La Bourse de Paris a enregistré en 2019 sa meilleure année depuis près de vingt ans. Une performance qui se place dans la droite lignée des principaux marchés mondiaux. Qu’en sera-t-il pour 2020 ? Guillaume Dard, président de Montpensier Finance, décrypte les grands mouvements économiques et politiques qui impacteront une nouvelle fois les marchés.

Décideurs. En ce début d’année tous les regards semblent déjà tournés vers l’élection présidentielle américaine. Comment appréhendez-vous cet événement ?

Guillaume Dard. L’élection présidentielle américaine sera l’un des épisodes majeurs de l’année. Son importance est notamment due à la personnalité clivante de Donald Trump. Il serait d’ailleurs aujourd’hui difficile de mesurer les conséquences de sa réélection. Et qu’en serait-il si le candidat démocrate venait à gagner ? Le Parti démocrate est, en effet, divisé entre les modérés dont Joe Biden se fait le candidat naturel, et les progressistes - l’aile gauche du parti - représentés par Bernie Sanders et Elizabeth Warren. Et c’est peu de dire que l’émergence de ces deux dernières personnalités ne serait guère appréciée des décideurs économiques et des marchés financiers. Le Super Tuesday qui se tiendra en mars prochain marquera un premier tournant dans ce processus électoral.

Les risques géopolitiques seront-ils, une nouvelle fois, l’un des marqueurs de l’année ?

Ces risques, liés en partie à la personnalité de Donald Trump, seront bien évidemment scrutés de près par les investisseurs. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se placent en arbitre du monde. Aujourd’hui le pays veut être à la fois juge et partie. Pour utiliser une métaphore sportive, les États-Unis jouent le rôle d’un arbitre qui marquerait des buts. Cette situation change tout. Mais pour l’instant, Chinois et Américains ont conclu une trêve. Parmi les autres foyers de risques on ciblera Hong Kong, Taïwan et le Moyen-Orient, exacerbé par le conflit en Iran.

"L’élection présidentielle américaine sera l’un des épisodes majeurs de l’année"

Qu’en est-il des questions économiques et financières ?

Notre indicateur MMS de Momentum économique monde met en lumière une réaccélération de la croissance depuis l’été 2019. Si celle-ci est mondiale, elle est particulièrement visible en Chine. La question est désormais de savoir si cette dynamique va se poursuivre. L’inflation sera l’autre indicateur décisif. À ce jour, le consensus anticipe sa stabilisation. Les investisseurs restent cependant vigilants. Les politiques monétaires expansionnistes ont déjà fait monter le prix des actifs financiers et immobiliers. Il est possible que les biens courants soient, un jour, aussi concernés.

La Chine et les États-Unis ont posé en décembre dernier les bases d’un accord commercial. Est-ce une entente de façade ? La guerre commerciale va-t-elle encore secouer les marchés financiers ?

Ces deux « empires » se sont lancés, pour la prochaine décennie, dans un affrontement stratégique majeur sur trois terrains : commercial, financier et technologique. Sur le plan commercial une trêve a été signée. Donald Trump n’avait pas d’intérêt à ce que les prix des produits de consommation importés de Chine augmentent de façon trop importante, alors que se profile une période électorale. Cela aurait eu des incidences sur le pouvoir d’achat des ménages américains et sur la dynamique économique du pays. De leur côté, les Chinois ont besoin des exportations vers les États-Unis pour maintenir leur niveau de croissance. Les deux adversaires avaient ainsi des intérêts objectifs à trouver un accord. Il ne faut cependant pas être candide. Les hostilités peuvent resurgir à tout moment, par un simple tweet du président américain. La fin de la trêve aurait alors un impact immédiat sur la croissance.

L’économie américaine est en haut de cycle. Est-ce synonyme de fin de cycle ?

Les données traditionnelles d’économie ont été contredites par les événements de la dernière décennie, tant sur la politique monétaire que sur le cycle économique. Certes, le cycle de croissance de l’économie américaine est très long, mais il est loin d’être le plus fort. Le plus souvent, c’est un renversement de la politique monétaire qui provoque un arrêt du cycle. La Fed a failli interrompre ce cycle avec ses remontées de taux d’intérêt en 2018. Sous la pression de Donald Trump, elle a fait machine arrière et baisser trois fois ses taux. Ce cycle bénéficie en plus d’une politique budgétaire stimulante. Nous sommes en phase avec le consensus : sauf événement extérieur, la croissance peut tenir jusqu’à la fin de l’année. À la condition également que le dopage monétaire et budgétaire reste très élevé, ce à quoi Donald Trump va s’employer.

"La croissance chinoise est nourrie par un endettement préoccupant à long terme"

Croissance en baisse, endettement record, secteur financier en difficulté et impact négatif de la guerre commerciale qu’elle livre aux États-Unis, les investisseurs doivent-ils se détourner de la Chine ?

Le marché chinois est devenu l’un des très grands marchés boursiers mondiaux. Il n’est pas totalement corrélé aux autres places mondiales. Les grandes entreprises technologiques chinoises (Baidu, Alibaba, Tencent) sont à la hauteur des Gafa. Officiellement la croissance économique du pays est proche de 6 %. En réalité, elle est probablement légèrement inférieure à ce chiffre. Celle-ci est nourrie par un endettement préoccupant à long terme. Le gouvernement en est parfaitement conscient. Il a d’ailleurs nommé le négociateur des accords commerciaux sino-américains à un poste équivalent à celui d’un ministre de la Dette. L’État chinois a donc à gérer deux priorités contradictoires : conserver une croissance importante et limiter la dette. Une problématique qu’il gère tactiquement en visant un scénario économique globalement stable en 2020.  Sur le plan boursier, le marché chinois demeure intéressant de s’y positionner. Les risques géopolitiques, notamment avec Taïwan, ne doivent cependant pas être sous-estimés.

L’arrivée de Christine Lagarde à la tête de la BCE (Banque centrale européenne) aura-t-elle des conséquences sur la politique monétaire menée par l’institution européenne ?

Paradoxalement, elle veut s’inscrire dans la ligne de Mario Draghi tout en ayant une personnalité différente, bien plus consensuelle. La dernière année de l’octennat de Mario Draghi fut très tendue avec la Bundesbank et d’autres pays. Christine Lagarde va s’atteler à renforcer la collégialité dans la prise de décision, principe essentiel pour une structure comme la BCE.  Sans changer le cap de la politique monétaire, elle s’emploiera à atténuer les effets très pernicieux des taux d’intérêts négatifs. En parallèle, il sera demandé aux pays de l’Europe du Nord et particulièrement à l’Allemagne d’adopter une politique budgétaire plus expansionniste. Une volonté qui s’opposera au principe de « schwarze Null » - ou déficit zéro - qui s’applique au budget de l’Allemagne. Peut-être que l’amorce du départ d’Angela Merkel, qui restera dans l’histoire comme une chancelière immobiliste, pourrait changer la donne sur les questions d’équilibre budgétaire.

Dans votre méthodologie d’investissement, la question des valorisations tient une place essentielle. Celles-ci vous paraissent-elles encore attractives, notamment en Europe, après la remontée des principaux indices boursiers en 2019 ?

Les valorisations sont supérieures à la moyenne aux États-Unis, à 18 fois les profits contre une moyenne historique de 15 fois au cours des dix dernières années. En Europe, ils sont très légèrement supérieurs à leur moyenne historique. Ces valorisations sont cohérentes avec un environnement de taux d’intérêts extrêmement bas. Tant qu’il n’y a pas de reprise de l’inflation, ces niveaux de valorisation ne doivent pas détourner les investisseurs des marchés financiers. En 2020, la clé résidera dans l’amélioration des bénéfices par actions. Pour que le marché monte, il serait nécessaire que la prévision de + 10 % se confirme.

"Sur les marchés actions, nous privilégions l’Europe et la Chine, sans être naturellement absents des États-Unis"

Quelle est votre stratégie d’investissement ? Les actions européennes et chinoises ont-elles toujours votre préférence ?

Sur les marchés actions, nous privilégions l’Europe et la Chine, sans être naturellement absents des États-Unis. En Europe, nous mettons en œuvre une stratégie équilibrée, favorisant tout de même les valeurs de croissance. Il sera aussi important de se positionner sur des thématiques porteuses. Le fonds actions internationales M Climate Solutions, ciblant les entreprises pouvant générer un réel impact dans la transition énergétique et écologique pour le climat, s’inscrit dans cette logique. Nous sommes convaincus que cette thématique sera très recherchée. Il en est de même pour le segment des small et mid caps reposant sur les thématiques de lifestyle, betterlife, digital impact et smart energy.

Et sur les marchés obligataires ?

Nous sommes globalement prudents. Les obligations souveraines européennes présentent peu d’intérêt. En cas de recrudescence des risques géopolitiques, les obligations souveraines américaines pourraient devenir intéressantes Sur le segment des obligations privées, nous favorisons celles qui permettent d’obtenir un rendement positif, en privilégiant les titres notés investment grade et les durations courtes. Nous apprécions les obligations convertibles mixtes. Celles-ci ont peu de sensibilité réelle à la remontée des taux d’intérêt et bénéficient d’une exposition à la hausse des actions avec leur parachute obligataire habituel.  Les obligations convertibles européennes sont peu chères en termes de volatilité. Les marchés primaires sont d’ailleurs très dynamiques, particulièrement aux États-Unis et en Europe.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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