Historiquement connu pour son expertise dans les domaines maritimes et d’assurances, Clyde & Co est aujourd’hui un acteur important sur le continent africain. Éric Diamantis, associé, détaille ici le mode opératoire de la practice Afrique et livre sa vision globale du marché.

Décideurs. Comment décririez-vous votre pratique actuelle en Afrique ?

Éric Diamantis. Importante et diversifiée, tant au niveau des secteurs que de leur localisation. Parmi nos dossiers, il y a notamment un port au Togo où le financement et la construction sont déjà en phase très avancée, une centrale solaire au Nigeria qui sera le premier projet solaire dans ce pays. Nous menons également d’autres projets solaires au Kenya et en Côte d’Ivoire. Concernant le mining, nous suivons l’acquisition de mines au Sénégal. Nous défendons la Mauritanie dans le secteur minier ainsi qu’un autre État africain dans le secteur de l’agroalimentaire pour une raffinerie de sucre. En Algérie, au Niger et au Gabon, nous sommes également actifs dans le secteur pétrolier.

Quelles tendances les plus saillantes observez-vous sur l’ensemble du continent ?

Depuis environ quatre ans, l’Afrique est résolument entrée dans une phase ascendante et extrêmement dynamique. Il y a énormément de dossiers à traiter. Cela ne veut pas dire que tous les projets se feront mais il y a un besoin évident de relever le niveau des infrastructures et une volonté des gouvernements en ce sens avec des financements multilatéraux. Les projets sont ainsi concentrés sur les infrastructures, essentiellement dans l’énergie. Le solaire tire la dynamique vers le haut. Hormis le Maroc, qui fait figure d’exception, par son organisation et sa stratégie, la plupart des autres pays souffre encore d’un certain manque de coordination et l’efficience des productions africaines reste à valider. L’Oil & Gas est un peu en stand by pour des raisons évidentes dues au prix du baril. Mais l’on observe aujourd’hui des acteurs plus petits reprenant des actifs pour développer eux-mêmes à moindre coût. Un second marché émerge, ou du moins commence à se structurer. Il y a aussi quelques projets ferroviaires mais ils mettront du temps à se réaliser.

Clyde était historiquement connu pour être un cabinet maritime et d’assurances. Quels ont été les points d’entrée sur les secteurs projets et construction ?

Toute l’activité offshore a conduit Clyde & Co à investir progressivement l’énergie et les infrastructures portuaires. L’acquisition de TBWA a également été déterminante. Par ailleurs, les bureaux internationaux avaient évolué et il était nécessaire que Paris s’élève à leur niveau. En mars 2015, nous sommes quatre à être venus de chez Watson, Farley & Williams pour apporter cette activité complémentaire projets et construction. À mes côtés, Pierre Ferroud, spécialiste en M&A et private equity, Julien Barba, spécialiste regulatory et contrats de projets dans les secteurs de l’énergie renouvelable, et des infrastructures, et Jemal Taleb, juriste et praticien du droit international qui dispose également d’une grande expérience de l’Afrique puisqu’il a été haut fonctionnaire en Mauritanie. Carole Arribes a intégré Clyde avec nous. D’abord chez Hogan Lovells en 1994 puis Winston & Strawn en 2008, elle est spécialiste du droit des affaires et intervient dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures. Elle est également membre de l’Association technique énergie environnement (ATEE) et du Syndicat des énergies renouvelables. Aujourd’hui, au sein de l’équipe projet, nous sommes sept, avec les professionnels dédiés.

Quelle est la signature du bureau de Paris ? Collaborez-vous et si oui, comment, avec les autres bureaux ?

Toute la practice Afrique compte internationalement une vingtaine d’associés, et une soixante de personnes en incluant les collaborateurs. La synergie fonctionne bien entre nous. L’équipe parisienne collabore de manière rapprochée avec le bureau de Londres, au Kenya et également en Tanzanie ou encore avec notre bureau de Dubaï. L’expertise solaire de Paris s’allie par exemple à l’expertise de financement de Londres pour le dossier kenyan.

L’ancrage en Afrique est déterminant pour nos modes opératoires car nous y avons plusieurs bureaux, au Cap, à Johannesburg, en Tanzanie, à Tripoli, et y avons également construit depuis des années un réseau solide de partenaires locaux. Pour la Tanzanie, c’est l’opportunité d’un dossier qui a conduit à ouvrir un bureau, qui est aujourd’hui le plus important du continent, et certainement le plus incontournable. Le développement en Afrique du Sud est plus récent et date de moins de deux ans. Nous avons eu une opportunité dans le secteur des assurances –  le domaine qui reste le « driver » de Clyde – et ensuite nous nous sommes développés en passant à la construction et à l’arbitrage.

Avez-vous des perspectives de développement d’autres bureaux ?

Nos clients n’hésitent pas à nous envoyer dans des secteurs à risque, comme à Tripoli. En Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, il y aurait des possibilités. Nous sommes attentifs à la structuration des réseaux de nos partenaires pour des collaborations approfondies.

Quelle vision avez-vous des projets miniers aujourd’hui ?

Les codes miniers ont récemment changé mais ne sont pas encore toujours très efficaces. Les décrets d’application ne sont pas extrêmement clairs et produisent des sources possibles de contentieux. Il y a encore un travail d’amélioration de l’environnement juridique à mener. Pour les mêmes raisons que le pétrole, ce secteur est aujourd’hui moins actif. Néanmoins, on observe cependant quelques deals très intéressants (nous travaillons par exemple sur l’achat d’une mine de phosphate au Sénégal) et beaucoup de contentieux.

Les projets miniers nécessitent une vision globale, pas seulement juridique. Il est nécessaire d’entretenir des réseaux d’influence, qu’il s’agisse d’autorités gouvernementales, d’entrepreneurs locaux ou d’acteurs économiques privés. Ce sont l’ensemble de ces relais qui font avancer les projets.

Comment soutenir à votre niveau le développement des infrastructures africaines ? Comment sécuriser les financements ?

Il y a une différence sensible entre la pratique en Afrique et en France. En France, il s’agit de connaître de manière exhaustive les secteurs avec leur complexité de réglementations. En Afrique (et notamment en Afrique francophone), le cadre juridique est souvent plus épars, incomplet. Il y a donc tout un accompagnement à faire, tant à l’échelle des clients qu’à l’échelle de la réglementation, ce qui est très intéressant. Nous nous employons à améliorer le cadre juridique. En exemple, pour un projet de port au Togo, le cadre n’était pas suffisamment protecteur. Nous sommes parvenus à faire passer un régime ad hoc pour la concession.

En ce qui concerne les financements, l’implication locale peut aider. La participation de l’État ou d’opé- rateurs privés locaux est un facteur important. Les outils de garantie financière structurés par le système d’assurances sont fondamentaux. Pour couvrir le risque de change, la solution la plus naturelle est d’avoir une solution de change local. Nous n’y sommes pas encore. Pour cela, il faut créer un environnement réglementaire et fiscal qui favorise l’épargne locale. Nous y œuvrons.

Vous travaillez également avec les pays de l’Est, notamment en Russie, en Pologne et en Yougoslavie. Y a-t-il des convergences et/ou des comparaisons à établir entre ces deux régions géographiques ? 

Les contextes sont vraiment très différents même si leur point commun est d’avoir des ressources naturelles importantes. Ce sont cependant deux régions (avec des différences significatives d’un État à l’autre) où le pouvoir politique joue un rôle important, voire prédominant. Le marché n’est pas détaché des relations personnelles. La confiance et l’appréciation comptent. Cela impacte nécessairement notre pratique et nos modes de collaboration. Ce sont aussi deux ré- gions qu’il faut vraiment connaître culturellement pour y exercer efficacement. Il y a aussi un effort de pédagogie à faire. En exemple, quand nous avons travaillé à l’implantation de la Société générale en Macédoine, il y a fallu passer par toute une phase d’explications aux autorités de marché. Que l’on conseille un État ou une personne privée, mieux vaut avoir un partenaire qui soit à même de comprendre et de négocier. Cela vaut aussi dans les zones sinistrées par des conflits, où nous sommes sollicités, par exemple en Irak où nous avons travaillé sur les infrastructures portuaires.

Les grands projets ne se font pas sans affecter le tissu local qui peut s’en plaindre. Comment aligner les intérêts et dépasser les résistances ?

Le local content est devenu important. Les états insistent désormais pour qu’une part des bénéfices des projets mis en place « reviennent » à la population d’une manière ou d’une autre. Pour aligner les intérêts, il s’agit de s’impliquer en amont. Les investisseurs doivent mener un travail de prospective qui doit les amener à identifier ce qui serait pertinent, créer une école, faire des partenariats avec des écoles déjà en place, etc.

Vous êtes par ailleurs vice-président de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed) et aussi président du fonds de dotation de la Fondation verticale internationale créé en 2016. Quels en sont les objectifs ?

L’Ipemed, créée en 2006, et la Verticale sont complémentaires. L’Ipemed s’est donnée pour mission de rapprocher, par l’économie, les pays des deux rives de la Méditerranée et d’ainsi œuvrer à la prise de conscience d’un avenir commun et d’une convergence d’intérêts entre les pays du Nord et du Sud.

La toute récente Verticale est née du constat que l’Afrique ne dispose d’aucun outil pour se penser en tant que région économique. Les investissements européens n’y représentent d’ailleurs que 4 %. Or, l’Afrique est le nouvel espace émergent du XXIe  siècle. La vocation de la Verticale est d’établir un cadre de réflexion structuré, organisé de manière sectorielle notamment pour l’eau, l’énergie et l’agriculture. L’idée est ainsi d’organiser le partage d’expériences avec des rencontres, des discussions et de faire émerger une « parole » commune pour l’ensemble des entrepreneurs de cette grande ré- gion. Sa vocation est de construire une vision de la région et de son devenir, de ne pas accepter la fatalité des scénarios tendanciels. L’objectif est de faire naître des collaborations sur le long terme en passant pour cela d’un esprit de conquête à un esprit de partage, et en ayant l’intelligence de faire appel aux compétences locales.

 

Propos recueillis par Laetitia Sellam 

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