Le refus de Bruxelles de valider la fusion des leaders européens du rail ouvre-t-il une voie royale au leader chinois CRRC ? Éléments de réponse.

L’affaire de la fusion entre l’allemand Siemens et le français Alstom a pris un tour éminemment politique. Le 6 février, la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager met son veto à un projet qui aurait abouti à la création d’un géant européen du rail. Motif invoqué ? Les deux entreprises étant en situation de quasi-monopole sur les lignes à grande vitesse dans leur pays respectif. Cette décision a soulagé les syndicats qui craignaient la suppression de milliers de postes mais vivement contrarié Berlin et Paris, fervents défenseurs du projet.

Dans une interview accordée à France 2, le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire dénonçait « une erreur et une faute qui coûtera cher au secteur ferroviaire français ». Plus encore, le gouvernement s’inquiète que la décision de Bruxelles puisse servir les intérêts de la Chine.

Faire face au Gengis Khan du rail

L’argument majeur avancé par les partisans de la fusion Alstom-Siemens était de mettre en place, selon les mots même d’Henri Poupart-Lafarge, le PDG du français, un « champion européen », capable de concurrencer celui qui est présenté comme le nouveau Gengis Khan du rail, le chinois CRRC Corporation.

Le numéro un mondial du secteur ferroviaire a tout pour inquiéter les Occidentaux en général et ses concurrents européens en particulier. Les liens entre CRRC (majoritairement détenu par la State-owned Assets Supervision and Administration, l’agence chargée de la supervision des entreprises publiques chinoise) et Pékin sont affichés aux yeux de tous. CRRC bénéficie du soutien financier et géopolitique de son gouvernement. Et son PDG Liu Hualong est très officiellement le responsable du parti communiste au sein de l’entreprise.

CRRC bénéficie du soutien financier et géopolitique du gouvernement chinois

Né en 2015 de la fusion de deux équipementiers ferroviaires, CNR et CSR, le groupe s’est rapidement développé à l’étranger. Il y réalise, en 2017, 20 % de son chiffre d’affaires. L’ouverture à l’international devrait encore s’accélérer alors que les trains produits par CRRC concurrencent techniquement voire surpassent les performances de ceux des Occidentaux. Déjà capables d’atteindre les 400 km/h, ils pourraient franchir une étape supplémentaire en 2020, date à laquelle CRRC prévoit de tester un train à suspension magnétique pouvant atteindre les 600 km/h.

Le groupe chinois a conclu d’importants et symboliques contrats à l’international, fournissant des rames pour le métro de São Paulo tout comme pour celui de Boston et de Chicago. Et il avance ses pions en Europe, premier marché du rail au monde devant l’Asie et dont la valeur est estimée à plus de 56 milliards d’euros. Si les négociations pour la reprise de la branche ferroviaire du tchèque Skoda ont tourné court, l’entreprise chinoise a remporté plusieurs contrats en Serbie, en Macédoine et en République tchèque. En 2016, l’opérateur privé tchèque Leo Express lui commandait ainsi trois automotrices électriques, et trente autres en option.

Éloge de la concurrence

Face aux ambitions du géant chinois, Alstom et Siemens espéraient donc conforter leur position en fusionnant. L’argument n’a cependant pas convaincu Bruxelles. Margrethe Vestager a expliqué que les entreprises du rail européennes, en pleine croissance et innovantes, disposaient de tous les atouts pour gagner des marchés par elles-mêmes. Et que la création d’un champion européen n’était pas la seule réponse possible de l’UE à la concurrence chinoise.

En effet, depuis 2018, et sur fond d’intensification de la guerre commerciale, l’Europe renforce ses outils de contrôle des investissements étrangers en Europe et ses mesures antidumping. De quoi, selon Bruxelles, pouvoir contrer les velléités par trop expansionnistes de CRRC et de Pékin.

Cécile Chevré

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