« Les pouvoirs publics reconnaissent de plus en plus les lobbyistes comme des professionnels qui apportent une expertise et une plus-value dans le processus décisionnel »
Décideurs. Vous avez présidé jusqu’en juillet l’Association française des conseils en lobbying (AFCL). Quel est le rôle de cette association ?

Capucine Fandre. J’ai été présidente de l’AFCL ces deux dernières années. Mon mandat est arrivé à expiration début juillet, et j’ai laissé la présidence à Pascal Tallon, car je trouve très important dans une association de professionnels de prévoir des rotations régulières. Je suis désormais vice-présidente de l’AFCL.
L’AFCL est une association qui fédère et regroupe les conseils en affaires publiques. Elle a une mission de représentation et de défense de notre métier auprès organisations représentatives (Assemblée nationale, Sénat, gouvernement et autres associations professionnelles). L’AFCL a été fondée il y a vingt ans à partir d’un travail de déontologie très important pour notre exercice professionnel. Depuis un an, la charte de déontologie a été toilettée afin de la faire évoluer en lien avec tous les débats sur les conflits d’intérêt.

Décideurs. Le lobbying français est parfois défini comme « discret, obscur et souterrain ». Que répondez-vous ?

C. P. Le lobbying ou conseil en affaires publiques est exercé par des professionnels très qualifiés : il est loin le temps où les lobbyistes étaient essentiellement des cœurs de réseaux. Notre métier est aujourd’hui très normé et correspond à des missions précises : argumentaires, conseil, cartographies, interventions législatives…
Les conseils en affaires publiques sont des acteurs du dialogue. Dans une grande part de nos missions, nous rapprochons des positions entre des décideurs publics et privés. Nos interlocuteurs publics sont des parlementaires, des membres de cabinets ministériels et de l’administration, des élus locaux mais également des ONG, des think-tanks et autres associations de consommateurs.
Aujourd’hui, les missions d’affaires publiques ont une parfaite légitimité et peuvent participer à la création de valeur pour une entreprise ou une organisation.
À ce titre, Séance publique, société de conseil en affaires publiques que je préside, conseille et accompagne des entreprises dans la construction d’un « lobbying responsable ». Nous nous appuyons sur une réflexion collective que nous pilotons depuis plus de deux ans, et qui aboutit à la définition d’un référentiel du lobbying responsable. Par cette démarche, nous encadrons les missions que nous menons à partir des exigences de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Décideurs. Comment expliquez-vous le retard de la France en matière de lobbying ?

C. P. Contrairement à la culture anglo-saxonne, les pratiques du lobbying en France ont mis plus de temps à éclore. Mais aujourd’hui, la France rattrape son retard et accorde de plus en plus une juste place au débat public/privé dans le processus décisionnel. Le métier se professionnalise et les pouvoirs publics reconnaissent ces spécialistes des affaires publiques comme des interlocuteurs privilégiés. En témoignent les initiatives du Sénat et de l’Assemblée nationale qui ont mis en place l’année dernière des procédures d’enregistrement des représentants d’intérêts et légitiment ainsi notre rôle dans le débat public.

Décideurs. Des lobbys comme le Medef, UFC-Que choisir ou Attac sont connus du grand public et fortement médiatisés. Comment justifier la discrétion des lobbyistes spécialisés en affaires publiques ou des groupes interprofessionnels ?

C. P.
Nous ne sommes pas discrets car nos missions sont claires et transparentes. Cependant, nous ne sommes pas les porte-parole de nos clients. Ces derniers peuvent être ceux que vous citez ou d’autres : notre rôle est de faire entendre leurs positions et leurs revendications plutôt que de nous faire connaître nous-mêmes.

Décideurs. Comment ressentez-vous le regard des pouvoirs publics sur votre profession ?

C. P. Je crois que les pouvoirs publics reconnaissent de plus en plus les lobbyistes ou conseils en affaires publiques comme des professionnels qui apportent une expertise et une plus-value dans le processus décisionnel. Aujourd’hui, des formations et des cursus se développent pour former des spécialistes en affaires publiques. L’accompagnement des pouvoirs publics au développement d’un dialogue public/privé constitue véritablement un enjeu démocratique. On peut améliorer encore le mode et le processus de dialogue à tous les niveaux de la décision publique, et nous essayons d’y contribuer.

Décideurs. La notion de conflit d’intérêt n’est pas encore formalisée en France. Quelles sont les possibilités pour y remédier ?

C. P. En tant que membre de l’AFCL, j’ai signé la charte de déontologie professionnelle encadrant notre profession et qui vise notamment à prévenir les conflits d’intérêt.
Chez Séance publique, nous nous engageons à ne pas accepter des missions sur un même sujet entre des intérêts publics et privés. Dans le même ordre d’idée, nous refusons de travailler pour des hommes politiques ou cabinets ministériels afin de ne pas être en conflit avec tous les sujets que nous défendons pour nos clients.
De façon concrète, nous nous refusons d’avoir des liens financiers avec les élus, d’embaucher un élu, de faire travailler un collaborateur parlementaire ou membre de cabinet ministériel, etc.


Décideurs.
Quels leviers de performance identifiez-vous pour les affaires publiques des entreprises ?

C. P. Il existe quatre leviers principaux : le premier consiste à traduire les enjeux de l’entreprise en termes de débats publics pouvant avoir un lien avec les problématiques sociétales, en instillant une culture politique en interne et en formant les équipes en les montant en compétence sur l’aspect proprement « affaires publiques ».

Ensuite, il faut rechercher le lien entre les positions des affaires publiques et les objectifs stratégiques de l’entreprise afin d’avoir une action le plus en amont possible et dans le cadre de démarches projet. Pour ce faire, trois outils sont nécessaires : le traitement des dossiers sur une vision de long terme, le rattachement de la gestion des affaires publiques à la stratégie globale d’entreprise (via la maîtrise de la cohérence du positionnement en lien avec la stratégie) et une logique de capitalisation.

Le troisième levier réside dans la construction d’une professionnalisation de la démarche, avec des outils et procédures facilitant le lien interne avec les autres directions. Ce levier s’articule autour du partage de la vision des missions d’affaires publiques, l’exploitation d’outils de coordination, l’alimentation des services fonctionnels et l’organisation du processus de l’information pour son utilisation, des interactions continues, la formalisation des démarches, la mise en place de procédures, de systèmes d’informations CRM et ERP avec une approche évaluation et des indicateurs de suivi et, pour finir, une communication interne sur les dossiers d’affaires publiques.

Enfin, il est nécessaire d’assurer une traçabilité de la mission et de l’encadrer dans une charte de déontologie. Ainsi, ces directions affaires publiques pourront se développer dans les entreprises de toutes tailles qui éprouvent le besoin de construire des liens avec l’État et les différents décideurs publics.


Décideurs. Quels sont les grands défis à venir pour votre profession ?
C. P. À court terme, je dirais que la vie politique française s’installe dans le temps du débat et du dialogue. C’est notre rôle de favoriser dans cette période l’écoute de la société civile. Notre défi, dans les mois à venir notamment, sera d’accompagner nos clients dans le dialogue avec les pouvoirs publics autour de leurs enjeux, de formuler des propositions et d’organiser des rencontres constructives avec ceux qui demain seront les acteurs de la décision publique.
Ensuite, je pense que nous devons continuer à travailler avec les pouvoirs publics pour rechercher les modes de dialogue les plus constructifs. Notre vie politique et sociale a tout à gagner avec un maximum de concertation et de négociation entre la société civile et les décideurs publics.
Pour finir, nous publions chez Séance publique nos exigences d’un lobbying responsable avec la définition d’engagements précis. C’est notre grand défi car nous pensons que ces exigences de transparence doivent permettre une décision publique mieux acceptée.

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