Créée il y a huit ans, la plate-forme de vente en ligne de vêtements et accessoires de luxe Vestiaire Collective enchaîne les taux de croissance records. En l’espace de cinq ans, Franck Boniface, son directeur financier, y a vécu trois levées de fonds, ouvert six entités à l’international et recruté plus de 250 personnes… Il revient sur ces phases d’hypercroissance, aussi stratégiques que risquées pour les entreprises.

Décideurs. Quels critères permettent de parler d’hypercroissance ?

Franck Boniface. On parle d’hypercroissance lorsqu’une entreprise connaît un taux supérieur à 50 % de son chiffre d’affaires annuel, ce qui se produit généralement sur des marchés naissants ou transformés par une innovation disruptive, comme cela s’est vu avec Facebook, Nespresso, Uber… Pour l’entreprise concernée, l’enjeu consiste alors à accompagner cette progression rapide en y adaptant l’ensemble de son organisation. Cela a été le cas de Vestiaire Collective qui, au cours des cinq dernières années, est passée de 10 millions de chiffre d’affaires à 150 et de 30 salariés à 270.

Quels sont les premiers effets d’une telle progression ?

Être en hypercroissance permet de rayonner sur de nouveaux marchés et ainsi, de rééquilibrer les volumes de ventes en fonction du dynamisme de la demande… Huit années de présence sur le marché français ont permis de l’éduquer à notre activité mais ont aussi eu pour effet d’en faire un marché plus mature sur lequel notre rythme de développement s’est ralenti. C’est précisément ce type d’évolution qu’il faut être en mesure d’anticiper afin de créer des relais de croissance.

Le vôtre est essentiellement venu de l’international ?

Effectivement. Nous distribuons aujourd’hui nos produits dans une cinquantaine de pays et nous disposons de six filiales… Bientôt sept. En l’espace de cinq ans, notre activité à l’international est passée de 10 % à 70 % du chiffre d’affaires. Un changement de périmètre d’une telle ampleur entraîne nécessairement d’importantes mutations culturelles au sein de l’entreprise. Recruter dans d’autres pays implique de sensibiliser les équipes, d’identifier une identité de marque afin de conserver un socle commun fort, etc. C’est essentiel  et cela permet de garder à l’esprit que, même en  phase d’accélération intense, une entreprise reste une histoire d’hommes, d’émotions et de bonnes décisions.

Une telle montée en puissance  n’est pas sans risques, quels sont-ils ?

En phase d’hypercroissance tout change très vite, l’entreprise comme son environnement. Cela implique de repenser les priorités, les décisions, les dépenses, la gestion des problématiques… Dans tous ces domaines, il faut constamment « reseter » et donc accepter d’évoluer dans un contexte déstabilisant par nature. Cela exige une remise en question permanente, une très grande agilité des hommes et des structures.

Sur le plan managérial, comment accompagne-t-on cette accélération rapide de l’activité ?

Lorsque le périmètre d’activité s’élargit, l’esprit « start-up » s’estompe, c’est inévitable. Le management doit accompagner cette mutation naturelle pour faire passer l’entreprise d’une culture très orientée sur l’humain et l’affect à quelque chose de plus cadré. Tout l’enjeu consiste alors à allier le besoin de structuration du business et la créativité de la start-up ; à savoir placer le curseur entre la créativité à préserver et le chaos à éviter. Cela requiert des ajustements internes permanents.

Au final, quel est l’enjeu principal de cette période d’hyper-croissance ?

Il consiste à ne pas redevenir une « boîte normale » trop tôt, autrement dit, une entreprise dont la croissance ne dépasse pas les 20 %. Afficher 60 % à 70 % de croissance annuelle implique de se réinventer en permanence, de saisir les opportunités tout en limitant la prise de risque. En cela, l’hypercroissance est assimilable à une période de liberté contrôlée qui, pour durer, requiert qu’on y injecte une dose de process et de stratégie tout en entretenant l’envie et en préservant l’audace. C’est une phase délicate qui requiert une certaine humilité de la part des dirigeants.

Propos recueillis par Caroline Castets

@CaroCastets1

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