’embauche alors ne lui confie aucune tâche intéressante. Nouveau moment de doute pour celui qui observe ses amis en stage dans les plus beaux cabinets français.

Le jeune avocat montre de la persévérance et il est accueilli en stage chez Gide en 1990, où le département immobilier dirigé par Frédéric Nouel lui confie de nombreux dossiers durant la vacance de plusieurs confrères. À force d’heures supplémentaires et de longues soirées de travail pendant la canicule d’été, il ne lui faut que quelques mois pour devenir opérationnel. Au lendemain de son Capa, c’est chez Bignon Lebray qu’il choisit de signer sa première collaboration après "un vrai coup de foudre pour Jérôme Bignon et Xavier Lebray" auprès desquels il rode sa pratique du contentieux. "Je m’exerce alors sur la gestion des litiges issus de leurs transactions, ce qui forge mon ADN d’avocat contentieux corporate", analyse Gilles Bigot. Après plus de trois ans d’exercice, il rejoint François-Denis Poitrinal qui, avant de créer la société d’investissement Neopar en 2014, était avocat et avait ouvert les portes d’un des premiers cabinets à adopter un nom de fantaisie. Galexia, pour Poitrinal & Associés, profite de la bulle internet et se lance dans le capital développement et le capital-risque. Ça fonctionne tellement bien que la boutique est rachetée par Deloitte. L’occasion pour Gilles Bigot d’étoffer sa liste de clients personnels avant d’être rattrapé par la multiplication des conflits d’intérêts. "C’est alors que l’armée me repêche une nouvelle fois", plaisante-t-il, pour signifier qu’il entre en 2002 à l’IHEDN en qualité d’auditeur. Depuis, il est de nouveau officier de réserve en tant que capitaine de vaisseau, l’avocat aidant l’armée à déminer juridiquement des dossiers sensibles.

Stratégie juridique

Lorsqu’un chasseur de têtes new-yorkais lui propose en mars 2003 de prendre la direction du pôle contentieux de Winston & Strawn, l’avocat de 39 ans intègre la belle américaine, un écrin pour développer son savoir-faire auprès des acteurs de la santé. C’est le moment pour lui d’élaborer diverses stratégies juridiques nouvelles permettant à divers opérateurs de se développer dans les laboratoires de biologie médicale alors que la réglementation limite drastiquement l’entrée au capital de non-biologistes. Un défi sur lequel nombre de ses confrères s’étaient de tout temps cassé les dents. "C’est là que mon DESS de droit notarial a pris tout son sens puisque j’imagine alors un certain nombre d’opérations patrimoniales sur titres sociaux. Et ça marche !" L’avocat associé ne s’arrête pas là puisqu’on lui demande d’entamer une lutte contre certaines organisations professionnelles qui freinent des quatre fers les investissements externes parfaitement légaux dans leur profession. Cela aboutit notamment à une condamnation par la Commission européenne de ses adversaires à une amende de 5 millions d’euros pour entrave au libre jeu de la liberté d’installation et aux règles de la concurrence en 2010. Une décision de la CJUE sanctionne ensuite la réglementation française limitant à deux le nombre de laboratoires pouvant être détenus par la même entité.

Ensemble, Gilles Bigot, Anne-Carine Ropars-Furet et Mathilde Lefranc-Barthe, vont, avec leurs collaborateurs, mener la bataille pour Point Vision

Gilles Bigot n’est pas le seul à avoir du mérite dans ces réussites judiciaires puisqu’il est venu chez Winston & Strawn avec son équipe en provenance de chez Deloitte-Taj, Anne-Carine Ropars-Furet en tête, puis Mathilde Lefranc-Barthe, qui les rejoint quelque temps plus tard. Toutes les deux seront cooptées associées. Ensemble, ils vont, avec leurs collaborateurs, mener la bataille pour Point Vision. Créés en 2012 par un médecin ancien dirigeant de Pfizer, ces centres permettant la prise de rendez-vous avec un ophtalmologiste en moins de quarante-huit heures au tarif conventionné secteur 1 de la sécurité sociale ont fait l’objet d’un arrêt du Conseil d’État en janvier 2015 considérant que le schéma d’investissement prévu par l’équipe de Winston & Strawn "ne portait pas atteinte à l’indépendance professionnelle des médecins membres de la société".

"Une sorte de mission sacrée"

Dans l’intervalle, Gilles Bigot s’attelle à la structuration du bureau parisien de Winston & Strawn en approfondissant les relations avec la maison-mère américaine et en définissant de nouveaux axes stratégiques. Tout est à faire lorsque l’avocat prend les rênes du cabinet après Vincent Sol car, après une importante vague de départs, il faut s’organiser autour d’une poignée d’avocats, Jérôme Herbet et Sara Susnjar à ses côtés. La pression est importante : même soutenue par le co-chair, un francophile du nom de Michael Elkin, l’équipe doit s’élever au niveau de rentabilité d’une firme outre-Atlantique. S’étant construit à l’origine autour du contentieux haut de gamme, Winston & Strawn a étendu son savoir-faire aux opérations financières. "C’était donc le moment de miser sur le corporate, relève celui qui a déjà un pied dans le transactionnel aux côtés des acteurs de la santé. Il nous fallait être encore plus forts là où nous étions déjà visibles : la réglementation financière, le contentieux, la fiscalité, le droit social et le secteur de la santé."

L’associé dirigeant prend son bâton de pèlerin à la recherche de talents, avec comme arguments pour convaincre un projet séduisant et des moyens humains et financiers pour le mettre en musique. Et les talents affluent : Julie Vern, devenue son chef d’état-major en droit de la santé, Virgile Puyau en droit social, Annie Maudouit-Ridde en public M&A, entre autres. "Et l’ambiance, j’y tiens par-dessus tout, insiste-t-il. Il faut que chacun soit heureux de venir au bureau même si l'on travaille dur, en évitant à tout prix les postures stériles d’avocats d’affaires jouant les monarques", avant d’avouer que les idées de démission sont fréquentes tellement la pression est grande. Mais l’esprit d’équipe, l’amitié et l’entraide entre avocats parviennent toujours à contrebalancer les moments de surchauffe. "Je suis mu par une sorte de mission sacrée, la réussite n’est due qu’au ressort humain et au work in progress", estime Gilles Bigot, qui voit bien dans l’avenir une poignée d’associés agrandir le partnership parisien, pour atteindre une cinquantaine d’avocats, "mais pas plus, parce que le modèle américain n’est pas véritablement transposable en France". Cet amateur de voitures anciennes a vendu une bonne partie de sa collection, faute de temps pour les conduire. Et n’a gardé qu’une Fiat 500 de 1969 et une Porsche Carrera GTS de 2011. Peut-être de quoi le mener plus souvent vers sa Normandie natale.

Pascale D'Amore

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