Fin mars-début avril, alors que la crise du coronavirus commençait à toucher de plein fouet le Vieux Continent, les critiques fusaient quant à la capacité de Bruxelles à coordonner des solidarités sanitaires entre les États membres. Sur le front économique, les écarts se creusaient entre les pays partisans de la rigueur budgétaire et les défenseurs d’une plus grande coopération économique. Finalement, la volonté de la présidente de la Commission, de la France puis de l’Allemagne auront permis de faire bouger les lignes. Le temps est désormais à plus de flexibilité financière, un plan de relance massif est en cours de discussion et l’UE lance une grande réforme commerciale. De quoi retrouver le chemin de la souveraineté, tant attendue par les peuples.

La fin justifie les moyens et, en temps de crise, les règles qui paraissaient gravées dans le marbre volent parfois en éclats. Qui aurait cru en janvier dernier que la Commission européenne desserrerait la vis des déficits budgétaires qu’elle a mis tant d’années à faire accepter et respecter par certains pays ? Et ce, afin de leur octroyer davantage de marges de manœuvre financières. Qui aurait cru que les règles encadrant les aides d’États seraient assouplies pour toucher un nombre très important de secteurs et permettre aux États de se monter plus interventionnistes ? Ces évolutions d’urgence répondent à un besoin de flexibilité et de pragmatisme qui donnent de l’air à l’économie du Vieux Continent.

Mais Bruxelles souhaite aller au-delà et réfléchit à des changements sur le plus long terme. Car, si l’Europe multiplie les initiatives à cause de la crise du coronavirus et des défaillances que celle-ci a mises à jour, elle doit aussi se réformer pour tenir compte des tendances majeures qui ne sont pas nouvelles, que ce soit en se montrant ferme vis-à-vis d’une Chine toujours plus agressive sur le plan concurrentiel ou de l’unilatéralisme américain exacerbé sous la présidence de Donald Trump. Pour, ainsi, retrouver sa souveraineté.

Un livre blanc

Parmi les mesures notables prises par Bruxelles : l’adoption mi-juin d’un livre blanc, ouvert à la consultation jusqu’au 23 septembre, sur les effets de distorsion causés par les subventions étrangères au sein du marché unique. Il s’agit pour l’exécutif de garantir que celles-ci ne pervertissent notre marché. "L'UE figure parmi les économies les plus ouvertes du monde, ce qui attire des niveaux d'investissement élevés de la part de nos partenaires commerciaux, note Phil Hogan, commissaire chargé du commerce. Toutefois, notre ouverture est de plus en plus remise en question par des pratiques commerciales étrangères, y compris les subventions, qui faussent les conditions de concurrence équitables pour les entreprises de l'UE."

"Notre ouverture est de plus en plus remise en question par des pratiques commerciales étrangères"

Ce livre blanc vise notamment à combler un vide réglementaire qui permet à des pays tiers d’octroyer des subventions étrangères parfois sources de distorsions. Par exemple, lorsque ces subventions prennent la forme de flux financiers simplifiant l'acquisition d'entreprises de l'UE ou lorsqu'elles soutiennent directement l'activité d'une société. Plusieurs approches sont proposées afin de pallier cette situation. Il est ainsi proposé que les entreprises bénéficiant d'un soutien financier de la part d'autorités de pays tiers notifient leurs acquisitions d'entreprises de l'UE, au-delà d'un certain seuil, à l'autorité de surveillance compétente. Ces évolutions sont un vrai changement de paradigme pour la Commission, qui jusque-là ne semblait pas prendre la mesure du niveau de concurrence déloyale que pouvaient subir certains pans de son économie.

La consultation

Outre cette petite révolution, la même semaine, Bruxelles donnait le coup d’envoi à la révision de sa politique commerciale à travers une consultation destinée aux différentes parties prenantes (États membres, Parlement, société civile, etc.), dont les résultats seront présentés vers la fin de l’année. "Une Union européenne forte a besoin d'une politique commerciale et d'investissement solide pour soutenir la relance économique, créer des emplois de qualité, protéger les entreprises européennes contre les pratiques déloyales dans l'Union et en dehors de celle-ci, et assurer la cohérence avec les priorités plus larges dans les domaines de la durabilité, du changement climatique, de l'économie numérique et de la sécurité."

La consultation met l’accent sur des sujets de fond comme la réforme de l’Organisation mondiale du commerce ou la protection des entreprises et des populations de l’Union. Ceux-ci devraient engendrer de nombreux débats, d’où le calendrier de plusieurs mois. Néanmoins, l’Europe n’a plus d’autres choix que de se montrer forte et protectrice, elle qui subit depuis plusieurs années la montée des nationalismes.

Plan de relance

C’est notamment ce constat qui a permis à l’Union européenne de présenter fin mai un plan de relance très ambitieux de 750 milliards d’euros dont le remboursement en capital se ferait collectivement dès 2028. Avec pour objectif de sauver l’économie mais aussi de s’inscrire sur le plus long terme, les mots "écologie" et "numérique" ponctuant le discours des dirigeants européens. Les États qui, pour certains, étaient fermement opposés à la mutualisation des aides il y a quelques semaines encore, doivent maintenant discuter des modalités du plan mais les montants devraient être proches du chiffre annoncé et un accord est attendu dès cet été. Les débats portent sur la répartition entre prêts et subventions, sur le calendrier des dépenses, les clés d’allocation et la gouvernance. Entre cette enveloppe sans précédent et le lancement de réformes fondamentales, l’Europe, que l’on croyait aux abonnés absents au début de la crise, se montre bien plus ou unie qu’auparavant et se donne ainsi les moyens de peser dans le monde d’après.

Olivia Vignaud

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024