La donation-partage de titres d’une société n’implique pas nécessairement une répartition égalitaire de ces titres entre les donataires copartagés ; le donataire « repreneur » peut se voir attribuer la totalité ou l’essentiel des titres donnés, à charge de verser aux autres une soulte. La combinaison de cette figure classique de la transmission à titre gratuit avec la constitution d’une société holding par apport des titres et de la soulte offre une solution efficace pour une transmission intrafamiliale réussie.

Par Sylvain Guillaud-Bataille, notaire associé à Paris

 

Afin d’illustrer de façon concrète le Family buy out, nous l’étudierons à travers un exemple chiffré. Un dirigeant âgé de 63 ans, père de deux enfants, possède la totalité du capital social d’une société d’exploitation d’une valeur de 4 M€ (présumée éligible au régime fiscal de faveur « Dutreil ») et souhaite anticiper la transmission à titre gratuit de la pleine propriété de 60 % du capital social, soit une valeur de 2,40 M€. Ce dirigeant souhaite réaliser une donation égalitaire entre ses deux enfants, mais seul celui désigné comme repreneur recevra des titres.

Schéma ordinaire : donation-partage avec soulte

La donation-partage portera sur la pleine propriété de titres représentant 60 % du capital social de la société d’exploitation, formant un lot unique, attribué à l’enfant repreneur, à charge pour ce dernier de verser à son codonataire une soulte, laquelle sera dans notre exemple d’un montant de 1,20 M€.

Point de vigilance : le délai de paiement de la soulte

Dans une telle configuration, il est fréquent que les parties s’interrogent sur la possibilité d’organiser un délai de paiement de la soulte. Un tel délai est possible mais devra être soigneusement encadré compte tenu du caractère d’ordre public, en matière de donation-partage, du mécanisme d’indexation légale de la soulte en cas de variation de la valeur de l’actif transmis de plus de 25 % (article 828 du Code civil) ; le risque d’une réévaluation automatique nous conduira le plus souvent à privilégier un délai de versement limité à quelques mois.

Le régime fiscal de faveur « Dutreil » (en présumant ses conditions d’application respectées) sera alors applicable à la totalité de la masse ainsi transmise (et non seulement à la moitié) : les droits de donation dus par chaque donataire seront calculés, en présence d’une soulte, selon les droits théoriques de ces derniers dans la masse des biens donnés et partagés1 (et non sur la valeur des biens compris dans chaque lot). Dans notre illustration et en l’absence de donation antérieure, les droits de donation seront d’un montant total de 38 194 euros (après réduction de 50 % compte tenu de l’âge du donateur).

Dans les cas les plus fréquents, l’enfant repreneur : procédera au règlement de la soulte au moyen d’un emprunt bancaire ; et ne pourra faire face aux échéances de cet emprunt qu’au moyen du montant effectivement disponible après impôt (IRPP) sur les dividendes versés par la société d’exploitation.

La donation-partage des titres d’une société d’exploitation peut être égalitaire tout en comportant attribution de l’intégralité des titres à un seul enfant, à charge de soulte. 

Pour comprendre l’effort de trésorerie rendu nécessaire par ce premier schéma de reprise, nous prendrons comme base un emprunt bancaire de 1 200 000 euros sur une durée de 7 ans au taux d’intérêt (assurance comprise) de 2 %, ce qui générera une échéance mensuelle de 15 463 euros soit un montant total annuel de 185 556 euros.

Compte tenu d’un taux marginal d’imposition (TMI) à 45 % au barème progressif de l’IRPP, l’enfant repreneur devra percevoir, pour faire face à une telle annuité, des dividendes annuels de l’ordre de 254 186 €, pour les 60 % du capital social détenu.

La société devra donc verser chaque année 424 000 € de dividendes, ce qui suppose un résultat minimum avant impôt sur les sociétés de l’ordre de 636 000 €.

Ce schéma de transmission ordinaire fera ainsi peser sur la société d’exploitation un effort de distribution très significatif ; il est impératif de rechercher une organisation plus efficiente.

Le recours à une holding permettra au donataire repreneur, attributaire des titres, de mettre en œuvre un effet de levier financier et fiscal qui diminuera l’effort de trésorerie donc protégera le repreneur comme la société d’exploitation.

Schéma optimisé : donation-partage suivie de la constitution d’une holding

Cette solution consiste à faire suivre la donation-partage de la constitution par l’enfant repreneur d’une société holding soumise à l’impôt sur les sociétés, par apport des titres de la société d’exploitation reçus dans la donation, à charge pour la société holding de reprendre également la soulte : il s’agit d’un apport mixte, à titre pur et simple à hauteur des droits de l’enfant repreneur dans la donation-partage et à titre onéreux à hauteur de la soulte mise à la charge de la holding.

L’objectif est de profiter de la fiscalité des groupes de société et, notamment, des deux règles favorables suivantes :

 - les dividendes versés par la société-cible à la société holding ne sont pas (ou peu) imposés. En application du régime mère-fille, ils seront fiscalement neutralisés sauf la réintégration d’une quote-part de frais et charges égale à 5 % des distributions ;

 - les frais financiers de l’emprunt contracté seront déductibles du résultat de la société holding.

Schématiquement, là où une distribution de dividendes de 100 au profit d’une personne physique, lui laissera une « capacité financière » nette après impôt de l’ordre de 60 pour rembourser l’emprunt, le régime mère-fille permet à la mère recevant 100 de sa fille, d’affecter au remboursement de l’emprunt un montant a minima de 98,3.

Image

Dans notre illustration, la société holding, débitrice de la soulte, contractera un emprunt de 1 200 000 euros sur une durée de 7 ans au taux d’intérêt (avec assurance) de 2 %, soit des échéances annuelles de 185 556 euros.

Pour y faire face, la société holding devra percevoir des dividendes annuels approximativement de même montant au titre des 60 % du capital social détenus dans la société d’exploitation, soit un montant total de dividendes à verser chaque année par la société d’exploitation réduit à environ 309 000 €.

Le maintien du dispositif Dutreil en cas d’apport avec soulte à une holding impose le respect de strictes conditions.

Compatibilité avec le régime de faveur « Dutreil »

Lorsque le régime « Dutreil » est appliqué à la donation-partage, le schéma de reprise décrit ci-dessus suppose de respecter les conditions suivantes (article 787 B, f, du CGI) :

- L’apport doit être réalisé au cours de l’engagement individuel de conservation des titres2,

- L’apport doit être consenti au profit d’une société holding pure, détenue par les personnes physiques bénéficiaires de la transmission, et dirigée par un bénéficiaire de l’exonération,

- Les personnes physiques bénéficiaires de la transmission doivent conserver les titres de la holding pour la durée de l’engagement individuel initialement contracté dans la donation,

- La société holding bénéficiaire de l’apport doit s’engager à conserver, pour la même durée, les titres de la société d’exploitation formant l’objet de l’apport.

En conclusion, remarquons que le schéma étudié peut aussi être le support d’une pertinente combinaison consistant à associer la donation-partage avec la cession à titre onéreux, ultérieure ou concomitante, au profit de la société holding, d’une autre partie des titres de la société d’exploitation. Cela permettra d’assurer aux parents fondateurs des liquidités tout en permettant à l’enfant repreneur de bénéficier de l’effet de levier financier et fiscal.

 

Sur l’auteur :

Sylvain Guillaud-Bataille, titulaire du diplôme supérieur de notariat, du master 2 Droit du patrimoine professionnel de l’université Paris-Dauphine, est notaire associé à Paris et chargé d’enseignements à l’université Paris-Dauphine. Outre l’activité notariale traditionnelle, l’étude Guillaud-Bataille est spécialisée en ingénierie patrimoniale et conseils aux dirigeants.

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