Fleuron français et leader sur le secteur de la microfluidique, la société Fluigent révolutionne le marché de la recherche scientifique et de l’industrie. France Hamber, présidente de la société revient sur le concept et la révolution de la microfluidique, la technologie mise en œuvre et leurs ambitions sur le marché.

Décideurs. Fluigent intervient dans le secteur particulier de la micro­fluidique. De quoi s’agit-il?

France Hamber. La microfluidique est la science de l’écoulement de fluides à l’échelle micrométrique. Schématiquement, nous étudions ce qui se passe dans des canaux qui ont, pour donner une échelle, l’épaisseur d’un cheveu. Cette technologie a vingt-cinq ans. À l’époque se posait la question de l’écoulement des fluides au sein de réseaux aussi fins. La microfluidique est devenue par la suite, aux yeux des acteurs, une technologie qui allait permettre de mener à bien certaines applications notamment en matière de santé (test sanguin, cancérologie etc.), de diagnostic, de développement de nouvelles thérapies, de cosmétique, etc. De concept révolutionnaire, la micro­fluidique est devenue un outil ouvrant, pour certains acteurs, une « mine d’or » du marché de la recherche et de l’industrie par la diversité de ses multiples applications.

Comment est née l’idée de Fluigent?

Sans notre technologie, nous n’existerions pas. Celle-ci a même précédé notre création. Notre expertise en matière de gestion des fluides à l’échelle de la microfluidique, est issue d’une invention réalisée au sein de l’un des laboratoires de l’institut Curie il y a une quinzaine d’années par l’expert incontesté de la microfluidique, Jean-Louis Viovy. Au cours des recherches entreprises sur la séparation de brins d’ADN, il lui est apparu qu’avec le matériel traditionnel, les pousse-seringues, la stabilisation et le contrôle des écoulements et des flux prenaient une durée moyenne de deux heures alors que la réaction, quant à elle, ne durait que quelques minutes. Pour pallier cet inconvénient, Jean-Louis Viovy a eu l’idée novatrice d’utiliser la pression pour pousser le liquide dans ces systèmes microfluidiques et donc de ­générer un écoulement grâce à un contrôleur de pression. C’est dans ce contexte que Fluigent est née en 2005. À l’origine, l’entreprise s’est développée sur deux piliers fondamentaux : une partie concerne l’instrumentation microfluidique et une autre, plutôt biologique, centrée sur les tests de détection précoces de cancers. Après l’échec de ce deuxième pilier du fait de l’incompatibilité de notre réactif avec les nouveaux équipements de séquençage haut débit provenant des États-Unis, nous avons donc opéré un virage stratégique en 2013 en recentrant notre activité sur la partie instrumentation microfluidique. Je suis personnellement arrivée dans cette fabuleuse aventure en 2015 lors de la reconstruction de l’entreprise. Nous avons donc reboosté nos gammes de produits avec une très forte internationalisation notamment avec la création d’une filiale en Allemagne et aux États-Unis. Mon objectif était clairement de remettre la société sur les rails tout en impulsant la conquête de nouveaux marchés.

Quelle est votre offre dans l’écosystème spécifique de la microfluidique?

Dès les débuts de la société, nous avions une vision très forte sur le potentiel et la révolution qu’allait apporter la micro­fluidique dans de nombreux domaines notamment dans celui de la santé et de la recherche en sciences de la vie. Pour reprendre la métaphore de la ruée vers l’or, il y a d’une part les acteurs, que je nomme les chercheurs d’or, qui vont développer la machine qui permet de détecter, entre autres, le groupe sanguin en quelques minutes. Et d’autre part, il y a nous. Notre vision n’est pas de chercher l’or, mais de fournir les jeans et les pelles. En d’autres termes, nous les équipons des meilleurs équipements possible afin de leur permettre d’accomplir des progrès majeurs dans leurs disciplines respectives. Notre métier concrètement, c’est la gestion très précise des écoulements à ces échelles. C’est à ce niveau-là que se situe tout notre savoir-faire. Pour cela, nous développons des « pompes » innovantes et de haute qualité dont l’objectif est de permettre de bouger et de gérer des liquides très précisément au sein des dimensions microfluidiques.

Justement quelles sont les principales applications?

Nos outils peuvent intervenir dans de nombreuses utilisations parmi lesquelles, il y a naturellement tout le secteur médical. La recherche de nouveaux principes actifs dans les tests de toxicologie ainsi que dans la découverte et le diagnostic, à l’image des analyses sanguines, est un des exemples de mise en application de la microfluidique. Aujourd’hui, l’analyse sanguine nécessite de longs temps d’attente avant l’obtention d’un résultat. Avec la microfluidique et notre technologie, nous sommes en mesure de miniaturiser tous ces processus et de faire des analyses équivalentes mais sur des quantités toujours plus faibles. C’est une avancée spectaculaire notamment lorsque les sujets sont des enfants ou même des fœtus pour lesquels la prise de sang est plus délicate. L’autre intérêt est également d’avoir des résultats plus rapides. À titre comparatif, si vous arrivez aux urgences avec une hémorragie, pour détecter votre groupe sanguin, il faut compter une à deux heures après la prise de sang pour obtenir un résultat, alors qu’avec la ­microfluidique, quelques minutes ­suffiraient.

"Notre vision : fournir à nos partenaires (laboratoires et industriels) les meilleurs équipements afin qu'ils accomplissent des progrès majeurs dans leurs disciplines"

Quels sont les avantages de la micro­fluidique et de vos outils?

La microfluidique présente l’avantage majeur de miniaturiser, d’automatiser les process et de permettre le haut ­débit. En termes de performance, nous apportons une réelle stabilité et précision, tout en proposant des équipements et des logiciels très faciles à utiliser. À titre d’exemple, l’un de nos clients a effectué un comparatif d’efficacité entre un robot pipeteur traditionnel et notre méthode microfluidique. Les résultats parlent d’eux-mêmes, pour un nombre identique de réactions, nous allons utiliser des volumes de l’ordre de 5 000 litres pour le premier contre 150 microlitres avec notre technologie. Nous avons à la fois un gain dans la matière mais aussi un gain de temps essentiel. Avec l’appareillage traditionnel, il vous faudra approximativement deux ans afin de réaliser un certain nombre de réactions contre sept heures uniquement avec la technologie microfluidique. Ce modèle est original car il permet d’entreprendre des manipulations et des recherches que nous n’aurions pas pu réaliser sans cette technologie. En termes de frais, les impacts sont énormes notamment pour ce qui est des coûts d’investissement et d’opération.

L’entreprise a réalisé une levée de fonds en 2018, auprès de Inventures, un fonds d’investissement belge. Quel en est aujourd’hui le bilan?

Le bilan de notre levée de fonds est extrêmement positif. Celle-ci nous a permis de renforcer les équipes et les compétences notamment en matière d’équipes R&D, marketing et vente. Le financement nous a également aidés à gérer notre croissance. Nous sommes, une société avec une croissance annuelle de 30 % tant en termes de chiffre d’affaires que de développement des équipes. Finalement, elle nous a permis de développer de nouveaux produits pour aller conquérir le marché industriel des équipementiers avec Fluigent « Inside » et le marché applicatif en particulier avec notre nouveauté Aria destinée aux biologistes.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur Aria votre dernière innovation?

Aria est un nouveau produit dédié aux laboratoires de recherche en biologie et aux plateformes de microscopie de haute résolution qui permet d’automatiser l’injection de solutions de manière séquentielle. Elle peut, par exemple, être utilisée lors de cultures cellulaires sur de longues périodes. Quant au protocole, sur le principe, les opérations manuelles jusque-là pouvaient être problématiques puisqu’elles nécessitaient l’intervention constante d’un opérateur. Aria va désormais leur permettre d’automatiser ces étapes. Grâce à une interface très simple d’utilisation, le chercheur peut programmer, notamment, la périodicité des injections et le volume ; la machine faisant le reste. L’objectif de cette avancée est de permettre aux chercheurs de se concentrer uniquement sur leurs recherches et d’en accélérer les résultats.

Propos recueillis par Alexandre Lauret

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