Fabrice Bonnifet est président du Collège des directeurs de développement durable (C3D). Il appelle de ses vœux un bouleversement radical des modèles d’affaires des entreprises… avant qu’il ne soit trop tard.

Décideurs. Vous fustigez les fausses croyances des entreprises sur la RSE. Quelles sont-elles ?

J’en citerais deux. Premièrement, mieux compter les émissions de gaz à effet de serre (GES) de son empreinte carbone n’a jamais évité d’envoyer un gramme de CO2 dans l’atmosphère. Quand on est en surpoids et qu'on le sait, a-t-on besoin d'une balance plus précise, ou d'un changement de mode de vie ? Il est urgent que le reporting extra-financier devienne un levier pour l’amélioration au regard des véritables enjeux et non une incarnation de ce que la bureaucratie peut produire de plus inefficace. Il est temps de passer à un reporting d’impact. Deuxièmement : la "croissance verte" est une aberration. Il n’est pas possible de découpler en absolu la création de richesse de son impact environnemental. Les entreprises qui continuent à croire dans ce mythe se trompent de cible.

Les entreprises ont-elles justement pris la mesure des enjeux ?

La prise de conscience est réelle, dans tous les comex ou presque. En revanche on commence à devoir gérer les injonctions contradictoires. Il va être difficile de diminuer les externalités négatives tout en maintenant les mêmes ratios financiers quand les premières sont précisément la condition des seconds. Si l’on veut continuer de créer de la valeur économique et durer, il va falloir accepter de se resynchroniser au vivant et de prendre en compte les limites planétaires dans son modèle d’affaire. Le modèle linéaire qui consiste à extraire, fabriquer, jeter n’est pas soutenable. Nous devons mettre en œuvre une approche permacirculaire. Il s’agit d’un modèle fondé sur l’intensité d’usage des produits et de solutions éco-conçues pour durer, dans une logique de réemploi. L’équation est la suivante : moins de produits donc moins de pressions sur les ressources naturelles et moins d’énergie pour in fine un même service rendu, mais dans une logique de partage entre utilisateurs. Dans bien des domaines, c’est juste le bon sens qu’il s’agit de réinventer. 

Quels sont les leviers pour accélérer cette transition du modèle économique de l’entreprise ?

En théorie, le régulateur peut beaucoup, à condition de faire preuve de courage et de discernement. Hélas, du fait des lobbies à courte vue, il se contente la plupart du temps de jouer le rôle de "voiture balais du système". En revanche, les entreprises commencent à sentir concrètement la réalité de leur vulnérabilité et les citoyens comprennent qu’ils peuvent agir au quotidien avec leur carte bleue. J’y vois deux leviers puissants. Manger moins de viande, ne plus prendre l’avion, se calmer sur l’hyperconsommation n’est pas une punition mais de la prévention responsable. Il n’y a pas de liberté sans responsabilité. Il faut se débarrasser de cette croyance aveugle dans le marché. Mais je sais bien, comme disait Einstein, qu’il est plus facile de briser un atome qu’un préjugé.

Vous insistez aussi beaucoup sur la formation et l’éducation…

C’est une brique essentielle. On apprend encore à nos étudiants en sciences économiques et sociales des modèles d’affaires écocides. Ce n’est plus possible. Au C3D, nous prenons notre part de cet effort pour une meilleure formation des salariés et des étudiants. Nous avons lancé cette année un Mooc reprenant le socle de connaissances scientifiques de base que chacun devrait posséder. C’est la clé de tout. Regardez la Convention citoyenne pour le climat : ils ont commencé par se former, avant d’émettre des propositions qui sont finalement allées bien au-delà de ce que certains écologistes les plus extrêmes auraient osé demander. Celui qui a un "pourquoi" qui le fait vivre est en mesure d’accepter tous les "comment".

Propos recueillis par Antoine Morlighem

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