Berenberg a signé l’une des trois introductions en Bourse européenne depuis le début de l’année, avant la crise du Covid-19 et l’effondrement des marchés. Fabian de Smet, à la tête de l’activité Equity syndicate de la banque d’investissement allemande, détaille les conséquences de la pandémie sur les marchés financiers et l’activité Equity Capital Markets.

Décideurs. Quelle est votre analyse de la réaction des marchés financiers au Covid-19 ?

Fabian de Smet. La chute des Bourses mondiales observée au mois de mars ne connaît pas de précédent, notamment en termes de rapidité. Les marchés ne savent pas comment se positionner car c’est la première fois que l’économie mondiale est mise en pause. Aujourd’hui, 90 % des commerces sont à l’arrêt et même le plus beau des business model ne peut pas survivre sans chiffre d’affaires sur plusieurs mois. Malgré les milliards injectés dans l’économie par les États et les banques mondiales, les marchés boursiers avancent dans le flou car ils ne savent pas modéliser la durée des confinements. D’où les niveaux de volatilité jamais atteints et une nervosité plus que palpable.

Quelle réaction observez-vous du côté des investisseurs ?

La plupart des fonds n’ont pas vendu beaucoup de positions pour le moment. Les priorités des investisseurs ont changé et toutes les IPO des trois prochains mois sont reportées jusqu’à nouvel ordre. Aujourd’hui, ils sont occupés à gérer les sorties, à mettre du cash de côté en prévision de levées de capitaux pour leurs participations et à trouver des opportunités sur le marché secondaire, les cours des actions ayant dévissé entre 30 et 60 % en Europe. Aucune introduction en Bourse ne devrait avoir lieu avant le mois de septembre, voire janvier 2021. Les investisseurs attendent les chiffres du deuxième trimestre pour examiner l’impact économique réel du Covid-19 et relancer les opérations.

Comment cela affecte votre activité Equity Capital Markets ?

Il n’y aura probablement plus d'IPO avant l'automne 2020, mais il faut continuer à préparer les opérations pour être prêts une fois que les marchés se calment. Il y a toutefois des choses à faire dans ce marché. De nombreuses sociétés, et pas seulement dans les secteurs sous pression, peuvent temporairement rencontrer des problèmes de covenants. Les discussions aujourd’hui portent sur les solutions pour lever des capitaux pour ces sociétés, malgré les turbulences du marché.

"Le cash représente 5 % des actifs sous gestion des investisseurs"

Quelles sont ces solutions pour lever des capitaux ?

Aujourd’hui, le cash représente 5 % des actifs sous gestion des investisseurs, qui peut être utilisé pour aider les sociétés en portefeuille. Les augmentations de capital peuvent se faire à la fermeture des marchés, avec un accelerated book building, ou sous forme de droit préférentiel de souscription. La seconde option nécessite sept à huit semaines de préparation et il faut agir vite. Les opérations overnight sont donc privilégiées. Le problème de ce type de produit est que l’augmentation de capital est limitée, selon les régulations, à 10 % du nombre d’actions. Compte tenu de la gravité de la situation, les régulateurs britanniques, belges et français ont fait preuve de flexibilité et autorisent des émissions jusqu’à 20 % du capital, contrairement à l’Allemagne, toujours à 10 % et un discount plafonné à 5 %. C’est un problème puisqu’aujourd’hui, les investisseurs demandent une décote minimum de 10 % pour récompenser le risque pris.

Qui est le mieux placé pour s’en sortir ?

Au niveau des marchés de capitaux, pour obtenir une augmentation de capital, un émetteur doit réunir trois critères : un business plan avec l’impact de la crise quantifié, un programme de financement global accompagné de lignes bancaires et un bilan solide avec des réserves de liquidité. Les gagnantes de cette crise seront les entreprises en bonne santé financière, générant du cash, et celles qui bénéficient de la situation actuelle, les « Covid stocks ». Ce sont des entreprises dans des secteurs portés par la crise sanitaire : les pharmacies en ligne, les livraisons alimentaires, les laboratoires d’analyse ou de biotech qui travaillent sur les vaccins, les plateformes de vidéos en ligne ou de jeux-vidéos. Par ailleurs, les sociétés aux bilans solides, générant du cash et disposant de réserves devraient s’en sortir également. Elles pourront faire appel au marché pour pallier une baisse de trésorerie temporaire.

"Les marchés n’ont pas encore intégré la possibilité d’un scénario catastrophe aux États-Unis"

Comment retrouver une stabilité sur les marchés ?

Les investisseurs attendent trois choses. Ils surveillent l’évolution de la pandémie dans les zones les plus touchées comme l’Espagne ou l’Italie. Le ralentissement de la contamination constituera un premier bon signal. Deuxièmement, ils souhaitent de la visibilité sur la durée des confinements. Une fois que les avions, cloués au sol aujourd’hui, vont pouvoir repartir et que l’activité commencera à redémarrer, les marchés seront plus calmes. Enfin, la grosse inconnue reste la situation outre-Atlantique. Les marchés n’ont pas encore intégré la possibilité d’un scénario catastrophe aux États-Unis, qui risqueraient pourtant d’être plus touchés que l’Italie ou la Chine. Quand l’Amérique éternue, c’est l’Europe qui s’enrhume.

Berenberg a mené à bien l’introduction de Nacon sur Euronext Paris dans un contexte chahuté…

Nous sommes intervenus dans l’IPO de Nacon, filiale de BigBen Interactive spécialisée dans les périphériques gamings, en qualité de co-coordinateur global. Le book building s’est fait dans un marché en baisse, avec une volatilité exacerbée. Les livres ont été 4 fois sursouscrits avec un prix fixé dans la moitié supérieure de la fourchette malgré la clôture à la fin de la pire semaine pour le monde marchés boursiers depuis la crise financière mondiale de 2008. Berenberg a tenu plus de 150 réunions d'investisseurs, générant 56 % de la demande totale et 78 % de la demande exclusive, avec une majorité de souscriptions internationales. Notre équipe dédiée aux jeux-vidéos a su convaincre des investisseurs de renommée internationale de la qualité du titre et le book final compte plus de 100 lignes, un record pour une société mid-cap.

Votre développement en France est-il remis en cause par la situation actuelle ?

Bien au contraire, Berenberg est d’autant plus engagé en France. Nous avons réalisé notre première IPO en 2019 en France avec Boostheat et il y a une place à prendre sur le marché français, car il y aura toujours des belles sociétés à introduire en Bourse. Nous transformons des sociétés franco-françaises en sociétés européennes, grâce à notre accès aux investisseurs internationaux. Nous créons une équipe ECM à Paris, qui compte aujourd’hui six vendeurs et trois traders. Nous couvrons déjà une bonne partie des sociétés entre 100 millions et 10 milliards d’euros de valorisation en equity research et voulons doubler le nombre de valeurs que nous suivons sur le marché français dans les douze prochains mois.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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