Nous sommes incertains sur la viabilité de l’alimentaire en ligne
Décideurs. Comment la direction financière s’inscrit-elle dans la stratégie du groupe?
Antoine Giscard d’Estaing.
La stratégie du groupe initiée par Jean-Charles Naouri a été d’acquérir une taille critique en France avant de se développer à l’international, puis dans le e-commerce. Dans chaque pays l’entrée s’est faite à la fois de façon tactique et empirique, par l’acquisition d’acteurs locaux dont nous avons privilégié la croissance. La distribution est un métier d’exécution, les barrières à l’entrée y sont faibles, la taille est donc critique.

Le recours à des augmentations de capital a été faible et le groupe s’est développé par endettement. La direction financière a participé au succès de cette stratégie tout en s’appuyant sur un mode décentralisé de gestion des filiales. Ainsi responsabilisées, celles-ci sont libres de croître selon leurs particularités locales.

De façon très concrète, des objectifs stratégiques et financiers détaillés sont fixés, communiqués, puis ils font l’objet d’une revue et d’une analyse. C’est classique, et cela marche bien chez nous : sans être sur leur dos au jour le jour, nous arrivons à bien gérer nos implantations internationales. Pour une activité de proximité, c’est une grande force que de bien connaître le terrain mais aussi d’avoir un nombre limité d’objectifs à atteindre.

Décideurs. Quel est votre regard sur l’évolution de votre métier ?
A. G. d’E.
La fonction financière est devenue beaucoup plus internationale qu’auparavant, et ses problématiques diffèrent d’un pays à l’autre. En réalité, le métier est devenu complexe ! C’est d’ailleurs aussi le cas de la plupart des autres fonctions de l’entreprise, qui s’adaptent en permanence chez Casino. Nous-mêmes avons fait le choix d’évoluer en réseau et de nous enrichir de compétences variées.

Cela impose à la direction financière d’avoir une vue exhaustive des process et des systèmes : les langages comptable ou de gestion ont été unifiés pour faciliter les échanges et former les équipes. Nous avons créé un réseau social dédié au pôle finance : les équipes y partagent leurs process ou best practices et peuvent même s’y rencontrer. À terme, cet outil de knowledge management deviendra notre réseau social, à la frontière entre Wikipédia et Facebook.

Décideurs. Quels aspects de la fonction ont pris le plus de poids ces derniers temps ?
A. G. d’E.
Chacun des métiers a pris une tonalité internationale. Et l’importance des fonctions va varier selon l’actualité du moment. Pour la fiscalité par exemple, le développement des ventes en ligne crée de nouvelles problématiques. Le distributeur est un important collecteur de taxes et il est donc exposé à des enjeux qui se renouvellent sans cesse. Il n’y a pas de métier de la finance qui n’ait profondément évolué. Nous y répondons en promouvant la polyvalence, la formation continue, et l’envoi de nos collaborateurs à l’étranger.

Décideurs. Alors, DAF ou CFO ? Et quelles sont ses qualités essentielles ?
A. G. d’E.
Dans une grande entreprise, le DAF n’existe plus, ou en tout cas ne renvoie plus à la réalité. Nous sommes des CFO et le « A » d’administratif n’a plus lieu d’être. Il a été remplacé par les systèmes d’information, les process et le back office. Dans les business units, c’est de directeurs financiers dont nous avons besoin, des gens tournés vers l’entreprise, les clients et l’activité. Dans la consommation et la distribution, la tension est à court terme. Il faut être commerçant, rapide et très mobile intellectuellement. Le financier est au service des opérationnels pour les aider à exécuter leurs plans d’action.

Sur un plan plus technique, j’insisterai sur l’importance qu’il y a aujourd’hui à bien maîtriser les enjeux de la comptabilité et de la consolidation. L’évolution des normes est à la fois rapide et complexe.

Décideurs. Quelle est votre vision du leadership ?
A. G. d’E.
Pour moi, le terme renvoie à plusieurs choses. En français, c’est d’abord le charisme. C’est l’autorité ensuite, dans le sens de gravitas, qui renvoie elle-même à la profondeur; c’est aussi savoir là où j’ai envie d’aller avec les gens. En anglais, le terme recouvre des notions différentes, il est agrégeant. C’est aussi une marque, un style personnel. En plus du charisme, il faut avoir de l’empathie, pouvoir déceler chez les autres leurs qualités et les motiver, les faire réagir.

Chez un jeune, ces qualités s’observent parfois dès le recrutement ou dans les premiers jours : on arrive à repérer ceux qui vont faire bouger les choses. Ils apportent simultanément la solution et le problème qu’ils n’ont pas hésité à s’approprier. Ils tirent aussi un petit peu la couverture à eux, et demandent des retours. Quelqu’un qui ne demande jamais de feedback n’a pas de leadership.

Décideurs. Le commerce en ligne représente-t-il une menace pour vos marges ? Comment l’appréhendez-vous ?
A. G. d’E.
Chez Casino, nous sommes convaincus que le e-commerce non alimentaire a un avenir important, il a un grand potentiel de transformation. Cinq millions de clients viennent au moins une fois par mois faire leurs achats sur Cdiscount, et plus de 10 % de l’activité est générée par d’autres sites qui réalisent leurs ventes sur le nôtre. Le modèle est très puissant, et nous tablons à terme sur un chiffre d’affaires de deux milliards d’euros. La fréquence d’achat est encore faible, et elle ne peut qu’augmenter.

Nous sommes plus incertains en revanche sur la viabilité de l’alimentaire en ligne, hormis certains modèles comme celui de la vente d’alimentaire sur un référentiel limité en gros packaging. L’équilibre entre le prix du panier et le coût logistique est clé. Une commande inférieure à un certain seuil (environ 70 euros) ne permet pas d’assumer l’ensemble des frais. Le groupe se développe aussi vers un modèle hybride : commander en ligne, puis venir chercher les produits sur place. C’est le Casino Express et les drive solo qui se développent de façon rapide.

Le commerce change, Casino essaye d’être un acteur innovant pour répondre aux nouvelles attentes des clients.

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