Face à la pression de l’actualité et des associations de défense, les pouvoirs publics multiplient les prises de parole et les effets d’annonce sur le sujet des violences faites aux femmes. Reste que pour les professionnels, le compte n’y est pas. Loin s’en faut.

Un Grenelle des violences conjugales et des ministres qui, la mine grave et le ton ferme, condamnent et promettent, l’annonce officielle d’un "nouvel arsenal juridique" à destination des femmes victimes d’un conjoint ou ex-conjoint, une campagne de sensibilisation contre les violences sexistes et sexuelles et, le 23 novembre dans les rues de Paris, près de 50 000 personnes qui dénoncent les féminicides…(lire à ce sujet l'interview exclusive accordée à Décideurs Magazine par Nicole Belloubet, ministre de la justice ndlr).

À première vue, la prise de conscience tant de fois annoncée est réelle et la volonté d’agir avérée. D’ailleurs le Premier ministre l’a dit : "les dysfonctionnements dont nous n’avons pas jusqu’à aujourd’hui voulu prendre conscience", c’est fini. Et puis se rappelle à nous une autre réalité. Celle dont attestent les chiffres de l’Observatoire national des violences faites aux femmes qui totalisent au moins 220 000 victimes depuis le début de l’année en France, et du collectif Féminicides par compagnons ou ex. qui compte 138 tuées depuis janvier, et que confirment les acteurs de terrain. Ces professionnels qui, loin des éléments de langage et des déclarations vertueuses, se trouvent en prise directe avec les failles du dispositif : manque d’agents de police pour recueillir les plaintes et de magistrats pour les traiter, manque de places dans les centres d’hébergement et de formation chez les agents et, surtout, à tous les étages de la fusée, manque de moyens. Une réalité flagrante à laquelle, pourtant, le Grenelle du 25 novembre n’a pas prévu de remédier.

Folklore

Pour Maître Anouchka Assouline, avocate spécialisée en droit de la familles, l’omission en dit long sur l’ambition… "C’est la médiatisation des violences conjugales qui est à l’origine de ce Grenelle, déclare-t-elle. Il a été organisé pour montrer que le gouvernement se saisissait du sujet". Et sur ce plan, aucun doute, il a tenu sa promesse. Pour ce qui est des effets concrets censés en découler, en revanche, l’avocate est d’autant plus circonspecte que, dès le départ, regrette-t-elle, l’approche se concentre sur un aspect unique du problème : le plus visible parce que le plus médiatique. "On parle des féminicides mais il s’agit de la partie émergée de l’iceberg, poursuit-elle. Il existe bien d’autres types de violences conjugales dont on ne parle jamais. Pour ceux qui, comme moi, y sont confrontés toute la journée, il est clair que le gouvernement ne connaît pas le sujet, qu’il cherche à calmer les esprits avec des mesures qui, en réalité, relèvent du folklore." Sévère ? Non, lucide, répond celle pour qui, sans enveloppe débloquée, les avancées annoncées resteront nécessairement lettres mortes.

Pénurie

"Le dispositif existant est déjà asphyxié faute de moyens, poursuit-elle. Les associations sont débordées, les structures d’accueil saturées, il n’y pas assez de juges dans les tribunaux, pas assez d’agents formés à ce type de plaintes dans les commissariats…" Un constat de pénurie généralisée que partage Me Emmanuelle Rivier, spécialisée dans les affaires de violences conjugales. Pour elle, le fait que le gouvernement annonce de nouvelles mesures sans débloquer de budget qui permettrait de les mettre en œuvre réduit le Grenelle à une simple opération de communication.

"On nous fait croire que quelque chose est en marche alors qu'il ne se passe rien"

"On nous fait croire que quelque chose est en marche alors qu’il ne se passe rien ! Il est faux de prétendre qu’on pourra obtenir des résultats sans débloquer de moyens," assène l’avocate pour qui les annonces présentées comme un nouvel arsenal juridique se résument en réalité "à de la poudre aux yeux". D’autant plus, insiste-t-elle, qu’aux mesures existantes qui ne sont pas appliquées pour cause de "budgets indigents", comme dans cet arrondissement de Paris où, raconte-t-elle, trois agents dédiés à la protection de la famille sont censés gérer 600 dossiers… s’ajoutent celles qui s’imposeraient et qui se sont vues recaler. Comme la proposition de suspendre le temps de l’ordonnance de protection l’autorité parentale du parent violent, déposée il y a quelques mois et rejetée alors que, regrette Me Assouline, elle était de nature à avoir un effet dissuasif, contrairement aux peines de sursis habituellement prononcées.

Temps de l’urgence

"D’une façon générale, les mesures légales ne sont pas à la hauteur des enjeux de terrain », confirme l’avocate qui évoque des affaires "éminemment complexes" parce que cumulant toutes les difficultés : l’urgence, le danger, la peur, le déni, la difficulté de porter plainte, celle de partir, puis celle de gérer l’après…  D’où la nécessité, pour les aborder, de disposer d’une "très grande connaissance de terrain". Pour comprendre les mécanismes à l’œuvre chez la cliente mais aussi pour pouvoir contourner le système lorsque composer avec lui ne suffit plus. "La réalité est telle, confie un avocat, qu’il faut savoir avec précision quels critères indiquer pour se voir accorder une ordonnance de protection, à quel tribunal s’adresser pour obtenir une date d’audience pas trop éloignée". Car, rappelle-t-il, "attendre quand on a peur, c’est terrible".

Pour Me Assouline, c’est précisément parce que les décideurs politiques ignorent tout de cette réalité de terrain que perdure une mauvaise appréciation de ses enjeux ; à commencer par celui, essentiel, du danger et de la gestion du temps qui on découle. "Les pouvoirs publics sont dans une vision de long terme. ils parlent de sensibiliser, d’éduquer. Alors qu’avec ces affaires on est dans le temps de l’urgence", insiste-t-elle avant de citer l’exemple, fréquent, de ces mères de famille qui, une fois qu’elles ont trouvé le courage de quitter le domicile familial, se heurtent au refus de centres d’accueil saturés et se voient redirigées, "avec enfants et valises", vers l’hôpital public pour y passer une nuit avant de recommencer à frapper aux portes le lendemain. "Imaginez, en 2019 et dans le pays des droits de l’homme !", s’insurge l’avocate pour qui, en l’état, "rien n’est fait pour inciter les victimes de violences à partir".

Culture d’indulgence et réflexe de suspicion

Même son de cloche chez Me Rivier. Si, selon elle, il existe bien une prise de conscience, celle-ci concerne la société civile. "Pas du côté des pouvoirs publics chez qui les notions d’urgence et de danger ne sont toujours pas prises en compte."

Elément aggravant : la persistance en France d’un état d’esprit qui, quoi qu’en disent les dirigeants politiques, reste empreint d’une forme d’indulgence envers le conjoint violent et d’une relative suspicion à l’égard de sa victime dont on tente encore trop souvent de minimiser l’accusation. "Il existe chez nous comme une présomption de mensonge et de manipulation qui pèse sur les victimes", confirme Me Rivier qui voit cet état d’esprit se vérifier quasi quotidiennement dans l’accueil réservé à ses dossiers. "Au moins 50 % des affaires que je traite se soldent par un refus de plainte de la justice…", confie-t-elle. Justice qui, pour Me Assouline, aurait, en France, "du mal à condamner"

"La plupart du temps, le conjoint violent s’en sort avec quatre ou cinq mois de sursis, rappelle-t-elle avant d’ajouter : et il peut demander à ce que la peine ne figure pas dans son dossier." Effectivement, on a connu plus dissuasif.

Caroline Castets

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