En combinant positions acheteuses et positions vendeuses, les fonds long/short sont capables, en théorie, de mieux résister à une baisse des marchés financiers que les fonds actions traditionnels. Cela a-t-il été le cas au cours de ces dernières années ? Comment cette stratégie d’investissement est-elle mise en pratique par les gérants spécialisés ? Gilles Sitbon, le gérant du fonds Sycomore L/S Opportunities, nous répond.

Décideurs. Comment fonctionnent les fonds long/short actions ?

Gilles Sitbon. Je distinguerais les fonds appliquant un biais directionnel de ceux neutres au marché, aussi appelés market neutral. La génération d’Alpha se fait avec des moteurs distincts. Un fonds directionnel s’expose aux marchés avec des positions à l’achat (long) et de ventes à découvert (short). La différence entre ces positions donne une exposition nette au marché. Concernant les fonds market neutral, la création de valeur se fait via des pair trades, autrement dit des couples d’investissement sur un même secteur. Un gérant pourra par exemple prendre une position longue sur Renault et short sur Peugeot dans les mêmes quantités. Il générera alors de la performance lorsque la valeur sur laquelle il va être acheteur surperformera celle sur laquelle il est vendeur.

Quels sont les avantages d’un fonds long/short ? Quelle est la promesse faite aux investisseurs ?

Notre proposition de valeur consiste à essayer de réaliser la performance des actions sur le moyen terme, avec une volatilité réduite, en adoptant un comportement asymétrique. Le fonds long/short n’a pas vocation à capter toutes les hausses du marché, et doit se protéger d’une partie de la baisse. Son objectif est de réaliser deux tiers des hausses et de se limiter à un tiers des baisses. Nous avons tenu cette promesse sur une longue période, même si l’année 2018 fut plus compliquée.

La gestion active a déçu en 2018, et les fonds long/short n’ont pas échappé à la règle. Quelles en sont les raisons ?

Cela s’explique, entre autres, par la place de plus en plus importante accordée à la gestion passive, qui tend à favoriser un petit nombre de grandes capitalisations. Les banques centrales sont aussi devenues des institutions très politisées, Powell et Draghi étant désormais inféodés aux chefs d’État. Nous avons aussi connu un phénomène de stop and go lié à la communication de Donald Trump et aux tergiversations portant sur les rapports commerciaux entre la Chine et les États-Unis. La baisse des taux et de la volatilité a également été une forme d’euthanasie pour les fonds market neutral. Cet environnement engendre une montée de la corrélation entre les titres. Nous sommes aujourd’hui dans un marché très polarisé. Certains secteurs de la cote présentent des valorisations très généreuses, notamment les entreprises à la croissance visible. Une partie de la cote est, quant à elle, délaissée. Je pense aux secteurs « value » comme les banques ou les télécoms. Il faudra, à mon sens, être plus agile et réaliser plus de mouvements pour performer à l’avenir.

"Les banques centrales sont devenues des institutions très politisées" 

Comment identifiez-vous les valeurs qui vous paraissent les plus intéressantes à l’achat et à la vente ?

Nous mettons en rapport le gain potentiel avec la perte potentielle qu’une valeur peut générer, c’est-à-dire que nous estimons ce que valent les titres dans le cas d’un scénario dit « ciel noir » (Bear Case) où les marges chuteraient, et ce qu’ils valent dans le cas d’un scénario dit « ciel bleu » (Bull Case) où les marges de la société seraient à leur maximum, affichant le multiple le plus élevé. Faut-il ajuster les multiples historiques au contexte de taux bas ? Pour se faire une bonne idée des valorisations et des multiples applicables, nous regardons de près ceux pratiqués lors d’opérations de fusions et d’acquisitions (M&A). Nous n’avons cependant pas de réponses uniformes à apporter, cela se fait au cas par cas. Nous veillons également à garder un certain équilibre dans nos thématiques d’investissement entre la poche croissance visible, recovery/value et les entreprises en situation spéciale (M&A, changement management, retournement).

Pouvez-vous nous revenir sur l’une de vos positions longues et l’une de vos positions short ?

Parmi nos positions longues, nous avons Nomad Foods, une société qui intervient dans le secteur des surgelés, sous les marques Findus et Igloo. Ce secteur se montre très résilient et défensif. L’entreprise est très bien gérée et le management de grande qualité. Profitant des taux de financement très avantageux, ils viennent de lever du capital pour continuer leurs opérations d’acquisitions. Cette valeur est, par ailleurs, très liquide, grâce notamment à une capitalisation boursière de près de 4 Mds €.

A contrario, nous sommes vendeurs d’une entreprise du secteur de la chimie dont les estimations de résultats nous semblent trop élevées, et dont une partie de l’activité est très cyclique. Le titre a déjà baissé et on pense que cette baisse se poursuivra.

Propos recueillis par Aurélien Florin

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