Nombreux propos d’Éric Zemmour suscitent, sciemment ou non, la polémique. Si la sortie sur les élèves handicapés a été abondamment commentée ce week-end, une autre interpelle et en dit beaucoup sur le candidat de Reconquête.

Jeudi 13 janvier, Éric Zemmour était l’invité de Caroline Roux dans l’émission les Quatre Vérité sur France 2. Alors que le candidat à l’élection présidentielle défend l’apprentissage du grec ancien et du latin à l’école, la journaliste lui a demandé s’il fallait également que les enfants apprennent des langages informatiques comme Python, Php ou encore Javascript. Éric Zemmour, qui ne savait pas ce que signifiaient ces mots, a répondu que l’apprentissage de ces langues n’était pas nécessaire.

Cette récente polémique a vu s’opposer les tenants de l’apprentissage à l’école du latin et du grec ancien à ceux de l’apprentissage du langage informatique, Python. Cette querelle ressemble beaucoup à celle des Anciens et des Modernes des siècles passés, donnant l’illusion que les uns sont les gardiens du passé, tandis que les autres sont les détenteurs de l’avenir. Le grec ancien ou Python ? Mais cette question est absurde ! Elle laisse entendre une forme d’exclusion : c’est le grec ancien OU Python !  Là encore, la réponse est dans l’hybridation ! Ce n’est pas ou le grec ou Python, mais Et le grec ET Python !

Ce n'est pas le grec ancien ou Pyhton, mais le grec ancien ET Python. Vive l'hybridation !

Les vertus du grec ancien…

Il ne s’agit pas pour les enfants de lire et écrire parfaitement le grec ancien ni de devenir des développeurs informatiques chevronnés, il s’agit pour eux d’une part de comprendre une langue ancienne et le monde enfoui auquel elle appartenait, avec sa culture, sa délicatesse, son histoire, sa construction, sa structure, sa grammaire, son orthographe, ses échos, ses auteurs, ses formules, sa vision du monde. Se plonger dans le grec ancien, c’est aussi mieux comprendre notre monde actuel. Jacqueline de Romilly expliquait que : "de la langue grecque, il faut dire qu’elle est magnifique, mais que l’on ne peut pas immédiatement en comprendre les merveilles. Son apprentissage oblige à lire lentement, à ne pas deviner, à voir comment les éléments se combinent et, par conséquent, à faire marcher son intelligence au lieu de ses automatismes. Quant à la connaissance de la Grèce antique, elle est indispensable puisque cette culture est le début de la nôtre. Songez que tout a été inventé à Athènes au Ve siècle avant notre ère ! La démocratie, la philosophie, l’histoire, tous les grands genres littéraires, les valeurs qui comptent encore aujourd’hui pour nous, depuis la douceur jusqu’à la justice…

La connaissance du grec ancien et du latin crée une complicité avec le langage et cultive une belle connivence avec les mots, puisque l’on connaît leur étymologie. Ces langues anciennes nous racontent l’histoire des mots et nous inclinent à faire un choix en connaissance de cause lorsque nous nous exprimons.

… Et celles de Python

D’autre part, et d’une anière différente, Python et d’autres langages informatiques nous disent beaucoup de notre monde actuel, de sa structure, de notre rapport à la réalité, de notre capacité à accueillir l’imprévisible, de notre besoin de légiférer, de trier, de classer, de ranger, de programmer. Le langage informatique, dans la manière dont il informe la réalité, est plus qu’un langage. Il est une vision du monde, un système philosophique, et ce que l’on appelle en épistémologie, une théorie de la connaissance du monde. Ne pas connaître ce langage, ne pas comprendre sa mécanique, est un manque important dans une société où les technologies qui nous entourent se démultiplient. De la même manière que dans l’Antiquité grecque, le logos a été inventé pour structurer notre connaissance de l’univers, il est essentiel de continuer à savoir comment fonctionnent les machines avec lesquelles nous cohabitons.

Nous avons besoin ET du grec et du latin ET de Python et des autres langages informatiques, même si la nature et le degré de ces besoins sont différents. Tout est intéressant ; rien ne mérite d’être méprisé. Le vrai combat aujourd’hui n’est pas dans la polémique stérile d’un choix d’apprentissage, mais dans la possibilité pour tous les enfants, sans exception, d’avoir accès à toutes ses langues.

Gabrielle Halpern

Gabrielle Halpern est auteure Tous Centaure ! Éloge de l’hybridation, Le Pommier, 176 pages, 17 euros. La philosophe a profité du premier confinement pour apprendre à coder. Retrouvez son interview dans Décideurs Magazine : "L'hybridation représente une stratégie de survie"

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