Décédé en mai dernier à l’âge de 93 ans, Serge Dassault aura réussi la lourde tâche de succéder à son père Marcel, fondateur du groupe aéronautique. Grâce à un travail acharné, les deux hommes ont créé et développé un empire qui ne se limite pas à l’aviation. Retour sur une saga familiale de plus cent ans.

Sans aucun doute, Marcel Dassault et son fils, Serge, ont marqué de leur empreinte l’histoire de France. À eux deux, ils ont conforté l’un des plus grands constructeurs aéronautiques privés, permettant à l’Hexagone de rester à la pointe dans ce domaine stratégique. En un siècle, ils ont traversé les épreuves : guerres mondiales, antisémitisme, déportation, nationalisation et opposition gouvernementale. À chaque fois, les deux hommes ont su conserver leurs convictions et leur indépendance.

L’œuvre d’une vie

Tout commence en 1916. À seulement 25 ans, Marcel Bloch conçoit une hélice qui équipera les premiers avions de combat. Entre les deux guerres, il développe pendant dix ans une société dans le secteur de l’immobilier mais finit par retourner rapidement à sa vraie passion, l’aviation. Enrichi par sa précédente expérience professionnelle, il ambitionne de produire son propre avion. En cinq ans, il devient le deuxième constructeur aéronautique français. Mais sa réussite fait des envieux. Dans une époque marquée par l’antisémitisme, il est accusé d’être l’un des responsables de la défaite. Marcel sera pourtant déporté à Buchenwald pour avoir refusé d’apporter son aide aux nazis.  À son retour en France, il veut commencer une deuxième vie : il prend alors le nom de Dassault - une déformation du nom de code « Chardasso » utilisé par son oncle, le général Darius Paul Bloch, durant l’Occupation – et change de religion en se convertissant au christianisme pour ne pas revivre le traumatisme enduré pendant la Seconde Guerre mondiale. En revanche, sa passion pour l’aviation et ses ambitions dans le secteur restent intactes.

Sa force de travail et son mode d’organisation recentrée autour d’une petite équipe lui permettent de s’adapter rapidement. Alors que Ses concurrents ont besoin de plusieurs mois pour réaliser de nouveaux essais de vol, il ne lui faut que quelques jours. Prenant de vitesse ses concurrents, il devient en moins de cinq ans le principal fournisseur des avions de combat de l’armée de l’air française. Il sera ainsi l’un des grands contributeurs de l’aviation à réaction. Mais là encore, la jalousie refait surface et ses adversaires font tout pour nationaliser son entreprise. C’était mal connaître la détermination de Marcel Dassault. Pour éviter de perdre le contrôle, il n’hésite pas à céder gratuitement 26 % de ses actions à l’État. Cette opération fait perdre à l’homme d’affaires l’équivalent d’un milliard d’euros. Mais pour lui, l’argent n’était pas la finalité. Il travaillait pour accomplir quelque chose de plus grand. Sans jamais préciser de quoi il s’agissait, il aimait à répéter « Tout, autour de moi, concourt et doit concourir à l’œuvre que je me suis assignée ». En filigrane, cette citation permet aussi de mieux comprendre sa relation tendue avec son fils. D’un côté, il le pousse pour réussir mais dès que celui-ci se rapproche trop près du sommet, il lui rappelle qu’il est le seul à prendre les décisions.

Dans l’ombre du père

Serge Dassault fait son entrée dans l’entreprise familiale en 1951. À trente ans, il est nommé directeur des essais en vol. Un poste qu’il occupera avec succès pendant cinq ans. Prenant de l’assurance, il veut jouer un rôle plus important. L’industriel n’hésite pas alors à le marginaliser en lui donnant la direction de la société d’électronique, une entité récemment créée. Certains diront néanmoins qu’il s’agissait en réalité d’un poste stratégique car, dès le début de l’électronique dans l’aviation, Marcel en avait compris l’importance croissante. Serge réussit ce coup de maître et fait grandir l’entité avec succès. Mais cela ne lui suffit pas. Puisqu’il ne peut pas participer à la destinée de l’entreprise familiale, il décide de se lancer, comme son père, en politique. Pour montrer qu’il n’attend aucune aide de sa part, il choisit de se présenter dans une ville communiste de longue date : Corbeil-Essonnes. Il essuie échec sur échec. Au grand dam du patriarche, qui supporte mal cette situation, Serge n’abandonne pas. Ce n’est qu’en 1995, soit 18 ans après sa première tentative, qu’il décroche enfin la victoire. Le fondateur n’aura pas l’heur de le voir réussir puisqu’il décède en 1986.

Le gestionnaire

À 61 ans, Serge a enfin la possibilité d’accéder à la tête du groupe familial. Mais là encore, son ascendant ne lui aura pas rendu la tâche facile, refusant de le désigner comme successeur légitime. Grâce à ses talents de diplomate, Serge Dassault réussit à obtenir le soutien du gouvernement. Malgré ce succès, nombreux estiment qu’il ne restera pas très longtemps à ce poste. Pour réussir à succéder à son père, il choisit de s’en démarquer. Alors que Marcel s’est illustré dans la création, Serge concentre ses efforts dans la gestion du groupe industriel. Délaissant la conception à des hommes de confiance, il s’attache à la rationalisation de l’entreprise. Trente ans après avoir pris les rênes de la société, personne ne peut contester sa réussite. En 2016, la valorisation du groupe Dassault est environ dix fois supérieure à celle de 1986.

 

Seule ombre au tableau pour Serge Dassault, son parcours politique. S’il finit par être élu maire de Corbeil-Essonnes, l’élection de 2008 est annulée par le Conseil d’État et il écope en 2017 d’une peine de cinq ans d’inéligibilité. Une sanction qui le marquera profondément mais qui ne l’empêchera pas de poursuivre son autre combat : assurer la pérennité et l’indépendance de l’avionneur. Et contrairement à son père, il nomme son successeur. Ce n’est pas l’un de ses quatre enfants mais il laisse néanmoins la porte ouverte : « J’ai fait mon choix pour ma propre succession en nommant Charles Edelstenne au poste de président. Ce sera à lui, en concertation avec la famille et avec l’aide du comité des sages, de nommer le sien le moment venu. La seule chose que j’exige, c’est que le capital du groupe reste dans la famille. » Si aucun des enfants de Serge ne semble intéressé à briguer la succession, l’un des 14 petits-enfants reprendra peut-être un jour le flambeau afin que la légende Dassault perdure au XXIe siècle.

Vincent Paes

18 MD€

La fortune de la famille Dassault en 2018

Fait d’armes : les deux hommes d’affaires ont façonné le plus grand constructeur aéronautique privé mondial.

Curiosité : chaque membre de la famille Dassault dispose d’un trèfle à quatre feuilles dans son portefeuille.

Leur meilleur atout : la persévérance.

La  plus grande folie : Serge Dassault organisait des « safaris » illégaux en forêt de Rambouillet.

Le plus grand flop : les élections truquées de Corbeil-Essonnes en 2008.

Son homme de confiance : pour assurer la pérennité du groupe, il céde les rênes à Charles Edelstenne, son ancien bras droit.

 

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