Le rachat d'Idinvest Partners, spécialiste du capital-innovation et de la dette privée, par le géant coté Eurazeo est sans nul doute le plus gros mouvement de consolidation que le marché du private equity français a connu ces dernières années. S'il traduit la volonté des investisseurs de créer des plates-formes globales (métiers et implantations géographiques) au profit de leurs partenaires institutionnels, le rapprochement Eurazeo-Idinvest défend aussi le modèle hybride de capital permanent rattaché à la gestion pour compte de tiers.

 

Tout est allé très vite entre les deux tourtereaux Eurazeo et Idinvest. Entrés en période de négociations exclusives fin décembre 2017, ils n'ont mis qu'un peu plus d'un mois pour se mettre d'accord sur les détails de leur rapprochement et donner naissance à une société de gestion de plus de 16 milliards d'euros d'actifs. Dirigé depuis peu par Virginie Morgon, le géant coté Eurazeo a d'abord dû obtenir l'accord de l'IDI, propriétaire de 51 % du capital de la cible depuis 2010. Sur la base d'une valeur d'entreprise de 310 millions d'euros, le fonds d'accompagnement des PME tricolores a cédé l'intégralité de ses actions et réussi un joli coup financier : en sept ans, il a réalisé un TRI de 90 % et multiplié par 10 son investissement initial. De son côté, le management d'Idinvest Partners, emmené par Christophe Bavière et Benoist Grossmann, a accepté de réduire sa participation de 19 %. S'il conserve encore 30 % du spécialiste du capital-innovation et de la dette privée, Eurazeo envisage de monter à 100 % dans les prochaines années. Outre le prix, Idinvest aurait été séduit par les garanties d'autonomie offertes par son nouveau propriétaire, alors qu'Amundi ou Natixis, également à l'affût, souhaitaient davantage de contrôle sur Idinvest. La rapidité avec laquelle Eurazeo, émanation de Lazard où la famille David-Weill demeure le premier actionnaire, a conclu l'affaire s'explique aussi par la menace Tikehau. Le jeune – mais déjà très puissant – fonds alternatif a en effet tenté de s'emparer du quart du capital de son aîné Eurazeo, fort de plus de 130 ans de réussite.

Idinvest aurait été séduit par les garanties d'autonomie offertes

Virginie Morgon a confié que le rachat d'Idinvest ne constituait pas une riposte mais on ne peut s'empêcher de penser, qu'en doublant de taille, Eurazeo se renforce contre toute approche hostile. La société est désormais soutenue par JCDecaux à son capital, un partenaire de long terme qui partage l'ADN entrepreneurial de l'investisseur et son credo d'indépendance.

Chantre du « capitalisme patient » européen  

Ensemble, Eurazeo et Idinvest veulent devenir le leader européen de l'investissement en capital (et un peu moins en dette) dans les entreprises de taille moyenne. Pour ce faire, la plate-forme revendique un positionnement unique au carrefour du private equity classique – lever des fonds à durée déterminée – et de l'investissement sur son bilan. Selon Virginie Morgon, cette formule va donner à Eurazeo « une liberté de temps créatrice de capitalisme patient ». Concrètement, la société cotée va pouvoir soutenir plus longtemps ses participations et augmenter son exposition si nécessaire. « Eurazeo accompagne les entreprises pendant six ou sept ans en moyenne pendant que les fonds doivent souvent matérialiser les fruits de leurs investissements au bout de quatre ans en prévision des prochains fundraising, et parfois vendre les plus beaux actifs », ajoute l'ancienne banquière d'affaires passée chez Lazard. Si Eurazeo avait été un fonds, Moncler aurait déjà été vendu intégralement ! Le fabricant de doudounes demeure l'un des plus grands succès de la firme avec une plus-value d'environ 1,5 milliard d'euros... Pour autant, les levées de fonds ne sont pas mises de côté. Au contraire, Eurazeo envisage d'augmenter la part de la gestion pour compte de tiers (un peu moins de 50 % aujourd'hui) pour atteindre une dizaine de milliards d'euros dans les cinq ans.

Si Eurazeo avait été un fonds, Moncler aurait déjà été vendu intégralement.

Virginie Morgon veut aussi jouer de la différenciation sur ses différents marchés et territoires : le groupe est aujourd'hui l'un des seuls acteurs du mid-market européen à pouvoir financer des groupes en Amérique du Nord, du Sud et en Chine. Et n'est pas sans nous rappeler la plate-forme globale d'investissement Ardian.

Plus gros, plus beau?

À la différence d'Ardian, Eurazeo est non seulement cotée en Bourse et compte près de cinq fois moins d'actifs que sa consoeur. Pourtant, la stratégie des deux gérants français tend à se confondre. Si l'on exclut les activités d'Ardian dans le fonds de fonds, l'infrastructure et les LBO de grande ampleur, le groupe de Dominique Senequier navigue sur les mêmes eaux qu'Eurazeo. Co-investissements, smid-market, patrimoine, capital-développement, capital-innovation... Et cela, plus ou moins, dans les mêmes régions du monde.

La stratégie d'Ardian et d'Eurazeo tend à se confondre.

L'objectif de l'un et de l'autre est évidemment de séduire davantage de LPs en leur proposant une plus grande variété de produits et un risque nettement dispersé. Ils ont donc tous deux fait le choix de la plate-forme globale au détriment de la spécialisation, l'autre grande tendance du private equity. Cela justifie pleinement l'investissement de 100 millions de dollars d'Eurazeo dans Rhône Capital, le fonds généraliste anglo-saxon (5 milliards d'euros d'actifs), contre 30 % de son capital. Jusqu'ici, le marché répond favorablement à la globalisation d'Eurazeo, le cours de l'action ayant gagné 15 points depuis un an, même si l'acquisition d'Idinvest a été légèrement sanctionnée. Le succès des prochains fundraisings devrait apporter un premier élément de réponse quant à la pertinence du modèle Eurazeo.

 

@ Firmin Sylla                  

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